Baisser les contributions sociales employeurs, oui, mais comment: ciblage ou dévaluation fiscale? edit
Un débat récurrent porte sur la question des réductions des contributions sociales des entreprises : faut-il les cibler ou non ? Les arguments en jeu sont essentiellement ceux de l’emploi et de la compétitivité.
Les effets sur l’emploi des baisses de contributions sociales employeurs sont plus importants quand ces baisses sont concentrées au voisinage du SMIC. Cela tient au fait que le SMIC influence de façon très forte le salaire des travailleurs peu qualifiés tandis que le salaire des travailleurs qualifiés est déterminé de façon plus concurrentielle par l’équilibre entre la demande et l’offre de travail. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes préconisent d’en rester sur cette logique de réduction ciblée.
Schématiquement, les mécanismes en jeu sont les suivants. Les baisses de contributions sociales employeurs élèvent la demande de travail des entreprises. Pour un même salaire brut, le coût du travail (le salaire brut-brut) est diminué par les allègements de contributions sociales employeurs, et cette baisse de coût induit une augmentation de la demande de travail. Mais les choses se passent ensuite différemment pour les salariés qualifiés et les salariés peu qualifiés.
Pour les travailleurs qualifiés, l’augmentation de la demande de travail élève les tensions sur le marché du travail, ce qui permet aux travailleurs d’obtenir des augmentations de salaire brut. Le nouvel équilibre atteint correspond à la fois à un niveau plus élevé de l’emploi et à un niveau plus élevé des salaires bruts. La hausse des salaires bruts atténue ex post la baisse du coût du travail et donc l’effet favorable de la baisse ex ante du coût du travail via les baisses de contributions sociales employeurs.
Pour les travailleurs peu qualifiés, l’augmentation de la demande de travail élève également les tensions sur le marché du travail, mais les salaires bruts étant commandés par le SMIC n’augmentent pas. Le nouvel équilibre atteint correspond seulement à un niveau plus élevé de l’emploi pour un salaire brut inchangé. L’effet favorable sur l’emploi de la baisse ex ante du coût du travail via les baisses de contributions sociales employeurs n’est donc pas atténué par une hausse ex post du salaire brut. L’effet sur l’emploi est donc plus favorable que celui d’une même baisse du coût du travail qualifié.
Deux remarques sont à faire à ce stade. Tout d’abord, l’effet sur l’emploi plus favorable lorsque les baisses de contributions sociales employeurs sont concentrées au niveau du SMIC tient au fait que ce dernier intervient de façon très distorsive dans la formation du salaire brut des peu qualifiés. Cela serait évidemment moins net pour un salaire minimum plus faible, et la question de la réforme du SMIC mérite d’être soulevée. Ensuite, les baisses de contributions sociales employeurs au niveau du SMIC peuvent avoir pour inconvénient de renforcer les mécanismes de trappes à bas salaires. En effet, elles rendent le taux des cotisations sociales employeurs progressif avec le salaire, ce qui induit qu’une augmentation du salaire brut provoque une augmentation supérieur (en %) du coût du travail. Si l’on en croit diverses études, ces effets de trappes à bas salaires, liés aux actuels allègements de contributions sociales employeurs ciblés sur les bas salaires, seraient encore très faibles en France. Mais ils pourraient devenir plus nets en cas d’amplification des réductions ciblées de contributions sociales employeurs.
Qu’en est-il d’une réduction non ciblée de contribution sociale des employeurs ? Supposons que cette baisse est financée par une hausse des prélèvements sur les ménages. Ce transfert financier des ménages vers les entreprises correspond à une dévaluation fiscale, le cas le plus « pur » de dévaluation fiscale étant bien sûr un financement par une hausse de la TVA. Comme cela a été montré par diverses analyses, les effets d’une telle dévaluation fiscale sont identiques à ceux d’une dévaluation monétaire. Et comme ceux d’une dévaluation monétaire, les effets favorables d’une dévaluation fiscale sur le solde courant, via l’amélioration induite de la compétitivité par la baisse du coût du travail, sont transitoires. Ils sont progressivement effacés par les mécanismes de la boucle prix salaire : hors politiques structurelles associées élevant le niveau potentiel de production et en particulier abaissant le niveau du chômage structurel, le retour à la situation qui aurait prévalu sans cette politique est à peu de choses près progressivement retrouvé. Ce retour est plus rapide avec des modes de financement directement inflationnistes comme une hausse de la fiscalité indirecte (TVA par exemple) qu’avec une hausse des prélèvements directs (CSG par exemple). Pour autant, une baisse uniforme des charges induit une amélioration transitoire de la situation financière des entreprises, pour la part qui n’est pas répercutée sur les prix, ce qui peut présenter un intérêt dans la situation actuelle en France où de nombreux candidats aux élections veulent améliorer la situation financière des entreprises.
