TVA sociale : le diable est dans les détails edit
Le concept de TVA sociale été remis au goût du jour, lorsque nos voisin d'outre-Rhin ont augmenté leur taux standard de TVA de 3 points tout en réduisant les cotisations sociales employeurs de 1 point. En principe, la TVA sociale consiste effectivement à financer des prestations sociales par une hausse de la TVA, ce qui se traduit par une baisse du coût du travail. L'idée de baisser le coût du travail est séduisante. Mais elle n'est pas sans risques sur le plan de l'inflation et à moyen terme sur l'allocation sectorielle des ressources ou des finances publiques.
Au premier abord, l’idée est bonne : le coût du travail est élevé en France, et la concurrence sur certains segments industriels en provenance de pays à moindre coût du travail est rude. La baisse du coût du travail devrait donc augmenter la compétitivité des entreprises nationales à court terme, et ensuite permettre des créations d’emploi supplémentaires sur le moyen terme pour l’ensemble des entreprises (y compris de service, et nationales), le coût du travail étant réduit de façon pérenne. En outre, la consommation n’étant pas mobile, comme peuvent l’être travail et capital, on n’a peu de chances de faire fuir le consommateur avec une TVA plus élevée.
Cela dit, la hausse de la TVA peut aussi se révéler coûteuse pour le consommateur, le prix des biens augmentant. Les prix des biens produits par les entreprises nationales peuvent n’augmenter que faiblement (les entreprises nationales répercutant dans les prix tout ou partie de la baisse du coût du travail), mais les prix des biens importés augmentent. La TVA sociale donne donc un avantage comparatif aux produits Made in France mais elle grève la capacité d’achat des consommateurs qui, au total, font face à des prix à la consommation plus élevés. En outre, puisque les prix augmentent, les revenus réels des prestations sociales sont aussi érodés; pour éviter cette érosion, il faut indexer ces prestations et là c’est le déficit public qui augmente d’autant.
La hausse de la TVA nécessaire pour neutraliser cette mesure sur le plan des finances publiques peut donc se révéler coûteuse. D’un point de vue purement comptable, un point de TVA (une hausse de 19,6%, le taux standard actuel, à 20,6% par exemple) rapporte entre 6 et 7 milliard d’euros, et pourrait donc financer presque en totalité l’exonération des cotisations sociales employeurs (déterminées par le gouvernement) sur le SMIC (qui se portent à 8 milliards d’euro), ou encore les exonérations de prestations sociales des heures supplémentaires sur lesquelles travaillent le gouvernement, évaluées à environ 5 milliards. Cela porterait le taux standard à près de 21%, un des plus élevés d’Europe (pour mémoire, le taux de TVA en Allemagne est aujourd’hui, après une hausse de 3 points de TVA, de 19%).
Que nous dit l’expérience des autres pays ? On retrouve, à ma connaissance, deux exemples de « TVA sociale » en Europe ; l’Allemagne en 2007 et le Danemark entre 1987 et 1989. Il est difficile de tirer des enseignements concrets de l’expérience danoise : entre 1987 et 1989, le gouvernement danois a augmenté la TVA de 3 points pour la porter à 25%, mais le timing malheureux en termes de conjoncture peut contribuer à expliquer que l‘expérience se solda par un taux de croissance trimestriel moyen de 0,1% pour le PIB sur la période 87-89, de -1,3% t/t pour la consommation, et le solde budgétaire passa d’un surplus de 3% du PIB en 1987 à -3% en 1991, alors que le taux de chômage grimpait de 5% en 1987 à 7.2% en 1990. Le Danemark entreprit ensuite une véritable refonte de son système fiscal, puisque aujourd’hui les recettes ne proviennent plus principalement de la TVA mais de l’impôt sur le revenu (53% des recettes fiscales, à comparer avec moins de 10% en France).
