Un président réformateur? edit

23 janvier 2020

En politique lorsque tout va mal peu de personnes sont disposées à vous soutenir. Même ceux qui ont inspiré votre programme prennent prudemment leurs distances dans les médias (voir la tribune publiée dans Le Monde du 9 décembre 2019 par Philippe Aghion, Antoine Bozio, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry). Il y a comme un effet boule-de-neige, une spirale négative qui renforce jour après jour la défiance et la contestation.

Pourtant les présidents détestés finissent souvent, avec le temps, par être adulés, même lorsque leur bilan est bien maigre comme celui de Jacques Chirac, appelé cruellement mais justement un « roi fainéant » par un de ses successeurs. Emmanuel Macron connaîtra-t-il le même sort enviable d’un retour en grâce lorsqu’il se sera éloigné de l’arène politique ? Jacques Chirac a sans doute inspiré de la sympathie à cause de sa personnalité chaleureuse. Emmanuel Macron est, lui au contraire, souvent contesté, à cause de sa personnalité et de ses propos jugés parfois provocants. Mais après tout, pour le pays, le plus important n’est pas la personnalité du Président, mais l’action qu’il a menée et les réformes qu’il a conduites. Que penser donc, à mi-mandat, du bilan réformateur de l’actuel président, sans prendre en compte la réforme des retraites dont le sort est encore incertain au moment où j’écris ces lignes ?

Emmanuel Macron a engagé des réformes dans au moins trois domaines. On s'attachera plus longuement, ici, au premier, celui du marché du travail et de la formation. 

Marché du travail et formation

Ce premier domaine a connu plusieurs réformes-clés. Il y a d’abord, bien entendu, la réforme du code du travail engagée dès le début du quinquennat. Même si elle n’a pas été aussi loin que certains économistes experts du marché du travail l’escomptaient (comme Pierre Cahuc qui regrette que le périmètre des accords d’entreprise reste trop restreint), elle a voulu fluidifier le fonctionnement du marché du travail, simplifier les règles de la négociation et de la représentation du personnel et réduire l’insécurité juridique pour les entreprises des embauches et des licenciements : renforcement du rôle des accords d’entreprise, plafonnement des indemnités prud’homales, prise en compte du périmètre national pour apprécier la validité d’un licenciement économique, fusion des représentants du personnel dans une instance unique, mise en place de ruptures conventionnelles collectives permettant de proposer des départs volontaires aux  salariés sans que le motif soit d’ordre économique, voilà quelques-unes des mesures phares de cette réforme. Il est trop tôt pour en mesurer la portée (un comité d’évaluation a été mis en place sous la houlette de France Stratégie) mais on voit bien la logique : faire tomber quelques-unes des barrières et des rigidités du marché du travail qui engluent le pays dans un chômage massif depuis 40 ans.

La réforme de la formation professionnelle est un second axe qui a été engagé avec beaucoup de volontarisme et sans craindre de remettre en cause certaines chasses gardées syndicales ou politiques. Le mot d’ordre de cette réforme est l’individualisation et la libéralisation de l’offre de formation. Cette réforme est essentielle car, comme l’a souligné en 2017 un rapport de l’OCDE[1], la France souffre d’un grave déficit de compétences, notamment dans la tranche d’âge des 45-65 ans qui a reçu une formation de faible niveau dans sa jeunesse. Ce déficit pénalise à la fois les entreprises qui, dans certains secteurs, ne trouvent les qualifications adéquates et évidemment les personnes faiblement qualifiées qui rencontrent beaucoup de difficultés pour accéder à l’emploi. Or le système de formation professionnel actuel, mal orienté vers les besoins des personnes sortis du système éducatif avec une faible qualification, ne permet pas de résorber ce déficit.

La réforme est un véritable big bang car elle permet dorénavant aux utilisateurs d’avoir accès sans intermédiaire à leur compte personnel de formation via une application mobile alimentée en Euros (et non plus en heures de formation). Les opérateurs paritaires collecteurs agréés (OPCA), rebaptisés « opérateurs de compétences » (OPCO) et en nombre plus réduit (11 au lieu de 20) seront toujours gérés par les partenaires sociaux mais ne collecteront plus les cotisations formation, un rôle dorénavant dévolu à l'Urssaf. C’est un point important et qui met fin à beaucoup d’abus et de dysfonctionnements qu’avait mis en lumière dès  2011 un rapport pour l’Institut Montaigne de Pierre Cahuc, André Zylberberg et Marc Ferracci (actuel conseiller de Muriel Pénicaud)[2].  En effet la mutualisation des fonds censée être opérée par les OPCA fonctionnait en réalité principalement au bénéfice des grandes entreprises, ce qui faisait que, « en définitive, les cotisations des petites entreprises, majoritairement composées de personnel faiblement qualifié, contribuent à financer la formation de personnel déjà fortement qualifié des grandes entreprises » (rapport cité, p. 24-25). Entre outre ce système fonctionnait de manière contestable au bénéfice des organisations patronales et syndicales à travers trois mécanismes : le prélèvement de 1,5% des fonds récoltés qu’elles étaient légalement autorisées à effectuer ; les effectifs syndicaux employés par les OPCA (à l’époque François Chérèque estimait ce nombre à 800 à 1000 militants rien que pour la CFDT) ; enfin, l’orientation des fonds vers des prestataires liés aux organisations gestionnaires. Ces dispositions étaient légales (ou à la limite de la légalité dans le dernier cas), mais contribuaient finalement à détourner une partie notable des ressources de leur objet premier.

