De la Chine à la France, quel impact sur l’économie? edit
Ce que nous avions vu se dérouler dans la province de Hubei en Chine, puis en Italie, se déroule maintenant dans notre pays : rues vides, magasins fermés, services d’urgence dans les hôpitaux tournant à pleine capacité, débordés parfois. Comme le montrent les sondages qui ont suivi les interventions du président Macron, les Français ont saisi la gravité de la situation et ils soutiennent les mesures d’urgence, d’autant plus que l’État se dit prêt à mettre tous les moyens budgétaires nécessaires en œuvre.
Mais avec la généralisation progressive des mesures de confinement à travers le monde, de l’Asie à l’Europe avant que les États-Unis ne s’y résolvent, se pose la question de leur impact économique, et de la pertinence des mesures annoncées. Comme la Chine a subi la pandémie avant les autres, elle fournit un point d’ancrage pour estimer ce que pourrait être l’impact sur d’autres pays, la France en particulier. En suivant ce fil, on s’aperçoit vite qu’il faut s’attendre à un impact encore plus élevé que celui de la crise de 2008, mais dont on peut espérer qu’il sera plus éphémère.
L’élément nouveau est que nous disposons de statistiques chinoises donnant une idée de l’impact de la crise sur ce pays. Les chiffres du Bureau National de Statistique chinois concernant la valeur ajoutée dans l’industrie et les services (hors administrations) sont impressionnants : baisse de 13 % sur la période janvier-février par rapport à janvier-février 2019. Comme la croissance était auparavant de 6%, le décrochage du niveau de la valeur ajoutée est de l’ordre de 20%. Tenant compte du fait que la production des administrations publiques n’a probablement pas beaucoup baissé - dans le secteur de la santé, elle a même dû progresser fortement - on peut estimer que la contraction du PIB chinois au 1er trimestre 2020, par rapport au dernier trimestre de 2019, a été de 10% à 15%. Pour prendre un terme moyen, une baisse trimestrielle de 13% se traduirait par une baisse de 9% en comparaison avec le 1er trimestre 2019. En supposant que le retour à une activité normale prenne six mois et soit suivi d’une croissance soutenue, le PIB chinois pourrait baisser d’environ 3% en 2020 avant de rebondir au-dessus de sa tendance en 2021.
Même si les structures économiques diffèrent d’un pays à l’autre, l’expérience chinoise fournit un étalon utile pour les pays qui, comme la Chine, ont fini par se résoudre à mettre en œuvre un strict confinement de leurs citoyens avec pour conséquence l’arrêt de nombreux secteurs d’activité.
Une baisse du PIB français de 5% en 2020 est possible
Considérons le cas de la France. On ne dispose pour l’instant d’aucune donnée statistique sur l’activité réelle au mois de mars. A la fin du mois, les enquêtes de conjoncture de l’Insee, qui seront perturbées par les mesures de confinement elles-mêmes, permettront de se faire une idée qualitative de l’impact des décisions de confinement. Mais en attendant, il n’est pas absurde de faire l’hypothèse d’un scénario à la chinoise, décalé d’un trimestre. En suivant ce scenario et pour fixer les idées, une baisse d’activité en France de 12% au T2 2020, suivie d’un retour à la normale étalé sur le reste de l’année et le début de 2021, se traduirait en base annuelle, celle qui compte pour les finances publiques, par une baisse du PIB de l’ordre de 5% en 2020, suivie d’un fort rebond à 6% en 2021. Il ne s’agit là que d’un scenario illustratif, qu’on pourrait qualifier de raisonnablement optimiste, dans la mesure où il suppose une reprise de l’activité en bon ordre une fois le confinement levé. Si ce n’était pas le cas, le scenario en V (reprise rapide) pourrait laisser place à un scenario en U (reprise molle), voire en L (pas de reprise)…
La stratégie «pas de faillites» est la bonne…
L’hypothèse cruciale qui sous-tend en effet cette estimation est celle d’une reprise soutenue et soutenable une fois le confinement levé. Pour qu’elle soit soutenable, il est indispensable que la période de confinement, qui, comme l’explique le Pr Delfraissy, président du Conseil scientifique Covid-19, risque de durer plus d’un mois, soit mise à profit pour que le retour au travail se fasse dans les meilleures conditions sanitaires possibles, qu’il s’agisse de port de masques ou de capacité de tests. D’un point de vue économique, la condition nécessaire pour une reprise soutenue est que les entreprises, tout particulièrement les petites, puissent traverser la crise sans faire faillite, alors que leur chiffre d’affaires plonge, que leurs dettes et leurs charges s’accumulent et qu’elles ne sont pas sûres que les clients reviennent. Sous cet angle, les mesures décidées par le gouvernement (report d’impôts et de charges, indemnisation du chômage partiel, garanties bancaires, etc) et qu’on pourrait résumer par “pas de faillites”, doivent être soutenues. Encore faut-il qu’elles soient mises en œuvre sans délais et sans obstacles bureaucratiques.
