Le vote populiste: une attraction pour le désastre edit
Le populisme a fait l’objet d’une abondante littérature sur les dernières décennies. Cela tient bien sûr au fait qu’il s’agit d’une forme politique montante dans de nombreux pays avancés. Cette montée est associée à une baisse du bien-être elle-même nourrie par la hausse d’un sentiment d’insécurité économique. Mais la littérature économique est largement consensuelle concernant les effets économiques négatifs de la mise en œuvre de politiques inspirées par le populisme.
L’opposition entre le peuple et les élites est l’un des principaux ressorts du populisme
Dans son déjà célèbre ouvrage sur le sujet[1], Pierre Rosanvallon caractérise le populisme de droite ou de gauche par différents aspects. En premier lieu, par l’opposition entre le peuple que les populistes prétendent représenter et les élites privilégiées jalousement campées sur leur pouvoir politique, économique, social et culturel. Les formes traditionnelles de la démocratie représentative renforceraient de fait ces élites et il faudrait donc leur préférer des outils favorisant l’expression directe du peuple, comme le référendum et le plébiscite. Dans cette approche, les agences et institutions indépendantes de contrôle, comme par exemple le Conseil Constitutionnel, seraient en fait des remparts protégeant l’oligarchie au pouvoir et il conviendrait de les réformer pour les affaiblir sinon les faire disparaitre. Un ou des leaders charismatiques supposés exprimer les attentes du peuple seraient à la tête des partis populistes pour en décider la ligne. Sans bien sûr que ne soient explicitées les raisons qui permettraient à ces leaders éclairés de porter mieux que d’autres les attentes populaires. L’internationalisation et le libre échange contribueraient à l’asservissement du peuple aux élites internationales et à la dilution de sa maîtrise du destin national. Il conviendrait donc de s’y opposer par des politiques protectionnistes et par l’encadrement voire le rejet de toute intégration économique et politique à des institutions multinationales comme l’Union Européenne et comme les traités de libre-échange. Enfin, la touche émotionnelle mobilisant souvent des témoignages individuels choisis et présentés comme représentatifs fournirait une dimension humaine à cette approche et renforcerait l’illusion d’une proximité avec le peuple.
Le site The Populist fournit une liste des partis populistes dans les différents pays européens. Cette classification est principalement réalisée sur la base de l’opposition, dans l’expression de ces partis, entre les élites privilégiées (« l’establishment »), quand ce n’est pas corrompues, et le peuple dont ces partis prétendent être l’expression. Ce même critère était déjà retenu par Cas Mudde[2] dans son approche du populisme largement reprise dans la littérature.
Le populisme peut être de droite ou de gauche, comme l’illustre bien la situation politique de la France. Sans surprise, parmi les principaux partis représentés au Parlement français, LFI et le RN sont facilement classifiés comme des partis populistes par The Populist (voir ce classement pour la France). Force est de constater que ces deux partis cochent dans ce classement toutes les cases de l’identification de partis populistes, avec certes des nuances et des contrastes. La méfiance vis-à-vis des institutions européennes qui dilueraient l’expression et le pouvoir des peuples souverains ne va plus désormais jusqu’à la préconisation par ces partis d’une sortie de l’euro, car cette intégration est largement approuvée et soutenue par la population alors même qu’elle constitue une mutualisation de la souveraineté monétaire. Marine Le Pen s’est d’ailleurs montrée d’une grande confusion sur ce sujet dans la campagne présidentielle de 2017, durant laquelle elle opérait sa propre mutation en tentant de faire oublier sa préconisation antérieure d’une sortie de l’euro. Et un fort contraste concernant l’immigration apparaît entre ces deux partis, le RN y voyant une déclinaison de la perte de souveraineté, de sécurité et d’identité culturelle tandis que LFI l’associe de façon nébuleuse à l’expression de luttes dans d’autres régions, en positivant à cet égard dans les conflits internationaux les mouvements se prétendant libérateurs et démocratiques (mouvements qui dans la réalité sont en fait le plus souvent dictatoriaux). La présence de leaders forts caractérise ces deux formes de populismes, avec une logique dynastique et héréditaire dans le cas du RN et une contradiction flagrante avec le couplet « ni dieu, ni César, ni tribun » de l’Internationale, pourtant régulièrement entonnée avec conviction par les militants, dans le cas de LFI.
