VW: too big to fail? edit
L'affaire VW, c'est un puzzle enveloppé dans un mystère aux conséquences indéterminées. Un puzzle, car on a bien du mal à identifier des actes, des responsables, des stratégies. Dans l’affaire du logiciel truqueur, est-ce l'entreprise qui est en cause ? L’hybris de ses dirigeants ? Les défaillances de son système de contrôle interne et externe ? La faiblesse coupable du régulateur européen, la cogestion à l'allemande voire le modèle mercantiliste?
Un mystère, car on ne comprend pas plus l’attitude les ingénieurs de VW qui ont pu sacrifier le capital réputationnel de l'entreprise en implantant les logiciels truqueurs inventés par Bosch que celle des régulateurs européens ou américains qui, en imposant des normes d'émission inatteignables, ont poussé au crime.
Des conséquences indéterminées, car non seulement VW peut disparaître victime des demandes de réparation des clients, des actionnaires, des régulateurs, et autres victimes mais c'est l'ensemble de la filière diesel qui peut chuter et au-delà le leadership européen dans l’industrie automobile.
Avec le recul cinq faits saillants se dessinent.
Le premier est que VW n'est pas ce modèle de l'entreprise consensuelle progressant à pas comptés après avoir bâti un consensus technique économique et social avec ses parties prenantes, ce n’est pas davantage ce royaume de la « deutsche Qualitat » dont les grands prêtres seraient les ingénieurs. L'affaire nous apprend à l'inverse que l'entreprise étant mobilisée vers un objectif et un seul, devenir leader mondial de l'automobile, après avoir dépassé GM et Toyota. Sous la présidence de Winterkorn, tout a été soumis à cet objectif. Une direction autoritaire tendue vers une seule finalité, sourde aux objections, privilégiant les solutions maison sur l'efficacité (solution Lean Nox développée par VW préférée à Blue Tec développée par un concurrent), certains ont même pu parler de climat de terreur... Des salariés incapables d’atteindre des objectifs inatteignables et soumis à une hiérarchie autiste ont trouvé la solution dans la fraude. Que cette entreprise frauduleuse ait pu concerner plusieurs entreprises, plusieurs niveaux hiérarchiques, plusieurs acteurs externes sans que la moindre information ne filtre alors que la fraude était massive laisse interdit. Rappelons que 11 millions de véhicules sont concernés (dont 500000 seulement aux Etats-Unis d’où est parti le scandale), et qu’après avoir incriminé le moteur 2 litres il apparaît à peu près acquis aujourd’hui que le moteur 3 litres a aussi « bénéficié » du logiciel truqueur.
Le deuxième fait notable est que l'entreprise, quoi qu'ayant dépensé sans compter en R&D notamment sur le diesel, n'a pas été capable, pas plus du reste que l'écosystème automobile allemand, de produire ce moteur diesel propre que les régulateurs allemands et californiens réclamaient à travers les normes fixées. Entre 2003 et 2012 VW a accru de 229,8% son effort de recherche quand PSA les accroissait de 18,3% et Renault de 8,8% ! Il a fallu que Bosch fournisse un composant avec logiciel truqueur en recommandant fermement de ne pas s'en servir pour que le problème soit résolu. Le moteur 2 litres destiné à équiper les petites cylindrées des gammes VW ne pouvait pas adopter des solutions techniques plus efficaces qui auraient alourdi le véhicule et donc les émissions de CO2. Le problème est a priori moins grave avec le moteur 3 litres... mais on apprendra plus tard ce moteur aussi a bénéficié du logiciel truqueur. Une association écologiste allemande (DUH) prétend aujourd’hui que la nouvelle Espace de Renault émet 13 à 25 fois plus de Nox qu’elle ne le prétend dans ses documents publics validés par l’ADAC. Un mois plus tôt DUH avait mis en cause l’Opel Zafira.
Le troisième fait est une double injonction contradictoire à laquelle les régulateurs ont soumis en permanence les industriels de l'automobile : 1 - respectez les nouvelles normes d'émission de CO2 et de NOX alors qu’il faut arbitrer entre les deux surtout pour les petits véhicules, et renforcez la spécialisation dans le diesel propre pour conforter l’activité et l’emploi en Europe et conquérir les marchés des pays sensibles à la question écologique. 2 - Comme ces objectifs sont inatteignables les régulateurs européens s’engagent à pratiquer des tests trompeurs (conditions irréalistes des tests de conformité) et au besoin à prolonger les délais pour que les constructeurs européens respectent les normes fixées (notamment après le fiasco américain). Le problème est qu’autant les Européens maîtrisent leurs processus de certification et de régulation autant les autorisations accordées ne valent guère hors des frontières. Fixer des normes inatteignables en le sachant c’est inciter à la dissimulation ou se discréditer comme régulateur. Sous-évaluer les émissions à partir de tests complaisants et repousser sans cesse les délais de mise en œuvre des normes c’est signifier que le respect des normes en Europe est affaire de rapports de forces entre pays producteurs de véhicules et pays consommateurs.
