Les perspectives des finances publiques pour 2023 edit
Le gouvernement vient de présenter ses projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ainsi que son projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.
J’examine dans cette note les prévisions pour 2023 de recettes, de dépenses, de solde et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques (Etat et administrations locales et sociales pour l’essentiel) qui sont associées à ces projets de lois financières.
Je ne remets pas en cause les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du gouvernement pour 2022, qui constituent le point de départ de mon analyse des perspectives pour 2023. Dans son avis du 21 septembre 2022, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a d’ailleurs considéré que les prévisions macroéconomiques du gouvernement pour 2022 sont crédibles et que sa prévision de déficit public est prudente au vu du dynamisme des recettes fiscales jusqu’à juillet.
Les recettes publiques
Le scénario macroéconomique pour 2023 associé aux projets de lois financières est caractérisé notamment par une croissance du PIB de 1,0 % en volume et de 4,6 % en valeur, une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5,0 % et une inflation de 4,2 % en moyenne annuelle.
Ces prévisions ont déjà été largement commentées et je me contenterai ici de rappeler l’avis du HCFP du 21 septembre. Celui-ci observe que la prévision de croissance du PIB en volume du gouvernement est supérieure à celle de la majorité des prévisionnistes (les prévisions publiées depuis début septembre sont généralement comprises dans une fourchette allant de 0 à 0,5 %). Compte-tenu de la fragilité de certaines hypothèses, par exemple sur l’environnement international, le HCFP considère que la croissance prévue par le gouvernement est « un peu élevée ». Les prévisions d’inflation et de masse salariale lui paraissent quant à elles « plausibles ».
À titre personnel, je pense que le risque d’une récession en 2023 ne peut pas être écarté compte tenu notamment des difficultés d’approvisionnement en énergie en Europe et du durcissement des politiques monétaires dans beaucoup de grands pays. Dans ces conditions, il me semble qu’une prévision de croissance comprise entre 0 et 0,5 % serait plus réaliste.
Si la croissance du PIB était nulle en 2023, mais avec des prévisions d’évolution des prix inchangées, le déficit public serait mécaniquement majoré d’environ 0,5 point de PIB par rapport à la prévision du gouvernement, ce qui le ferait passer de 5,0 à 5,5 % du PIB.
Le gouvernement prévoit une baisse importante du taux des prélèvements obligatoires (leur rapport au PIB), qui passerait de 45,2 % en 2022 à 44,7 % en 2023.
La diminution de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui subsiste après la réforme de 2021 contribue à réduire les prélèvements obligatoires (PO) de 4,1 Md€ en 2023. La dernière étape de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales y contribue pour 2,8 Md€.
En sens inverse, les derniers remboursements de CICE aux entreprises ont eu lieu en 2022 et se sont élevés à 5,6 Md€, ce qui majore d’autant les PO en 2023.
Beaucoup d’autres mesures législatives ont un impact en 2023 et, au total, elles conduisent à une baisse des PO d’environ 5 Md€, sans compter la hausse du nouveau prélèvement sur les producteurs d’énergies renouvelables. En effet, le soutien de l’État aux énergies renouvelables prenait jusqu’en 2021 la forme de subventions calculées en fonction des prix de marché de l’électricité. À partir de 2022, ces prix sont si élevés que les producteurs d’énergies renouvelables sont appelés à faire des versements à l’État qui sont considérés comme des PO dans les statistiques de finances publiques. Ces versements s’élèveraient à 9,6 Md€ en 2022 puis à 19,2 Md€ en 2023 et ils contribueraient donc pour 9,6 Md€ à la hausse des PO en 2023, mais leur montant est très incertain car très dépendant des évolutions du prix de l’électricité.
Au total, les mesures législatives et réglementaires contribuent à augmenter, et non à réduire, le produit des PO en 2023, d’environ 5 Md€. Le taux de PO diminue non pas à cause de ces mesures mais parce que la croissance des PO à législation constante (2,9 %) est inférieure à celle du PIB en valeur (4,6 %), ce qui correspond à une élasticité au PIB de 0,6, particulièrement faible.
Cette élasticité est proche de 1,0 en moyenne sur plusieurs années (1,06 de 1990 à 2021) et a rarement été aussi faible, mais une valeur de 0,6 ne serait pas inédite (elle était de 0,4 en 2013) et ferait suite à une valeur particulièrement forte en 2022 (1,5 avec les prévisions du PLF 2023). Elle peut s’expliquer par les caractéristiques de quelques grands impôts en 2023.
L’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation en 2022 limitera son produit en 2023 car les revenus imposables de 2022 augmentent moins que l’inflation. La baisse du taux de marge et du bénéfice fiscal des sociétés en 2022 contribueront à réduire le produit de l’impôt sur les sociétés en 2023. Le ralentissement des prix et des transactions sur le marché immobilier limitera la progression du produit des droits de mutation en 2023.
Au total, les prévisions de recettes publiques du gouvernement sont optimistes dans la mesure où le scénario macroéconomique est un peu trop favorable et il existe d’importants aléas sur l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB et sur le montant des versements des producteurs d’énergies renouvelables.
Les dépenses publiques
Le gouvernement prévoit une augmentation de 42 Md€ en 2023 des dépenses des administrations publiques hors crédits d’impôts (ceux-ci sont considérés comme des dépenses publiques en comptabilité nationale). Selon le HCFP, cette hausse est de 65 Md€ si on exclut les dépenses exceptionnelles que sont les plans d’urgence et de relance ainsi que les mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l’énergie.