L’expérience plus récente de l’Allemagne s’est effectuée dans une conjoncture plus porteuse. Bien qu’il soit encore un peu tôt pour en tirer des conclusions complètes, nous disposons de quelques indicateurs : les différentes estimations suggèrent que la hausse de 3 points de TVA a ajouté autour de 1 point de pourcentage à l’inflation, un peu par anticipation fin 2006, et autour de 0,85 pp au premier trimestre de cette année. La répercussion de la hausse de TVA est dans ce cas légèrement inférieur aux hausses précédentes de TVA en Europe, non compensées par des baisses de cotisations (Allemagne 1998, France 1995, Italie 1997 ou encore Portugal 2005) ; dans ces autres cas, 1 point de hausse de TVA se retrouvait à hauteur de 0,5 à 0,6 dans les prix de consommation, en environ 3 mois. Très grossièrement, on peut donc se dire que l’impact d’une hausse de 1 point de la TVA en France, dans la mesure où elle s’assortirait d’une baisse de cotisations sociales, serait de probablement moins de 0,3 point sur l’inflation (aujourd’hui à 1,3% en croissance annuelle), donc relativement faible.
Du côté de la consommation, l’effet apparaît pour le moment plus dramatique : la consommation allemande s’est effondrée de 1,4% t/t au premier trimestre 2007, sans qu’il y ait eu de véritable effet d’anticipation fin 2006 puisque la consommation n’augmentait que de 0,3%. L’effet était plus marqué dans le secteur des biens : les ventes de détail ont chuté de 7.1% au premier trimestre (-2.9% en excluant les autos); ceci dit, les analystes prévoient un rebond de la consommation allemande au second semestre (+1.5%). Les « Cinq Sages Allemands » soulignent également que lors des expériences passées, la consommation reculait de 0.5pp pour 1 point de hausse de TVA le trimestre où celle-ci prenait effet. A titre de comparaison, la consommation du 1er trimestre en France n’a augmenté que de 0,5%.
Il est un autre effet dont il serait bon de tenir compte : tous les secteurs industriels ne sont pas égaux devant la TVA sociale : plus le secteur est confronté à la concurrence internationale et plus il est utilisateur de travail, plus il pourra profiter de la baisse des cotisations pour gagner de la compétitivité. Si le but est de soutenir l’industrie manufacturière type automobile, soumise à la concurrence internationale et qui voit de nombreux emplois délocalisés, alors procéder à des allègements de charge apparait comme une bonne stratégie… mais pas nécessairement si ceux-ci visent les bas salaires : dans le secteur automobile, le salaire mensuel moyen est de €2375, ce qui est bien au-dessus du SMIC. Comme la masse salariale du secteur automobile est de 2% de la masse salariale totale (secteur concurrentiel), ou 8 milliards d’euros : une faible hausse de TVA pourrait compenser de larges baisses de cotisations sociales. Le débat est différent pour les secteurs employant une large proportion de travailleurs faiblement payés, tels que le commerce et les services aux entreprises: intensifs en travail ils sont peu confrontés à la concurrence internationale. Pour soutenir l’emploi dans ces secteurs, une baisse de cotisations sociales pourrait cibler précisément les bas salaires. Egalement, cibler les allègements sur les bas salaires favorise bien les petites entreprises : le salaire moyen augmente avec la taille de l’entreprise et n’atteint €2000 que pour les entreprises de plus de 500 salariés.
Au total, baisser le coût du travail est une bonne idée pour accroître la croissance tendancielle dans la mesure où elle favorise l’emploi sur long terme. Faire supporter ce coût par la consommation, par nature non délocalisable, tout en bénéficiant d’un petit gain de compétitivité dans le court terme, même si ce n’est pas très coopératif avec nos voisins européens, c’est séduisant. Cela dit, il faut être conscient du coût que cela peut avoir sur la consommation de court terme, des possibles effets inflationnistes (qui resteront de court terme tant que l’indexation des salaires ne se fera pas automatiquement), de l’impact éventuel sur les finances publiques, et des possibles effets d’allocation sectoriels ! Le diable est dans les détails.
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