Même dans ce cas, le retour à la normale prendra du temps, car une partie de la demande finale est perdue, dans les services en particulier (hotels, cafés, restaurants, transports…). Comme la stratégie gouvernementale est de garantir la survie des entreprises et donc de l’emploi, le revenu des ménages sera relativement protégé, alors que leur capacité de consommation sera réduite, augmentant d’autant leur taux d’épargne. Les ménages français devraient sortir de la crise avec un taux d’épargne encore plus élevé que les 14,9% atteints à la fin de 2019, ce qui devrait leur donner de quoi soutenir un rythme de consommation plus élevé à moyen terme.
… mais elle a un coût élevé: une explosion du déficit budgétaire
L’image en miroir du plan anti-faillites et de la garantie implicite de l’emploi au cours de la crise sera une forte hausse du déficit budgétaire. Le simple effet des stabilisateurs automatiques - essentiellement les moindres rentrées fiscales, de TVA en particulier - devrait gonfler le déficit budgétaire de 3 points de PIB. Viendront s’y ajouter les dépenses discrétionnaires nouvellement décidées : si l’enveloppe est de 45 Mds d’euros comme le Premier ministre l’a indiqué, le déficit s’accroitrait encore de 1,9% du PIB. Partant d’une prévision de déficit de 2,2% du PIB, on voit que le déficit des administrations publiques françaises pourrait atteindre ou dépasser 7% du PIB, comme ce fut le cas en 2009 ou en 1993, c’est-à-dire lors des deux plus grandes récessions de l’après-guerre.
Notons que les pays qui, comme la Corée du Sud, ont mis en œuvre des stratégies plutôt fondées sur des tests ciblés mais systématiques et massifs, sans recourir au confinement généralisé, seront moins touchés, ce qui pose évidemment la question de la pertinence des mesures de confinement, en comparaison de la stratégie coréenne.
L’éclairage de l’étude de l’Imperial College
La réponse a été en partie donnée par un rapport décapant d’une équipe de recherche pluridisciplinaire de l’Imperial College dédiée au Covid-19 au Royaume Uni. Pour faire court, l’équipe de Neil Ferguson distingue deux stratégies possibles : la mitigation, qui cherche à ralentir mais pas à stopper l’épidémie tout en protégeant les populations à risque, et la répression, qui cherche à inverser la dynamique de l’épidémie par des mesures de confinement drastiques. La modélisation de l’équipe indique que même optimisée, une stratégie de mitigation entrainerait, dans le cas du Royaume-Uni comme des États-Unis, des centaines de milliers de morts et une saturation des structures hospitalières, ce qui a très vite convaincu le cabinet de Boris Johnson de changer de stratégie.
Une des raisons de l’échec annoncé d’une telle stratégie est l’incapacité à effectuer des tests à grande échelle au sein de la population. Tel était et reste le cas français, semble-t-il, ce qui permet de comprendre pourquoi le confinement généralisé a finalement été décidé, malgré son coût économique élevé. Le risque qu’il faudra conjurer pour que le coût humain et économique de la stratégie choisie soit acceptable –une forte baisse de l’activité suivie d’un rebond de même ampleur ne devrait pas laisser trop de séquelles – est évidemment que l’épidémie ne reprenne pas une fois le confinement levé ce qui suppose qu’à ce moment, la reprise du travail se fasse dans des conditions de sécurité rigoureuse et qu’il soit possible de pratiquer les tests de dépistage à bien plus grande échelle qu’aujourd’hui.
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