Dans l’ensemble le système était donc opaque, inégalitaire, peu efficace pour améliorer le niveau de formation, notamment des personnes peu qualifiées, et dispendieux.

Dans la foulée de la réforme de la formation professionnelle, le dispositif de formation des apprentis et de création de centres de formation d’apprentis (CFA) a été libéralisé et simplifié. Les régions ont perdu leur tutelle administrative et financière sur les CFA et les entreprises ont dorénavant la possibilité de créer leur propre CFA. L’entrée en CFA a été assouplie pour les jeunes (possibilité d’entrer en apprentissage jusqu’à 29 ans révolus, et possibilité d’entrer en cours d’année), et leurs conditions d’emploi améliorées (hausse des rémunérations et primes de 500€ supplémentaires pour passer le permis) tout en étant rendues plus flexibles (dérogation possible de la durée de travail de apprentis mineurs, réduction de la durée d’enseignement minimum, fin du recours obligatoire au Prud’hommes en cas de rupture du contrat). Le succès semble déjà au rendez-vous puisque sur un an, en septembre 2019, le nombre de contrats signés a progressé de 8,1% (Les Echos, 16 décembre 2019, « Les entrées en apprentissage à un plus haut historique »).

Encore une fois, la logique est celle du pragmatisme, de l’assouplissement, de la simplification et de la suppression de barrières réglementaires et administratives qui rendaient le dispositif moins facilement accessible.

Système de santé

Un second domaine de réformes très important concerne la santé, une préoccupation majeure des Français. La ministre et le gouvernement sont aujourd’hui fortement contestés par les professionnels de santé du secteur public hospitalier qui réclament plus de moyens. Mais au-delà de la stricte question du financement, question à laquelle les difficultés du système de santé sont loin de se réduire, le gouvernement a engagé une réforme structurelle. Un des objectifs essentiels de la loi Santé adoptée au Parlement le 16 juillet 2019 est de repenser l’organisation territoriale des soins de façon à combattre les inégalités d’accès en fonction du lieu de résidence. L’idée centrale de la réforme est de mieux articuler les soins de ville, l’hôpital et le secteur médico-social sur les territoires. Plusieurs mesures ont été prises en ce sens : développement des maisons de santé pluridisciplinaires qui regroupent plusieurs professionnels de santé, création de 4000 assistants médicaux pour décharger les médecins de tâches qui peuvent être déléguées, redéfinition des missions des hôpitaux de proximité pour les spécialiser dans les soins du quotidien en étroite collaboration avec la médecine de ville. L’esprit de cette réforme qui veut abattre les clivages entre les différents acteurs du système de santé semble être, là encore, de faire tomber les barrières administratives ou corporatistes qui nuisent à l’efficacité de la prise en charge des usagers.

Education

On pourrait ajouter à ce tour d’horizon (incomplet) des réformes déjà engagées sous ce quinquennat, celles entreprises par Jean-Michel Blanquer dans le système éducatif pour améliorer son efficacité en termes de réussite et d’apprentissages fondamentaux alors que la France occupe une place très moyenne dans les enquêtes PISA de l’OCDE. Là encore, il s’agit de combattre les inégalités, en mettant l’accent sur les compétences de base et leur acquisition dès le plus jeune âge (dédoublement des classes dans le primaire) et de rendre l’utilisateur plus libre de ses choix (fin des séries dans le secondaire et système d’options choisies par les élèves qui composent leur menu éducatif).

Finalement, l’ensemble de ces réformes dessine bien un programme social-libéral. Social parce que l’objectif est de faciliter l’accès aux dispositifs de l’action publique de ceux qui doivent en être les premiers bénéficiaires et qui en sont souvent exclus. Libéral parce que cette plus grande facilité d’accès est rendue possible par la suppression de rentes, de barrières à l’entrée et parfois simplement de lourdeurs et de complexités administratives. Libéral aussi, ou simplement pragmatique, parce que, dans certaines des réformes menées, le rôle des entreprises dans l’accès à l’emploi et à la formation ou du secteur privé dans le domaine hospitalier, est mieux reconnu et valorisé.

La difficulté politique d’un tel programme est qu’il est difficile à expliquer à l’opinion. Les dispositions sont souvent très techniques et les enjeux institutionnels sont souvent cachés. Les négociateurs qui participent aux débats et aux controverses qui accompagnent ces réformes connaissent ces enjeux cachés (le pouvoir et le financement des organismes paritaires par exemple) mais ne les dévoilent pas parce que c’est la règle du jeu. L’opinion en est donc totalement ignorante tandis que le débat se focalise souvent sur des questions idéologiques très éloignées de ces enjeux institutionnels. Quant aux bénéfices que peuvent en escompter les usagers, ils ne sont pas immédiats.

Ces difficultés rendent peut-être le bilan réformateur d’Emmanuel Macron à mi-mandat peu lisible et difficile à défendre devant l’opinion. Pourtant, même si le succès de chacune de ces réformes n’est pas assuré et devra être évalué, ce bilan paraît conséquent et en en tout cas bien supérieur à ceux des trois présidents au moins qui l’ont précédé.

 

[1] Obtenir les bonnes compétences : France, OCDE, 2017

[2] Formation professionnelle : pour en finir avec les réformes inabouties, Institut Montaigne, 2011