La fin du miracle chinois? edit
La bourse de Shanghai a lourdement dévissé au mois d’août et le taux de change du RMB a (un peu) baissé. Dans la foulée, toutes les grandes bourses du monde se sont affaissées et bien des devises de pays émergents ont carrément plongé. Des fameux BRICS, il ne reste guère que l’Inde à bien se porter, et encore. Mais que se passe-t-il donc en Chine?
Lorsque la grande crise financière a éclaté à New York en 2008, les dirigeants chinois ont sorti le grand jeu pour éviter un ralentissement de leur croissance économique (de l’ordre de 10% par an durant la décennie précédente). Les robinets du crédit bancaire ont été ouverts en grand. Les gouvernements locaux ont été priés d’emprunter pour financer des travaux d’infrastructure. Les entreprises, publiques et privées, ont été encouragées à accroître leurs capacités de production. Le crédit surabondant a aussi financé une explosion de la construction immobilière et les cours boursiers se sont envolés. Alors que la plupart des pays développés plongeaient dans la récession en 2009 et peinaient ensuite à en ressortir franchement, la Chine est devenue la locomotive du monde économique. Dans la foulée, les producteurs de matières premières, dont la Chine est grande consommatrice faute de ressources naturelles, ont connu des années fastes. Cela a profité entre autre à l’Afrique qui, pour la première fois, semblait vraiment décoller durablement. Le vieux monde passait la main aux pays émergents.
Mais cela ne pouvait pas vraiment durer. Les prix de l’immobilier sont devenus excessifs, on a parlé de bulle. Il en allait de même des cours boursiers. Les investissements productifs ont été excessifs : la Chine a aujourd’hui les moyens de produire deux fois plus d’acier ou de ciment qu’elle n’en a besoin. Certains gouvernements régionaux se sont endettés de manière parfaitement déraisonnable. Cela fait un moment que l’on savait que quelque chose devait arriver. La question était : atterrissage en douceur ou crise majeure?
La Chine va devoir subir une cure de désintoxication, pas très différente de celle subie par le Japon au début des années 1990, ou par les États-Unis et l’Europe après 2008. Trois cas similaires, trois réponses différentes et trois résultats tranchés. Le Japon a adopté la politique de l’autruche : la cure a été différée, remplacée par des politiques de relance sporadiques. Depuis lors, la croissance a été en moyenne nulle, tout comme le taux d’inflation. Le Japon en est toujours à essayer de s’extraire de ses décennies perdues. Aux États-Unis, les autorités ont donné la priorité à la restructuration du système bancaire et au soutien à l’activité par la politique monétaire et, un peu, par la politique budgétaire. L’économie est repartie rapidement, modestement d’abord, plus fermement ensuite. L’Europe a adopté une approche intermédiaire : restructuration lente et partielle, politiques budgétaires d’austérité et une politique monétaire qui a beaucoup tardé à être franchement expansionniste. Sans surprise, la croissance a tardé et elle est poussive.
Quelle approche va adopter la Chine ? Il est difficile à ce stade de discerner les intentions du gouvernement, mais un scénario à la japonaise pourrait bien se produire. Face aux secousses boursières les autorités ont commencé par injecter des liquidités pour soutenir les cours. Elles ont aussi interdit un certain nombre d’opérations spéculatives. Ces réactions ont inquiété les marchés. Vu la taille économique du pays, elles ont provoqué d’autres secousses ailleurs. Ce qui inquiète, c’est que ces actions ne suggèrent pas une vision stratégique claire. Les injections de liquidités semblent indiquer un refus de l’assainissement puisque la bourse de Shanghai est encore 40% au dessus de son niveau du début de l’année. Vouloir interdire la spéculation peut être vu comme un retour en arrière dans le processus de libéralisation graduelle en cours depuis plusieurs années. Alternativement, on peut y voir une réaction de panique face à une secousse prévisible, et d’ailleurs prédite.
En parallèle, la banque centrale a annoncé un changement de régime du taux de change et une dévaluation. Cette dévaluation, pourtant minime (2% au départ, environ 4% au total) a déclenché une panique dans les pays émergents qui craignent une guerre des monnaies, c’est-à-dire des vagues de dépréciations compétitives. On a ainsi vu dévisser les devises de la Malaisie, du Kazakhstan, du Brésil et de l’Afrique du Sud. Les Chinois ont été surpris de l’ampleur de ces réactions. Ils affirment qu’ils avaient simplement l’intention de mettre en place un abandon très progressif de leur politique de fixité du taux de change. C’est une étape, longtemps débattue, pour atteindre l’objectif d’internationalisation de la monnaie chinoise. Cet objectif vise à démontrer la puissance économique et financière du pays en concurrençant le roi dollar. Il semble qu’ils aient déroulé leur programme d’internationalisation sans réaliser à quel point la situation était délicate sur les marchés boursiers.
Comment interpréter ces différents faux-pas ? Une première réponse est que les différentes bureaucraties qui sont en charge de différents segments de marché découvrent le phénomène d’instabilité financière sans vision d’ensemble. Une autre interprétation est plus politique. Il est peu probable que la libéralisation économique et financière fasse l’unanimité au sein du Parti communiste. Dans un tel contexte, chaque secousse financière constitue une menace pour la direction actuelle du parti et, en premier lieu, pour le président Xi Jinping. Ceci expliquerait, de manière générale, l’extraordinaire lenteur du processus de libéralisation enclenché il y a plus de quarante ans sous Deng Xiaoping, mais aussi les réactions confuses de ces derniers jours. Ces deux interprétations ne sont pas mutuellement exclusives, d’ailleurs. Dans le premier cas de figure, il s’agirait d’erreurs de jeunesse et la bureaucratie se réorganisera rapidement. Dans le second cas, en revanche, à l’incertitude sur les marchés financiers pourrait s’ajouter de l’incertitude politique, un mélange parfois détonnant et honni des investisseurs.
L’expérience, si souvent répétée, est que la libéralisation économique et financière induit une crise de « nettoyage » des excès initiaux. C’est sans doute le processus qui vient de s’enclencher en Chine. Contrairement à ce qu’on s’imagine parfois, les crises financières se mettent en place lentement. À la différence des tremblements de terre, cela commence par de petites secousses qui paraissent vite maîtrisées, et qui peuvent l’être mais qui le sont rarement parce que la réaction instinctive des autorités est de minimiser les risques. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis entre les prémisses d’août 2007 et la déflagration de septembre 2008. La Chine fera-t-elle mieux ? Les Chinois pensent que oui, parce qu’ils ont des ressources financières importantes et parce que, comme la libéralisation n’est pas complète, et de loin, ils ont beaucoup de leviers en main. Il faut espérer qu’ils ont raison, car l’économie mondiale n’est pas en bonne forme. Une nouvelle secousse pourrait faire beaucoup de dégâts.
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