Le débat public sur la réforme des retraites a récemment été en France la quintessence de l’expression populiste. Les partis populistes y prétendaient porter l’expression du peuple, ils demandaient l’organisation d’un référendum sur le sujet, ils critiquaient le rôle sinon l’existence même d’institutions comme le Conseil constitutionnel quand celui-ci n’invalidait pas le cœur de cette réforme puisque telle était selon eux la volonté du peuple, ils rejetaient toute mention des choix faits dans d’autres pays avancés car cette évocation était en elle-même l’expression d’une volonté d’internationalisation ignorant la singularité française, et ils valorisaient dans leurs discours des cas individuels spécifiques en suggérant que ces cas étaient représentatifs de la situation du peuple. Les sondages d’opinion, négatifs sur la réforme, étaient invoqués pour justifier la demande d’organisation d’un référendum présenté comme une voie de décision plus légitime que l’exercice de la démocratie représentative. On peut remarquer que, dans cette même logique, la peine de mort n’aurait pas été abolie en 1981 dans une France alors majoritairement opposée à une telle évolution. Des populistes demandaient d’ailleurs à l’époque l’organisation d’un référendum sur le sujet.
Le vote populiste est alimenté par la montée du sentiment d’insécurité économique
Dans un article récent, L. Guiso et ses co-auteurs[3] montrent empiriquement, en se basant pour cela sur les données de l’European Social Survey, que le vote populiste est fortement lié au sentiment d’insécurité économique, lui-même nourri par la mondialisation et par la perte de confiance dans les partis traditionnels et dans les institutions. Et cette perte de confiance est au moins en partie liée au sentiment croissant d’insécurité économique. Diverses variables renforceraient ces effets et par exemple le niveau d’éducation aurait un impact négatif tandis que le niveau du taux de chômage aurait lui un impact positif sur le vote populiste. Yan Algan et ses co-auteurs[4] avaient déjà montré, en mobilisant des données régionales européennes et l’épisode de la crise financière de 2008-2009, que le sentiment d’insécurité économique alimente la perte de confiance dans les institutions politiques traditionnelles et renforce le vote populiste. Dans un article récent mobilisant aussi les données de l’European Social Survey, Rui Silva[5] montre que c’est par son impact sur le bien-être que l’insécurité économique influencerait le vote populiste : une augmentation de l’insécurité économique abaisserait le bien-être et nourrirait la perte de confiance dans les institutions et les partis traditionnels, avec un effet à la hausse concernant le vote populiste.
Dani Rodrik[6] défend l’idée que la mise en œuvre dans le domaine économique de certaines politiques soutenues par les partis populistes peut permettre d’éviter l’arrivée au pouvoir de ces partis qu’il considère comme dangereux sur le terrain politique (plus exactement « almost always dangerous »). Cette préconisation mérite sans doute d’être appliquée avec discernement.
Un consensus concernant les effets économiques négatifs des politiques populistes
La littérature économique est assez consensuelle concernant les effets économiques de politiques populistes : ces effets seraient fortement négatifs sur la croissance. Funke et ses coauteurs[7] proposent une analyse de 51 épisodes de pouvoirs exécutifs populistes sur la période 1900-2020. Ils évaluent à au moins 10% de pertes de PIB l’effet cumulé au bout de quinze ans de ces expériences populistes.