Le quatrième est que la sainte alliance mercantiliste allemande qui enrôle les syndicats, les Länder et la classe politique pour préserver le modèle industriel allemand et le porter au plus haut finit par buter sur les contrepouvoirs les plus inattendus. C'est une ONG californienne qui a saisi une université américaine pour soumettre à des vrais tests le diesel propre allemand, et c'est ce test porté à la connaissance du régulateur Californien qui est à l’origine de l’affaire du logiciel truqueur. Incidemment on apprend dans la presse allemande que cette belle histoire est enjolivée car ce seraient des fonctionnaires communautaires qui auraient alerté l’ONG californienne. Ainsi la capture du régulateur européen par le lobby industriel allemand aurait trouvé sa limite grâce à une dissidence interne à la Communauté activant une ONG américaine !
Le dernier enseignement porte sur le pouvoir extraterritorial de la norme juridique américaine. Alstom, BNP et maintenant VW… les régulateurs et les juges américains ont une tendance à dire, à agir sur et à réprimer les manquements à l'ordre légal Américain que ce soit sur le territoire ou hors des États-Unis. L'expansion du droit américain hors des frontières parachève l'édifice de la régulation globale. On peut se réjouir dans ce cas que la logique mercantiliste allemande ait buté sur cet obstacle bienvenu mais on peut s'étonner aussi que les Européens acquiescent à cet ordre où un logiciel fraudeur est davantage réprimé que des dispositifs qui ont provoqué des morts d'hommes sur le territoire américain à la suite de défauts mécaniques ou d’airbags, où le rôle de Citygroup dans la crise de 2008 est jugé moins grave que l’usage de dollars pour commercer avec la Somalie et où enfin la corruption chez Alstom vaut infiniment plus cher que pour des entreprises américaines. Mais apparemment faire un exemple pour des juges domestiques est plus facile quand le coupable est étranger !
Pour autant le mystère VW n'est que partiellement levé. Si on comprend que des salariés intimidés aient installé le logiciel truqueur pour délivrer les résultats réclamés par une direction autoritaire on comprend moins l’attitude générale de l'entreprise obsédée par les fins et indifférente aux moyens. Le capital réputationnel est le principal actif d’une entreprise, ne cesse-t-on d’enseigner dans les écoles de gestion : comment peut-on l’engager de manière frivole ? L’explication est à chercher dans la centralité de l'automobile dans le paysage industriel allemand, dans la cogestion à l’allemande et dans les affaires de la Basse-Saxe. Le phénomène du « too big to fail » observé ailleurs se constate pour VW en Allemagne. L’importance de la firme pour l’économie allemande est tel qu’elle s’est sentie immunisée, protégée, au-dessus de la norme commune. La captation progressive de l’image d’excellence technique allemande par VW, la défense acharnée des intérêts de la firme par le Land, le gouvernement et les commissaires allemands à Bruxelles a pu donner à l’entreprise un sentiment d’impunité. Le problème est qu’hors d’Europe les mêmes protections ne peuvent fonctionner !
Au-delà de l’affaire VW et à cause des révélations sur les insuffisances du diesel propre, c’est l’avenir du diesel européen qui est à présent mis en cause. Déjà les consommateurs à bas bruit révisent leurs choix : l’exception européenne du diesel va reculer. La production européenne est majoritairement orientée vers les véhicules diesel, demain elle ne le sera plus. La part du diesel dans les immatriculations de véhicules de tourisme est passée de 23% en 1994 à 53% en 2013. Depuis le début du Dieselgate le recul s’accélère. Pourtant ce recul ne règle aucun problème. L’expérience du passage accéléré à l’électrique en Norvège, quoique les moyens incitatifs financiers et fiscaux aient été massifs, est considérée comme un échec : l’impact sur la réduction des émissions de CO2 a été parfaitement dérisoire. Le gouvernement norvégien a fini par considérer qu’il n’avait pas à subventionner Tesla. Quant au succès de l’hybride que chacun se plaisait à célébrer, il est à son tour dans l’oeil du cyclone, les performances de consommation d’essence et de rejet de CO2 sont, à leur tour, contestés.
Au total le VWgate et au delà le Dieselgate auront fait plusieurs victimes : la spécialisation européenne dans un type de motorisation polluant, la certification par les professionnels, la régulation européenne capturée par les industriels. Un tel événement provoquera des réalignements industriels. Certains évoquent même une mise en faillite de VW et la reconversion de son outil de production vers le véhicule électrique. Il conduit nécessairement à repenser la politique européenne tant en matière d’arbitrage compétitivité/environnement que de régulation. Faut-il se fixer des objectifs plus réalistes d’émission de polluants ? Faut-il aller là aussi vers des autorités de régulation indépendantes ? Faut-il à l’inverse prendre son parti des limites de la technologie actuelle et explorer des modalités de réduction de l’usage des véhicules individuels ? L’une des pistes intéressantes consiste à repenser la mobilité urbaine, à abolir progressivement le partage transports collectifs /véhicules individuels en mettant en place des solutions de mobilité combinant différents modes de transports et accessibles sur la base d’abonnements individuels. Ainsi sur un même trajet on pourrait user d’un métro ou d’un tram, emprunter un véhicule automobile et finir en utilisant un vélo.
L’affaire VW a le potentiel des grandes bifurcations dans la production, l’usage et les hiérarchies industrielles. Il faudra suivre ses effets dans les mois et années qui viennent.
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