Une baisse uniforme et non ciblée des charges sociales peut trouver aussi une justification en termes d’équité sociale. Actuellement, des prestations sociales universelles (essentiellement maladie hors indemnités journalières et famille) sont en partie financées par des prélèvements assis sur la masse salariale. Cela signifie qu’à revenus et configurations familiales identiques, différents ménages ont les mêmes droits à ces prestations universelles alors que leur efforts contributifs implicites pour les financer ne sont pas les mêmes, selon la structure de leur revenus. À ce titre, il peut paraitre équitable de fiscaliser le financement des prestations universelles (autrement dit non contributives) en bénéficiant au passage des effets transitoirement favorables de la dévaluation fiscale correspondante.
Il est parfois évoqué que le ciblage des allègements de charges le plus judicieux pour améliorer la compétitivité correspond aux niveaux de salaires du secteur le plus directement exposé à la concurrence internationale, très schématiquement l’industrie manufacturière, soit entre 1,2 et 2 SMIC. Ce raisonnement doit cependant être relativisé par le constat que la production des services est i) ou une production de services aux entreprises, et la baisse du coût du travail dans ces activités bénéficie aussi par son report sur les prix aux secteurs industriels ; ii) ou une production de services aux ménages, et la baisse du coût du travail dans ces activités se reporte au moins en partie sur les prix de consommation et donc sur la dynamique des salaires, y compris les salaires dans l’industrie.
Quelle est, en France, la stratégie la plus pertinente aujourd’hui ? À nos yeux, la stratégie la plus appropriée mais aussi la plus politiquement difficile consisterait à associer l’engagement de réformes structurelles massives à une baisse uniforme des charges sociales employeurs, autrement dit à une dévaluation fiscale. Les réformes structurelles dynamiseraient la croissance et amélioreraient la compétitivité à moyen terme. La dévaluation fiscale liée à la baisse des charges sociales employeurs permettrait, par ses effets favorables mais transitoires, d’anticiper rapidement les effets plus tardifs et progressifs des réformes structurelles. En particulier, cela procurerait un effet favorable immédiat sur la situation financière des entreprises actuellement dégradée. Dans cette option, la dévaluation fiscale trouve deux justifications : celle d’une plus grande équité fiscale et celle d’une anticipation des effets favorables des réformes structurelles.
Mais si l’on ne croit pas en la volonté ou en la possibilité d’un engagement de réformes structurelles massives, l’optimum de second rang est de cibler les baisses de charges sur les bas salaires afin d’en obtenir au moins comme impact durable une augmentation structurelle de l’emploi peu qualifié.
La stratégie retenue sur les années récentes via le CICE (qui trouve en partie son inspiration dans le rapport Gallois, 2012) et le Pacte de responsabilité relève plutôt de la logique d’une dévaluation fiscale. Pour autant, son ciblage (avec par exemple le seuil à 2,5 SMIC pour le CICE) floute un peu cette logique. Par ailleurs, elle est complexe : le passage par un crédit d’impôt et non par un allègement plus direct des contributions sociales concernant le CICE affaiblit les effets favorables recherchés. Enfin et surtout, cette stratégie ne s’est pas accompagnée de la mise en oeuvre de réformes structurelles très ambitieuses. On en attend donc, par un déplacement pérennes de curseurs fiscaux, des effets favorables transitoires qui n’anticiperont hélas pas ceux, plus progressifs et pérennes, de réformes structurelles ambitieuses.
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