Vive la primaire pour tous! edit
Ainsi, la gauche du Parti socialiste exige la tenue d’une primaire présidentielle ouverte à toutes les formations de gauche, que François Hollande soit candidat ou non à sa réélection. Une telle exigence dénote une absence étonnante de jugement chez ces professionnels de la politique regroupés sous l’appellation de frondeurs. La tenue d’une telle primaire aboutirait probablement en effet à la destruction du PS.
Pour mesurer les conséquences d’une telle innovation, il convient de distinguer deux scénarios possibles : celui où François Hollande se représente et celui où il ne se représente pas. Dans le premier cas, le Parti socialiste, principal parti organisateur, sera le théâtre d’un spectacle masochiste dans lequel les autres candidats, en particulier non socialistes, viendront expliquer pourquoi le quinquennat Hollande fut un désastre et le PS, comme parti de gouvernement, d’une totale incompétence. On imagine aisément Jean-Luc Mélenchon ou Cécile Duflot venir répéter face à Hollande les horreurs qu’ils profèrent depuis plusieurs années sur le gouvernement et le PS. Si d’autres socialistes participent à cette primaire, joindront-ils leurs critiques et attaques envers leur président sortant à ceux des candidats d’extrême-gauche ou devront-ils le défendre ? Mais alors pourquoi se présenter ? La droite n’aura plus qu’à assister béate et satisfaite à l’autodestruction du Parti socialiste. Elle n’aura plus grand-chose à ajouter après une telle auto-flagellation. On imagine ensuite le score mirobolant que le candidat de gauche désigné, s’il s’agit d’un socialiste, pourrait faire au premier tour de l’élection présidentielle ! Et s’il s’agissait d’un candidat issu de l’extrême-gauche ? Ce n’est pas un hasard si aux Etats-Unis, le président sortant est rarement contesté lors de la primaire de son parti lorsqu'il se représente. Un minimum de solidarité et d’esprit de parti, voire de loyauté l’interdit. On a peine à croire que les frondeurs aient réellement imaginé qu’un tel scénario puisse se produire, sauf à utiliser cette éventualité pour tenter d’empêcher la candidature du président sortant, sachant que ce dernier a seul le pouvoir de décision en la matière.
Second scénario : le président ne se représente pas. Normalement, si le timing le permet, le PS doit organiser une primaire ouverte. Mais que signifie une telle primaire si tous les partis de gauche, quelles que soient leurs orientations politiques, y participent ?
Ici apparaît la seconde inconséquence des frondeurs. La primaire socialiste de 2011, même ouverte à son appendice radical, était celle d’un parti de gouvernement qui voulait revenir au pouvoir par l’élection de l’un des siens à la présidence de la République. Les candidats à l’investiture socialiste, membres d’un même parti, se devaient de s’appliquer à eux-mêmes une sorte de devoir de réserve à l’égard de leurs concurrents afin de ne pas affaiblir gravement leur parti dans son ensemble ni les chances de celui ou de celle qui serait désigné (e) comme candidat (e) à l’élection présidentielle. Enfin, tous les candidats s’engageaient à faire la campagne de ce dernier et à gouverner avec lui en cas de victoire présidentielle, les élections législatives ayant pour but alors de donner à ce parti une majorité à l’Assemblée nationale. C’est ce qui se passa effectivement en 2011-2012. Et François Hollande fut élu. Une primaire ouverte à toute la gauche se déroulerait de manière fondamentalement différente et produirait des effets inverses. Quel devoir de réserve madame Duflot ou monsieur Mélenchon s’imposeraient-ils face aux candidats issus du PS ? Quelle loyauté minimum pourrait-ils montrer à l’égard d’un parti qu’ils exècrent et qu’ils entendent détruire ? Accepteraient-il de soutenir clairement le candidat désigné ? Quel engagement prendraient-ils à l’égard des socialistes en matière de campagnes présidentielle et législatives si le candidat désigné appartenait au PS ? S’engageraient-ils à participer à un gouvernement socialiste en cas de victoire et à respecter une certaine discipline parlementaire ? Poser ces questions c’est déjà y répondre. De manière masochiste, les socialistes mettraient ainsi leur organisation – la seule capable d’organiser une primaire ouverte – à la disposition de leurs ennemis, et pour quel avantage en retour ? Ouvrir leur tribune à ces opposants irréductibles ne pourrait qu’affaiblir encore le PS d’autant que la diversité des positions des différents candidats serait telle que son image même de parti de gouvernement en sortirait irrémédiablement abîmée.
Certes, les frondeurs jouent leur pièce sur un théâtre d’ombres. Chacun sait qu’une telle primaire n’aura pas lieu. Heureusement pour le PS et heureusement pour le fonctionnement de notre système politique. Mais alors pourquoi ? Quelles que soient les raisons tactiques pour lesquelles ils ont recyclé cette proposition qu’ils semblaient avoir sagement remisée il y a quelque temps, une autre hypothèse vient cependant à l’esprit : ces frondeurs se sentent en réalité idéologiquement plus proches de Mélenchon, de Duflot ou de Laurent que du pouvoir socialiste actuel. Dans ces conditions, l’avenir du PS les intéresse moins que la recomposition de la gauche. À l’appui de cette hypothèse, le comportement collectif de ce groupe qui s’apparente aujourd’hui à celui d’une fraction organisée, un parti dans le parti pour reprendre une formule de jadis. Une fraction qui en effet regarde désormais vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur d’un parti socialiste dont elle ne semble plus rien attendre, qui adopte sa propre ligne politique et, ne prétendant plus l’imposer à celui-ci, cherche à l’appliquer ailleurs et autrement. Une fraction qui, refusant d’assumer réellement le choix de l’économie de marché inscrit dans les statuts du parti depuis 2008, rêve, avec l’extrême-gauche, de fonder un Podemos à la française, capable de redonner au radicalisme de gauche une véritable impulsion. Une fraction, donc, en état de sécession politique et idéologique avec le Parti socialiste.
Ainsi, derrière l’appel à la « primaire pour tous » se creuse toujours plus profondément au sein du PS le clivage entre la gauche de gouvernement et la gauche protestataire. Ces deux familles socialistes, que François Mitterrand avait réussi à réunir dans le parti d’Epinay, sont aujourd’hui irrémédiablement séparées. C’est ainsi que la position des frondeurs peut être comprise. Mais il faut alors qu’ils sachent que, compte tenu de la faiblesse électorale et des positions idéologiques et politiques de leurs partenaires éventuels pour refonder la gauche radicale, ils choisissent en réalité le retrait pour longtemps du pouvoir et peut-être, du coup, la destruction de la seule organisation de gauche ayant encore – mais jusques à quand ? – une vocation gouvernementale : le Parti socialiste.
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