Le plan de relance n’est ni de gauche ni de droite edit
Sitôt annoncé, sitôt stigmatisé ! Le plan de relance serait un « de droite » car tourné vers les entreprises, l’investissement et ne comporterait même pas de conditionnalité sociale ! Paradoxe, les Allemands en organisant des transferts plus massifs au bénéfice des ménages auraient produit un « plan de gauche ». Là où le plan français cèderait aux prescriptions libérales, le plan allemand serait en rupture avec les prescriptions ordo-libérales.
Une telle approche est étonnante et déplacée : le plan de relance vise à relancer une économie qui va connaître en 2020 une baisse de PIB d’environ 10 %, selon toutes les prévisions actuellement disponibles, la pire jamais observée en France, en temps de paix, depuis 1848, qui d’ailleurs n’était pas une année de guerre mais quand même d’une révolution intérieure… On s’attendrait à ce que les analyses du plan de relance se penchent sur son efficacité à dynamiser une économie meurtrie, au bénéfice de l’emploi et de tous. Mais non, c’était sans compter avec le réflexe pavlovien d’une lecture obéissant à un seul filtre : un transfert est « de droite » ou « de gauche » selon qu’il est orienté vers les entreprises ou les ménages. Aider une entreprise à passer un cap difficile et à survivre relèverait ainsi d’une politique de droite tandis que la laisser disparaître et apporter un soutien financier à ses anciens salariés devenus sans-emplois relèverait d’une politique de gauche !
Il nous semble urgent d’abandonner une approche aussi désuète pour lui préférer celle obéissant à l’évaluation économique la plus rigoureuse : une politique est-elle efficace pour les objectifs qu’elle affiche, et donc ici le plan de relance est-il efficace pour relancer au mieux notre économie ? Mais bien sûr, une telle approche est plus exigeante, moins automatique et moins propice aux effets de tribunes médiatiques.
Le plan de relance est adapté à la situation
La réponse à la question de l’efficacité du plan de relance est à nos yeux indiscutablement positive. Oui, le plan de relance est adapté à la situation actuelle de l’économie française. Bien sûr, chacun pourra considérer que tel aspect aurait pu être un peu plus développé, un autre plus modéré, et les économistes ne ménagent pas leur énergie pour discuter de son équilibre sur ses différentes dimensions. Mais ces remarques critiques sont de second ordre par rapport à une appréciation globale du dispositif : par son volume et ses principales orientations, ce plan est adapté à la situation et répond aux urgences. Il ajoutera ses effets favorables à ceux d’une politique monétaire également ambitieuse qui garantit dans la zone euro (et donc en France) des conditions de crédit propices au rebond, à la fois par la facilité d’accès aux capitaux et par les niveaux des taux d’intérêt.
Le plan de relance est la troisième vague de l’intervention publique décidée par le gouvernement en réponse à la crise ouverte par la pandémie. La première vague, immédiate, a consisté à éviter de nombreux licenciements en créant des dispositifs massifs permettant le maintien des rémunérations de nombreux travailleurs plongés dans l’inactivité par le confinement. A ce jour, le coût du seul dispositif de chômage partiel est d’environ 30 Mds€. La seconde vague a été sectorielle, elle a permis à l’aéronautique, à l’automobile, au tourisme d’encaisser le choc. Un soutien financier a été apporté aux entreprises afin qu’elle ne soient pas condamnées à disparaître. Ce soutien a par exemple pris la forme, pour certaines très grandes entreprises stratégiques (Renault, Airbus, Air France…) de prêts et de recapitalisations, et pour l’ensemble des entreprises de l’ouverture des prêts garantis par l’Etat. Le plan de relance constitue le troisième grand volet de l’intervention publique.
Ce plan comporte trois volets à peu près équivalents en termes de masse financière. Le premier volet d’environ 30Mds€ concerne la transition écologique et comporte des mesures visant le transport (SNCF, soutien à l’achat de véhicules propres…), la rénovation thermique (des bâtiments publics et privés), le développement de technologies vertes dont un soutien à la filière hydrogène. Ces choix nous paraissent bienvenus pour la relance et le futur à long terme. Le troisième volet d’environ 35Mds€ veut renforcer la cohésion sociale et territoriale et comporte des mesures au bénéfice de la formation professionnelle, de la santé, ou visant à soutenir l’investissement des collectivités locales. Ici également, ces orientations nous paraissent adaptées. Le second volet d’environ 35Mds€ est en fait celui qui suscite les critiques politiques.
