Faut-il favoriser la mixité hommes-femmes chez les professeurs des écoles? edit
Le débat public ne s’est guère saisi d’une évolution pourtant majeure, qui concerne «le plus beau métier du monde» : entre les années 1950 et aujourd’hui, la profession de professeur(e) des écoles est passée d’une situation de quasi parité à une forte féminisation. Des spécialistes de l’enfance et de l’éducation commencent à pointer cet état de fait et appellent à maintenir voire à favoriser la mixité des enseignants.
Aujourd’hui, dans le premier degré, les femmes représentent en effet 84% des enseignant(e)s des écoles publiques et 91,5% des enseignant(e)s des écoles privées[1]. Il n’est ainsi pas rare qu’un élève traverse l’ensemble de sa scolarité maternelle et primaire (jusqu’à ses 11 ans) sans avoir fait l’expérience d’un enseignant homme.
Un premier argument en faveur de la mixité touche à l’égalité entre les élèves garçons et filles. Des études[2] montrent en effet que la similarité de sexe entre professeur(e) et élève peut avoir des effets significatifs sur le rapport de l’élève à la matière enseignée, sur la qualité de la relation maître-élève, sur les perceptions de l’enseignant(e) vis-à-vis du comportement de l’élève et même sur les performances scolaires de ce dernier. La faible mixité des enseignant(e)s pourrait ainsi contribuer – avec beaucoup d’autres facteurs – à l’écart moyen des résultats entre filles et garçons et à la surreprésentation des garçons dans les situations de difficultés d’apprentissage et d’échec scolaire.
Plusieurs auteurs soulignent ainsi l’importance de l’identification de l’élève à des professeur(e)s de même sexe[3]. Les filles comme les garçons peuvent bien sûr s’identifier à des femmes comme à des hommes. Mais, à des âges où se construit et s’affirme l’identité sexuée, les adultes de même sexe peuvent jouer un rôle identificatoire essentiel. La surreprésentation des femmes parmi les enseignant(e)s permet ainsi davantage aux filles de se reconnaître dans le corps professoral et de se sentir « chez elles » à l’école. Les garçons, en revanche, rencontrent rarement des hommes enseignants – du moins avant le collège – et doivent chercher à l’extérieur de l’école des modèles masculins (animateurs sportifs, héros de fiction, célébrités, etc.). Une difficulté vient de ce que nombre de ces figures identificatoires ont réussi en dehors de l’école, voire s’enorgueillissent d’avoir été de mauvais élèves (cf. le discours de certains sportifs de haut niveau, chanteurs ou acteurs)[4].
Un deuxième argument tient à la lutte contre les stéréotypes de genre[5]. Nous avons tendance, en France, à aborder cette question sous son versant cognitif et à construire des programmes visant à « faire réfléchir » les enfants sur leurs représentations de genre. Ce faisant, nous négligeons le fait que c’est avant tout au travers de leurs expériences relationnelles et quotidiennes que les enfants forgent et intériorisent ces stéréotypes. C’est donc avant tout en proposant aux enfants de vivre des interactions diversifiées entre garçons et filles et avec des hommes et des femmes que nous pouvons agir sur ces représentations. Permettre aux enfants, garçons et filles, d’interagir avec des adultes des deux sexes pourrait ainsi participer à flexibiliser leurs modèles de genre, à enrichir leur palette identificatoire et à se forger des images renouvelées des hommes (et du rôle qu’ils peuvent jouer dans la vie des enfants).
Si le faible niveau de mixité du corps enseignant devient un sujet d’attention, c’est aussi en raison de deux autres phénomènes de société. Au-delà des seuls enseignants, une grande partie des professions qui prennent en charge les enfants sont désormais occupées majoritairement par des femmes : médecins, assistant(e)s de service social, infirmiers(ères) scolaires, psychologues, orthophonistes, juges aux affaires familiales, juges des enfants, etc. Dans le même temps, l’augmentation des familles monoparentales et des ruptures de lien père-enfant (notamment dans les suites d’une séparation parentale) laissent de nombreux enfants sans père. Ces différents facteurs cumulés aboutissent à une situation déséquilibrée où de plus en plus d’enfants, garçons et filles, peuvent potentiellement traverser leur enfance sans nouer de liens significatifs avec des représentants de la moitié de l’humanité adulte. Dans ce contexte, le maintien d’une relative mixité parmi les enseignants n’est plus un détail[6].
