Hollande et l’Allemagne edit
L'acceptabilité sociale de l'austérité consécutive à la terrible crise financière qui frappe l'Europe ne cesse de s’éroder. D'abord parce que les gouvernements les plus réformistes se rendent bien compte que les perspectives de réduction des déficits publics à -3 % du PNB seront intenables, en France notamment. Et que sauf à engager d'ores et déjà des mesures punitives, Bruxelles sera obligé de concéder une marge de manœuvre supplémentaire à ces pays. À cela s'ajoute le fait que chaque fois qu’on la consulte, l'opinion publique européenne réagit négativement.
On le voit clairement en Grèce où la situation est gravissime et où comme on pouvait s'y attendre les élections n'ont guère permis de dégager une majorité claire capable de s'approprier le plan de rigueur. La perspective de nouvelles élections en Grèce est donc grande. Faudra-t-il alors attendre un coup d'Etat militaire pour prendre conscience du caractère intenable de la situation ? En Irlande, où la situation est heureusement moins préoccupante, les chances d'une victoire du oui au référendum sur le traité fiscal semblent s'amenuiser. Certes, la disparition de la clause d'unanimité permet de contourner l'obstacle et de permettre l'entrée en vigueur du pacte sans l'accord de tous. Mais cela ne réglera de toute façon rien. Car en l'état, ni la France ni l’Italie ne ratifieront le pacte fiscal. Même en Allemagne, les sociaux-démocrates dont le soutien est indispensable à la chancelière pour faire ratifier le paquet fiscal par le Bundestag semblent désormais poser des conditions fortes à leur accord.
Tout cela fait que l'Allemagne se trouve dans une situation d'isolement politique extrêmement grand puisqu'en dehors de la Finlande elle ne dispose pratiquement d’aucun soutien significatif dans la zone euro. Elle est non seulement accusée de dogmatisme monétariste mais jugée responsable de l'aggravation de l’asymétrie économique entre elle et ses voisins. Sa relative bonne santé économique lui permet de financer sa dette en-dessous de l'inflation alors que les autres Etats européens la financent avec des taux de trois points supérieurs à cette même inflation. Or avec le départ de Nicolas Sarkozy, Mme Merkel ne dispose plus d'allié politique en Europe.
Merkozy a été très utile aux Allemands car il leur a permis de se servir de la France pour faire valoir leur propre point de vue. Et si Sarkozy a accepté de rentrer dans ce jeu c'était dans le but essentiel de maintenir la centralité de la position française dans le dispositif européen, quitte à céder aux Allemands. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Allemands, qui ont longtemps été fédéralistes, ont depuis le début de la crise adopté une position résolument intergouvernementale pour faire avancer leur propre point de vue. Sur la forme, l'Allemagne a ainsi rejoint la position traditionnelle de la France qui a toujours milité pour une Europe des gouvernements. Mais sur le fond, c'est la France qui a perdu.
François Hollande est précisément décidé à changer de cap. Il croit profondément à la centralité de la relation franco-allemande en Europe. Mais il est assez réaliste pour se rendre compte que celle-ci est profondément déséquilibrée. Déséquilibrée en raison de l'affaissement économique de la France. Déséquilibrée aussi en raison des fortes divergences de vues que ces deux pays entretiennent sur la relation entre rigueur et croissance budgétaire. Il veut rompre avec le jeu de son prédécesseur qui entérinait les choix allemands pour mieux donner l'impression d'être au cœur de la décision. L'élection de François Hollande a d'ores et déjà sensiblement redistribué les cartes du jeu politique en Europe. Presque tous les gouvernements européens comptent sur lui pour modifier le rapport des forces. Jamais une élection française n’a d’ailleurs eu un tel retentissement en Europe. Y parviendra-t-il ? C'est toute la question. Mais pour le moment toutes les propositions qu'il a formulées sont en réalité tellement consensuelles qu'elles rendent difficile une opposition allemande.
Les quatre propositions de Hollande ne présentent d'ailleurs aucun caractère révolutionnaire: utilisation des ressources non déboursées des fonds structurels européens, recapitalisation de la Banque européenne d'investissement, création de project bonds, et taxation des transactions financières. De manière assez significative d'ailleurs, les deux propositions de son plan initial qui étaient le plus susceptibles de se heurter à l'opposition des Allemands, les eurobonds destinés à mutualiser les dettes et la transformation du mécanisme européen de stabilité en une banque capable d’emprunter auprès de la BCE, ont été retirées de son projet de mémorandum pour les dirigeants européens.
Malgré la gravité de la situation, François Hollande dispose donc de trois atouts face à l'Allemagne : l'irréalisme de politiques d'austérité trop fortes, la montée croissante des oppositions sociales à des choix qui reposent d'ailleurs très souvent sur un mauvais diagnostic (les déficits des comptes publics ne sont qu'une petite partie du problème européen et ne sont pas forcément à l'origine de la crise), l'existence d'un réel consensus en Europe en dehors de l'Allemagne pour changer de méthode et cela indépendamment de la couleur politique des gouvernements en place. Il bénéficiera de surcroît lors du sommet du G8 du soutien des États-Unis qui semblent aussi extrêmement inquiets du risque de déflation en Europe, une déflation qui ne peut que ralentir la reprise de la croissance chez eux. Historiquement, l'Allemagne n'a jamais tiré profit de son isolement. Et c'est probablement sur la base de cet argument politique historique qu'il lui sera possible de faire bouger l'Allemagne. Les Allemands ont d’ailleurs dejà bougé lorsque la BCE a commencé à financer les banques. Et elle semble désormais admettre qu’un peu plus d’inflation consécutive à une hausse des salaires ne serait pas forcément une catastrophe.
Certes, on pourra rétorquer que le nouveau consensus sur la croissance en Europe demeure très ambigu. Certains privilégient la relance de la croissance par la demande tandis que d'autres ne l’imaginent que par l’offre. Mais le propre du politique est de produire du compromis. Cela étant, il est absolument évident que dans un pays comme la France, la réduction des dépenses publiques et notamment les dépenses de fonctionnement de l'État qui sont souvent improductives est une condition indispensable de l'assainissement français. Mais par définition, les problèmes ne peuvent pas se régler tous ensemble et d'un même pas.
L'Europe est dans une situation où l’austérité est à la fois rejetée par les opinions publiques tout en inquiétant de plus en plus les marchés financiers. Il importe donc à ce stade d'envoyer tant aux opinions publiques qu’aux marchés des signes forts. Il n'est après tout pas si fréquent de voir les opinions et les marchés attendre la même chose.
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