Il s’agit d’un soutien à la compétitivité et à l’innovation, avec une baisse des impôts de production, le soutien aux investissements d’avenir avec une approche par projets, et le renforcement pour seulement 3Mds€ (soit 3 % du plan de relance !) des fonds propres des entreprises. Sur ce dernier point, l’intervention peut même sembler sous-calibrée tant les impératifs sanitaires et l’activité arrêtée ou ralentie auront dégradé la situation financière et les fonds propres de nombreuses entreprises. Quand à la baisse des impôts de production, toutes les études disponibles montrent qu’il s’agit d’un des impôts les plus distorsifs et nocifs pour l’activité économiques et l’emploi ! Leur importance sinon leur existence est d’ailleurs assez spécifique à la France…
Débloquer la consommation des ménages
Certains disent qu’il aurait fallu soutenir le revenu et la consommation des ménages, par des dispositifs variés comme des chèques consommation ou bien une baisse transitoire de TVA comme l’Allemagne vient d’en faire le choix. On ne peut que s’interroger sur le diagnostic pouvant aboutir à une telle recommandation inadaptée à la situation française. Les ménages ont accumulé depuis le début du confinement une épargne énorme, qui devrait être de l’ordre de 100Mds€ fin 2020, une masse dépassant 4 % du PIB ! La mobilisation de cette épargne accumulée par un surcroit de consommation des ménages pourrait apporter une contribution décisive au rebond économique. Trois préoccupations peuvent inhiber une telle mobilisation. Tout d’abord, la crainte d’une seconde vague très forte de la pandémie. Les pouvoirs publics ont montré sur ce point, certes parfois de façon désordonnée, leur détermination. Que pouvons nous faire de plus maintenant ? Ensuite, la crainte d’un relèvement à venir des impôts pour financer les dépenses de crise. Les pouvoirs publics ont assuré qu’il n’y aurait aucune augmentation des impôts. Enfin, les craintes pour l’emploi qui nourrissent les comportements d’épargne de précaution, avec le risque d’effets auto réalisateurs : l’épargne supplémentaire renforce les difficultés économiques et donc les risques pour l’emploi. En ce domaine, les pouvoirs publics affichent une détermination totale pour renforcer le rebond et le plan de relance fait partie de cette communication.
Les baisses de TVA transitoires préconisées par certains pour dynamiser la consommation relèvent d’un raisonnement surprenant, et qui n’est guère convaincant. Il a été montré par diverses évaluations de telles baisses dans le passé qu’elles ont un impact essentiellement sur les achats d’automobiles et d’équipements ménagers via un simple effet de calendrier : les ménages anticipent ces dépenses pour bénéficier de la baisse transitoire de TVA. Autrement dit, l’effet est négligeable sinon nul à moyen terme, et une baisse de TVA transitoire, outre qu’elle serait très onéreuse, dynamiserait les dépenses des ménages dans un premier temps pour les affaiblir ensuite ! Et cette politique percuterait celle, plus ciblée, des aides à l’achat de véhicules propres qui vont être subventionnés par le plan de relance.
Outre les mesures de soutien à la consommation prévues dans le plan de relance, il nous semble que d’autres mesures non coûteuses pourraient être envisagées, plus adaptées que des baisses coûteuses et inutiles de TVA, comme l’assouplissement transitoire de dispositions réglementaires encadrant les soldes ou l’ouverture des magasins (le dimanche par exemple).
Bien sûr, des mesures ciblées de soutien aux ménages les plus fragilisés par la crise sont nécessaires. Elles devront être continument adaptées selon les évolutions de la situation et l’émergence de populations particulièrement précaires. Pour autant, ces dispositifs devront, comme les autres, être conçus pour ne pas décourager la recherche d’activité et d’emploi, ou l’inscription dans un parcours de reconversion, avec les éventuels besoins associés de formation professionnelle.
La mise en œuvre du plan de relance doit être flexible et efficace
Les difficultés à la mise en œuvre du plan de relance nous paraissent fortes, et il faudra que les pouvoirs publics demeurent continûment attentifs pour assurer son efficacité.
Deux aspects nous semblent devoir être signalés pour illustrer ces difficultés. Tout d’abord, les services publics vont devoir être très réactifs. Les dépenses de rénovation thermique ne font sens que si un effort de formation professionnelle adapté permet de former une main d’œuvre qualifiée pour ces travaux, et si la certification des entreprises intervenant dans cette activité peut associer exigence et rapidité. Par ailleurs, l’examen des projets innovants ou visant à la relocalisation appelle également une grande réactivité des services publics.
Le plan adopté est calé sur un schéma sanitaire et économique qui doit être évolutif, car la réalité diffère toujours des anticipations qui en ont été faites. Le plan de relance doit donc être flexible pour s’adapter aux changements non prévus, concernant les aspects sanitaires ou la conjoncture mondiale.
Le plan de relance n’est ni de gauche ni de droite. Il est à ce stade adapté à une situation très difficile. Il dépend maintenant de l’Etat que sa mise en œuvre soit performante.
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