Tous les enfants, garçons et filles, peuvent souffrir de cette restriction de leur expérience identificatoire. Mais c’est peut-être chez des garçons que le manque de modèles masculins au sein de l’école peut entraîner les effets les plus délétères. On observe ainsi des phénomènes de contre-identification à l’école, perçue comme étant intrinsèquement féminine. Des garçons en viennent à rejeter la scolarité et à transgresser les règles de l’école pour affirmer leur masculinité, c’est-à-dire leur différence vis-à-vis d’un univers qui leur apparaît comme étant fait par des femmes et pour les filles (qui d’ailleurs y réussissent mieux qu’eux). Paradoxalement, l’absence de figures masculines à l’école participe ainsi à la reviviscence de cultures virilistes et machistes[7].
Au-delà de ces divers arguments en faveur de la mixité des professeur(e)s des écoles, une autre motivation symbolique peut être avancée, qui touche à la promotion de la mixité comme valeur. Étant donné que l’école est obligatoire et qu’elle est la première instance de socialisation des futurs citoyens, il pourrait sembler souhaitable que ses agents représentent la société dans sa diversité, notamment sexuée[8]. En ce sens, la mixité des enseignant(e)s pourrait être promue pour elle-même, sans avoir à justifier d’un quelconque avantage mesurable, de la même façon qu’on soutient la parité dans des instances politiques ou dirigeantes.
Pour favoriser la mixité du corps enseignant, le sociologue François Dubet[9] propose de mettre en place rien de moins qu’un système de discrimination positive envers les candidats masculins aux concours. Mais c’est aussi en amont, au stade de l’orientation des élèves du secondaire ou des adultes en reconversion, qu’il semblerait possible d’inciter des garçons et des hommes à considérer les métiers de l’enseignement (ou du moins à lever les freins à des vocations potentielles). Or de plus en plus d’études et de rapports regrettent que, depuis quarante ans, les politiques françaises en faveur de la mixité des métiers ne marchent que sur une seule jambe : elles encouragent les filles à aller vers les métiers majoritairement masculins, mais quasiment jamais l’inverse[10]. Les méthodes qui ont fait leurs preuves avec les filles et les femmes pourraient ainsi être réemployées à destination des garçons et des hommes pour maintenir, voire pour favoriser leur présence dans un corps de métier qui a un fort impact sociétal.
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[1] Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance, Bilan social 2020-2021 du ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports. Enseignement scolaire, 2021, p. 23.
[2] Thomas S. Dee, « Teachers and the Gender Gaps in Student Achievement », The Journal of Human Resources, Vol. 42, No. 3, 2007, p. 528-554 ; NaYoung Hwang, Brian Fitzpatrick, « Student-Teacher Gender Matching and Academic Achievement », AERA Open, 2021, Vol. 7, No. 1, p. 1-11.
[3] Jean-Louis Auduc, École : la fracture sexuée, Fabert, 2015, p. 89-93 ; Stéphane Clerget, Nos Garçons en danger ! École, santé, maturité, Flammarion, 2015, p. 59-65.
[4] J.-L. Auduc, École : la fracture sexuée, op. cit., p. 84.
[5] Deevia Bhana, Kevin F. McGrath, Penny Van Bergen, Shaaista Moosa, « Why having both male and female teachers is a good idea for schools », The Conversation, 1er octobre 2019.
[6] Christine Castelain Meunier, L’Instinct paternel. Plaidoyer en faveur des nouveaux pères, Larousse, 2019, p. 166-168.
[7] Jean-Louis Auduc, Sauvons les garçons !, Descartes & Cie, 2009, p. 68.
[8] Kevin F. McGrath, « We need to rethink recruitment for men in primary schools », The Conversation, 16 octobre 2016.
[9] « La mixité, un idéal à réinventer », La Croix, 27 janvier 2010.
[10] Françoise Vouillot, « L’orientation, le butoir de la mixité », Revue française de pédagogie, n° 171, 2010, p. 59-67 ; Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, Évaluation des actions publiques en faveur de la mixité des métiers, rapport établi par Marie-Ange Du Mesnil Du Buisson, Paulo Gemelgo et Frédéric Wacheux, avril 2017, p. 52-55.