Il est normal que les dépenses publiques croissent fortement lorsque le taux d’inflation est élevé. En effet, les prestations sociales sont presque toutes indexées sur l’inflation, les prix des achats de biens et services des administrations augmentent et les salaires des fonctionnaires doivent être revalorisés. Cette hausse de 65 Md€ des dépenses publiques non exceptionnelles correspond à une progression de 4,3 % quasiment égale à l’inflation prévue en 2023. Autrement dit, la croissance en volume (ou en euros constants) des dépenses publiques serait nulle en 2023, ce qui traduirait un degré de maîtrise de ces dépenses qui a été rarement atteint.
La croissance en valeur des dépenses publiques peut aussi être déflatée par l’indice du prix du PIB, ce qui donne alors une croissance en volume de 0,7 % de nouveau très faible au regard de son évolution passée.
À titre d’exemple des efforts demandés aux administrations, les crédits de la mission Défense du budget de l’Etat augmentent de 3,0 Md€ conformément à la loi de programmation militaire (LPM) de 2018, mais la LPM a été construite avec une hypothèse d’inflation bien plus basse et sans revalorisation du point de la fonction publique. Le ministère de la Défense fait donc un effort par rapport à ce qu’il pouvait espérer d’une prise en compte de l’inflation.
Il me semble toutefois que le gouvernement sous-estime la croissance prévisible des dépenses publiques en 2023. Par exemple, il suppose que les dépenses des collectivités locales baisseront nettement en euros constants et lui-même entend quasiment geler en euros courants les dotations de l’État aux collectivités locales, ce qui n’est pas réaliste.
Aucun crédit n’est prévu pour une revalorisation du point de la fonction publique. Or, s’il est difficile d’afficher une hausse qui serait perçue comme un point de départ de la négociation par les syndicats, on peut penser qu’il y aura une revalorisation compte tenu de l’inflation prévue.
Si le maintien des « boucliers tarifaires » contre les hausses des prix du gaz et de l’électricité est prévu, les aides à la consommation de carburants sont supposées ne pas être reconduites en 2023, ce qui est peu crédible.
L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) pour 2023 ne provisionne quasiment aucune dépense visant à limiter l’impact d’une nouvelle vague épidémique (tests, vaccins…).
La charge d’intérêts de la dette publique passerait de 42 Md€ en 2022 à 38 Md€ en 2023. Cette baisse s’explique par la réduction du coût de l’indexation d’une partie des obligations assimilables du Trésor (OAT) sur l’inflation en France et dans la zone euro. Le glissement annuel des prix fin 2023 étant supposé inférieur à celui de fin 2022, ce coût diminue. En revanche, l’augmentation du volume de la dette et de son taux contribuent à majorer la charge d’intérêts.
Le PLF 2023 repose sur des taux de l’OAT à 10 ans de 2,5 % fin 2022 et 2,6 % fin 2023. On peut craindre une hausse plus forte (ce taux était déjà de 2,7 % le 29 septembre 2022). Si les taux des emprunts publics étaient supérieurs de 1,0 point pour toutes les échéances sur toute l’année 2023, la charge d’intérêts serait majorée de presque 3 Md€ cette même année.
Au total, les prévisions de dépenses publiques du gouvernement pour 2023 traduisent en apparence une certaine rigueur mais elles seront vraisemblablement dépassées en exécution. Dans certains cas, on peut considérer qu’il s’agit d’une position de début de négociation avec les élus locaux (sur les dotations aux collectivités locales), les organisations syndicales de la fonction publique (sur la valeur du point) ou certains partis politiques (sur les primes à la consommation de carburants).
En outre, aucune réforme permettant des économies substantielles n’est documentée dans ces textes financiers à l’exception du recul de l’âge de départ en retraite dont les modalités restent à préciser.
Au contraire, certaines mesures comme la création de 11 000 postes supplémentaires dans les services de l’État et de ses opérateurs en 2023 auront des effets à la hausse sur les dépenses publiques au-delà de 2023 et sont peu cohérents avec les objectifs de dépenses du projet de loi de programmation des finances publiques (celui-ci fixe pour objectif la stabilisation des effectifs de l’Etat et de ses opérateurs de 2022 à 2027).
Le déficit et la dette publics
Le gouvernement prévoit une stabilité du déficit public en pourcentage du PIB, à 5,0 %, de 2022 à 2023. Il estime que le déficit structurel (déficit corrigé de l’impact des fluctuations conjoncturelles du PIB) sera de 4,2 % du PIB en 2022 et 4,0 % en 2023.
Les recettes étant plutôt surestimées et les dépenses sous-estimées, une hausse du déficit public en 2023 est plus probable.
Pour stabiliser la dette publique à 111,5 % du PIB (son niveau à la fin de 2022 selon le gouvernement) avec une croissance en valeur du PIB de 4,6 %, le déficit public doit être égal à 5,1 % du PIB. Le déficit prévu par le gouvernement pour 2023 permet donc de stabiliser la dette à ce niveau.
Le gouvernement prévoit en fait une légère décrue de l’endettement en pourcentage du PIB puisqu’il serait de 111,2 % à la fin de 2023. En effet, la variation de la dette d’une année à l’autre ne résulte pas seulement du déficit des administrations publiques mais aussi d’opérations financières portées directement à leur bilan comme les acquisitions et cessions d’actions. Ces opérations conduiraient donc à réduire légèrement la dette publique en 2023 mais les documents disponibles à la date de rédaction de cet article ne permettent pas de les identifier.
Si le déficit public est un peu plus élevé que prévu en 2023, la dette pourrait augmenter plutôt que diminuer de fin 2022 à fin 2023.
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