Europe : rien n’est vraiment réglé…. edit
L’adoption de la monnaie unique aurait dû être accompagnée d’une mise en commun des régulations et des supervisions bancaires dans la zone euro. Mais des réflexes souverainistes ou protectionnistes ont bloqué toute avancée sur le sujet. Les leçons de cette insuffisance ont-elles été au moins tirées ? Pas du tout, du moins pour l’instant.
Des montagnes de rapports se sont penchés sur la nécessaire remise à plat de la réglementation bancaire. Deux comités internationaux basés à Bâle (le Comité sur le contrôle bancaire et la Commission de stabilité financière) ont fait des propositions de grande sagesse qui tirent les leçons de la crise et qui représenteraient un progrès considérable et des règles de jeu communes s’ils étaient adoptés par toutes les places financières. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse ont adopté, ou sont en train de le faire, une grande partie de ces recommandations. Dans la zone euro, on réfléchit à la question, on s’égare dans des options politiquement faciles (encadrement des bonus et taxation) mais on ne touche pas au cœur des profits et des sources d’instabilité financière. On n’a même pas encore tiré au clair la situation des banques, comme l’illustre la bien tardive décision de leur faire passer des tests de stress, accompagnée de débats homériques sur la définition du stress (ce sera très doux) et sur la publication des résultats. Il faut dire que le lobby bancaire sait s’y prendre. Aux États-Unis, la réforme a avancé lorsque le Président Obama est allé en personne à Wall Street dire aux banquiers qu’ils doivent cesser de détricoter son projet. En Grande-Bretagne et en Suisse, les lobbies bancaires ont bataillé dur mais n’ont pas pu empêcher les réformes, encore qu’on peut s’attendre à un travail de sape sur les aspects techniques. En Europe continentale, en dehors de tout débat public, les banquiers semblent avoir convaincu les pouvoirs publics que la réforme proposée par les comités de Bâle n’est pas la bonne.
Une autre leçon est que les autorités de supervision bancaire ont failli. Ce n’est pas uniquement en Europe qu’elles n’ont pas saisi l’importance des risques qui s’accumulaient avant 2007, le phénomène est général. Certain pays en ont tiré les conséquences et pris des mesures intéressantes. C’est le cas des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la Suisse ou de l’Allemagne. Le plus vexant, sans doute, est que les organismes nationaux ont réussi, une fois de plus, à bloquer la création d’une autorité unique pour la zone euro. Le Rapport de Larosière avait avancé des propositions très limitées dans ce sens, mais il peine à être mis en œuvre.
La troisième leçon majeure de la crise des finances publiques en Europe est qu’une monnaie commune ne peut exister durablement que si la discipline budgétaire est instaurée dans chaque pays membre. Ce n’est pas une découverte. Déjà en 1989, le Rapport Delors avait mis l’accent sur ce point. Le Traité de Maastricht avait consacré trois articles à la question. Les deux premiers articles établissaient le principe que chaque gouvernement est seul responsable de son endettement, interdisant toute aide de la part d’autres gouvernements et de la BCE en cas de difficultés sur la dette. Le dernier article prévoyait le système de surveillance et de sanctions qui est devenu le Pacte de Stabilité et de Croissance. Le Pacte n’a pas fonctionné parce que les pays membres de la zone euro sont souverains en matière budgétaire : on ne peut pas leur donner des ordres et il est politiquement difficile de sanctionner un gouvernement ami démocratiquement élu.
Malheureusement, tant l’aide d’urgence à la Grèce que le Fonds de Stabilisation Financière créé au mois de mai dernier, ainsi d’ailleurs que l’aide accordée par le BCE, contredisent l’esprit, et peut-être même la lettre du Traité Européen. Ainsi une crise, qui au départ était grecque, est devenue celle de la zone euro dès lors que les autres gouvernements ont décidé de ne pas laisser tomber leurs collègues en difficulté. Pire, les marchés financiers, qui voient plus loin que les gouvernements, semble-t-il, ne se sont pas contentés des vagues promesses qu’on leur a servies, d’où la longue période de crise et d’incertitude qui a marqué les premiers mois de cette année, et instillé le doute sur la capacité des pays membres de la zone euro à comprendre et gérer ce qui était devenu une crise aigüe. Pire encore, la volonté affichée de durcir le pacte et les sanctions suggère que les gouvernements, la BCE et la Commission reportent toute la question de la discipline budgétaire sur un instrument, le pacte, qui a fait la preuve de son inefficacité. Bien sûr, l’objectif annoncé est de le rendre efficace mais rien n’est dit sur la contradiction fondamentale avec le principe de souveraineté en matière budgétaire. En misant tout sur cet instrument douteux, les autorités européennes laissent la question de la discipline budgétaire pour le moins incertaine. C’est ce qui inquiète les marchés et c’est une raison pour laquelle la crise perdure. On ne voit pas comment la zone euro peut en sortir.
Pour l’instant, la crise a cessé de se détériorer parce que les sommes mobilisées en mai sont effectivement considérables. Si les déficits des pays les plus visés par les marchés financiers (Grèce, Portugal, Espagne) diminuent dans les mois qui viennent, le calme va revenir, mais les lignes de fracture de la zone euro demeureront. Tous les pays prennent des mesures anti-déficit, mais ces mesures ne réussiront que si la croissance revient, ce qui est loin d’être certain en raison précisément de ces mesures. Si la reprise en cours s’essouffle et si les déficits se creusent, la crise reprendra avec encore plus de force. Peut-être est-il nécessaire d’en arriver là pour surmonter les résistances et les réticences qui empêchent de tirer les deux conclusions pratiques qui s’imposent :
- La réglementation et la supervision bancaire ne peuvent fonctionner qu’au niveau européen, parce que c’est une implication de la zone euro et du marché unique. Ces fonctions doivent être centralisées.
- La discipline budgétaire est l’affaire de chaque pays et c’est au niveau national que doivent être prises les mesures institutionnelles capables de mettre un terme aux dérives qui, depuis plusieurs décennies, ont fait grimper les dettes publiques. Le pacte de stabilité doit être décentralisé.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)