Europe : renaissance de la productivité edit
Un élément a échappé à l'attention des analystes concernant les statistiques récentes de PIB : la productivité du travail. Ce facteur clé du bien-être économique et ce catalyseur des performances boursières a sérieusement accéléré. La raison de cet aveuglement est la médiocre qualité du système statistique européen : très peu de pays fournissent des données de qualité dans des délais raisonnables, concernant la productivité par employé, sans même parler de la productivité horaire. Inutile de s'en prendre à Eurostat, l'Office européen des statistiques, qui ne peut pas inventer des données qui n'existent pas dans plusieurs grands pays européens. Toutefois, ce n'est pas parce que la productivité est aussi mal mesurée qu'il faut s'en désintéresser. Selon nos propres estimations, la productivité par salarié dans le secteur marchand, qui avait crû au rythme annuel de 0,7% de 1999 à 2005, a atteint 2,0% en rythme annualisé au premier semestre, avec même un pic à 2,4% au second trimestre.
Encore plus important, la productivité horaire a accéléré de 1,3% en moyenne pendant les six premières années de l’Union monétaire, à 2,4% pendant les six derniers mois. Il y a certainement un élément cyclique et donc temporaire dans cette embellie. Je suis toutefois fermement convaincu que cela n’explique pas tout. La combinaison d’une accélération des restructurations d’entreprises européennes en réponse à la mondialisation, avec leurs lourds investissement dans les technologies de l’information, est une raison plus fondamentale de cette accélération de la productivité. Cela pourrait avoir des conséquences importantes pour les investisseurs.
Afin de mesurer la tendance de la productivité, nous partons des séries de productivité par salarié dans le secteur marchand dans la zone euro publiées par l’OCDE. Comme de nombreuses réformes du marché du travail – comme les 35 heures en France ou la régularisation des immigrés clandestins en Espagne ou en Italie – ont sérieusement faussé les chiffres, des corrections doivent être faites. De plus la tendance séculaire au développement de l’emploi à temps partiel réduit le nombre d’heures travaillées par salarié, même si en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et jusqu’à un certain point en France, le nombre d’heures par salarié à temps plein est probablement en hausse, dans la mesure où les accords de type Siemens avec les syndicats (durée du travail accrue mais compensation incomplète) se répandent progressivement sur le continent.
Il y a aussi une dimension cyclique dans l’emploi à temps partiel, plus flexible que l’emploi à plein temps : en conjoncture basse, les entreprises font porter l’ajustement d’abord sur le travail temporaire, ensuite sur les contrats courts, enfin renégocient les accords de travail à temps partiel. Par conséquent, la part des emplois à temps partiel croît actuellement plus vite que la tendance. En tenant compte de ces ajustements et de la réduction attendue de la croissance en fin d’année, vous aboutissez à une croissance de la productivité de 2,1% dans le secteur marchand cette année, à comparer avec le 2,2% du boom de l’année 2000, lorsque le PIB augmentait au rythme de 4,0% dans la zone euro. Une telle performance de productivité, alors que la croissance (autour de 2,5%) est beaucoup plus faible, est bien la preuve que cette amélioration n’est pas seulement cyclique.
Il est intéressant de noter que ces bonnes performances européennes en termes de productivité contrastent avec le ralentissement observé aux Etats-Unis. Du point de vue des marchés, cela devrait favoriser les bourses européennes en termes relatifs, dans la mesure où l’accélération de la productivité signifie aussi une hausse des profits en première analyse (comme en témoigne la hausse stupéfiante de la part des profits en Allemagne au cours des trois dernières années), et l’inverse en cas de ralentissement. En réalité, cela n’a pas échappé aux investisseurs : de janvier 2003 (2003 représente le point de retournement de la productivité du travail dans la zone euro) à aujourd’hui, les cours boursiers dans la zone euro, mesurés par l’indice Euro-Stoxx large, ont fait mieux que les cours américains (le S&P 500), de 42% dans la même monnaie. Si comme je le pense nous ne sommes qu’au début du renouveau de la productivité en Europe, les investisseurs à long terme devraient continuer à en tenir compte.
Cette embellie a également des conséquences importantes pour la politique économique. Une productivité rapide, c’est un bouclier précieux contre l’inflation. La vitesse limite de l’économie s’accroît, c’est-à-dire le taux de croissance au-delà duquel elle est en surchauffe. Pour la Banque centrale – qui réfléchit au niveau de taux d’intérêt assurant la neutralité de sa politique pour l’économie réelle – cette accélération structurelle de la productivité aura deux implications. A court terme, les pressions inflationnistes cycliques seront moins menaçantes que si la productivité avait continué à se traîner. Ainsi le risque de ne pas avoir suffisamment augmenté ses taux jusqu’ici pour endiguer l’inflation est faible. Actuellement, les marchés anticipent deux augmentation supplémentaires de 0,25% cette année, ce qui amènerait le taux de refinancement à 3,5%, c’est-à-dire 1,5% inflation déduite. La politique monétaire resterait expansionniste, sans risquer pour autant de raviver les braises de l’inflation, ce qui est très exactement le compromis que la BCE doit rechercher. Comme l’économie de la zone euro doit se préparer à affronter des vents contraires l’an prochain, comme le durcissement de la fiscalité en Italie ou en Allemagne, son taux de croissance devrait revenir en dessous de ses performances tendancielles. C’est pourquoi je prends le pari que la BCE sera pragmatique et baissera les taux d’intérêts dans le courant de 2007.
Mais à plus long terme, un potentiel de croissance plus élevé signifie également un rendement plus élevé des actifs, toutes choses égales par ailleurs. Et donc aussi un taux d’intérêt assurant la neutralité de la politique monétaire – ni stimulation excessive, ni charge pour l’économie – plus élevé. On n’a rien sans rien.
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