La littérature économique abonde d’analyses des effets économiques de la mise en œuvre de politiques populistes spécifiques dans différents pays. Ces effets y apparaissent toujours négatifs. À titre d’exemple parmi tant d’autres, une expérience populiste récente a été analysée par L. Guillermo Woo-Mora[8]. Après son élection en 2018 et avant son entrée en fonction, le président élu au Mexique, Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), décide d’organiser un référendum non officiel proposant de stopper les travaux de construction d’un nouvel aéroport à Mexico. Malgré que les sondages témoignent d’un soutien de l’électorat à ce projet, le président élu annonce qu’il stoppera ces travaux en se référant aux résultat de ce référendum sauvage auquel a participé moins de 1% du corps électoral. Le peuple s’était selon lui exprimé librement. Woo-Mora évalue la conséquence de cette décision à une perte de PIB de 3,3% à 4,5% dès l’année suivant la décision d’AMLO. La raison de cette perte, bien supérieure à l’effet direct de l’arrêt des travaux concernant l’aéroport, est que la procédure de cette décision a nourri un sentiment général d’incertitude économique au sujet d’autres décisions économiques à venir, cette incertitude aboutissant à ralentir considérablement l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. La décision d’AMLO aurait amorcé une trappe d’incertitude (« uncertainty trap ») qui s’auto-entretiendrait ensuite, le ralentissement de la demande et donc du PIB nourrissant l’incertitude sur les perspectives économiques elles-mêmes déjà dégradées par l’incertitude sur les choix de politiques économiques à venir…
Le danger porté par les idéologies populistes est souvent évoqué. Ce danger concerne le domaine politique car ces idéologies proposent la dénaturation et parfois même l’abandon d’agences et d’institutions démocratiques de contrôle. Il concerne aussi le domaine économique avec les effets négatifs pour la croissance de la mise en œuvre de politiques inspirées par le populisme. Le vote populiste de droite et de gauche atteint désormais des niveaux très élevés dans un grand nombre de pays avancés dont la France. Au vu de la relation généralement négative entre le vote populiste et le niveau d’éducation, on peut s’étonner qu’en France le populisme de gauche bénéficie d’un soutien non négligeable parmi la population d’un niveau d’éducation élevé. Et que, par exemple, un texte de soutien au programme économique de ce populisme ait été signé par de nombreux économistes professionnels alors même que ce programme était délirant et que la littérature est consensuelle concernant les effets économiques néfastes de la mise en œuvre des programmes des partis populistes. Cette particularité française s’explique peut-être en partie par un romantisme révolutionnaire facilement et volontairement oublieux du coût économique, social mais aussi humain des expériences populistes.
La lutte contre le populisme doit sans doute mettre largement en avant les gains associés à l’existence d’agences et d’institutions démocratiques et indépendantes. Le rôle et le fonctionnement de ces institutions doivent être expliqués sans relâche. Et surtout, les effets désastreux des expériences populistes doivent être continûment rappelés. Ces expériences ne manquent hélas pas…
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[1] Pierre Rosanvallon, Le Siècle du populisme, Seuil, 2020.
[2] Cas Mudde, « The populist Zeitgeist », Government and Opposition, Vol. 39, N° 4, 2004, pp. 541-563.
[3] L. Guiso, H. Herrera, M. Morelli et T. Sonno, « Economic Insecurity and the demand for populism », Economica, forthcoming.
[4] Yann Algan, Sergei Guriev, Elias Papaioannou et Evgenia Passari, « The European trust crisis and the rise of populism », Brookings Papers on Economic Activity, September 2017, pp. 309-400.
[5] Rui Silva, « Well-being foundations of populism in Europe », European Journal of Political Economy, vol. 81, forthcoming.
[6] Dani Rodrik, « Is Populism Necessarily Bad Economics? », American Economic Review, Papers and Proceedings, Vol. 108, May 2018, pp. 196-199.
[7] Manuel Funke, Moritz Schularick et Christoph Trebesch, « Populist leaders and the economy », American Economic Review, Vol. 113, n° 12, December 2023, pp. 3249-3288.
[8] L. Guillermo Woo-Mora, « Populism’s original sin: Short-term populism penalties and uncertainty traps », European Economic Review, forthcoming.