Globalisation financière : le temps du reflux ? edit
Un des bouleversements de l’économie mondiale durant la crise est le coup d’arrêt marqué des flux financiers internationaux. La globalisation financière avait procédé à un rythme rapide depuis le milieu des années 1990, principalement sous la forme d’investissements croisés entre pays : le pays A accumulait des créances substantielles sur le pays B, lequel accumulait de son côté un montant similaire de créances sur le pays A. La globalisation a donc pris la forme de diversification de portefeuille, où chaque pays accumulait des actifs à l’étranger tout en accroissant ses dettes envers les investisseurs internationaux, plutôt que de prêts unidirectionnels où des pays étaient débiteurs et d’autres créditeurs. Cette évolution est très nette dans les flux financiers entre pays, lesquels sont passés de 5 % du PIB mondial au début des années 1990 à 20 % à la veille de la crise.
La situation a abruptement changé avec l’éclatement de la crise financière à l’été 2007, les flux financiers internationaux chutant alors à 2 % du PIB mondial. La crise marque-t-elle alors la fin de la globalisation, voire le début d’une ère de repli soutenu ? Cela est peu probable, quand bien même l’activité bancaire internationale pourrait accuser une réduction durable.
Il convient tout d’abord de souligner l’hétérogénéité substantielle de la situation durant la crise. S’il est tentant de concevoir LA crise comme un phénomène global, un examen plus poussé révèle des différences substantielles à travers le temps, les pays, et les différents produits financiers. La période depuis l’été 2007 peut se diviser en trois étapes. Une première étape de crise va de la mi-2007 à la fin de l’été 2008, c’est-à-dire à la veille de la chute de Lehman Brothers. Durant cette période les flux financiers internationaux ont simplement ralenti, mais se sont maintenus. Les investisseurs du pays A se sont contenté de réduire le rythme auquel ils acquéraient de nouveaux actifs dans le pays B. La chute de Lehman Brothers a marqué le début d’une période de panique d’environ six mois. À ce moment les flux financiers changent de direction : les investisseurs du pays A ont non seulement cessé d’acheter des actifs dans le pays, mais ont en plus substantiellement vendu les actifs qu’ils détenaient déjà et rapatrié leurs fonds. Les investisseurs du pays B ont fait de même, et l’on assiste alors à un repli sur les marchés domestiques dans les deux sens. La situation s’est stabilisée au deuxième trimestre 2009, et les flux ont alors repris leur direction initiale, les investisseurs du pays A recommençant à acheter des actifs dans le pays B.
La situation est également très contrastée en termes géographiques. Alors que les pays émergents étaient d’habitude les premières victimes des crises financières, celle-ci a plus fortement touché les pays industrialisés. Le ralentissement des flux dans la première étape de la crise est en fait essentiellement un phénomène « nord-nord », plus particulièrement entre les États-Unis et l’Europe. Les flux de et vers les pays émergent en revanche sont demeurés stables. Si le repli durant la période de panique était généralisé, la situation diffère à nouveau durant la période de reprise depuis le second trimestre de 2009. Alors que les flux demeurent anémiques parmi les pays industrialisés, ils retrouvent presque leurs niveaux d’avant la panique en Amérique Latine et en Asie, même s’ils demeurent faibles en Europe de l’Est.
Enfin, l’évolution des flux n’a pas été uniforme à travers les différents produits financiers. L’activité bancaire en particulier sort du lot. Avant la crise, les banques ont constitué un facteur important dans la globalisation financière. L’activité transatlantique des banques s’est fortement accrue, alors que les banques de l’Union européenne ont accru leur présence dans les autres pays de l’Union et dans les pays voisins d’Europe de l’Est. Durant la crise, les banques ont été les premières touchées. La période initiale de crise est avant tout marquée par des tensions sur les marchés interbancaires, et le ralentissement des flux internationaux est avant tout le résultat d’une réduction de l’activité bancaire. Un premier repli des banques sur les marchés domestiques est observé au second trimestre de 2008 après la crise de Bear Stearns. Si les flux reprennent à l’été 2008, le repli généralisé durant la période de panique est conduit par un retranchement massif des activités bancaires. Ce retranchement se poursuit durant 2009, à un rythme moindre, et seule la reprise des flux dans d’autres catégories permet aux flux totaux de retrouver leur direction initiale.
Quelles leçons tirer de cette expérience ? Tout d’abord, la crise n’a pas affecté les flux financiers de manière aveugle. En fait, c’est plutôt la période de boom précédente qui était caractérisée par une situation inhabituellement homogène. Quand les investisseurs pensaient que le risque était minimal, ils ne se préoccupaient guère de la situation spécifique des pays. La crise peut être lue comme un retour de la perception de risque. Les investisseurs ont alors recommencé à évaluer les caractéristiques des différents pays. On observe en effet que les pays aux fondamentaux plus fragiles (par exemple avec un déficit marqué de la balance courante), et donc plus vulnérables à un retour du sens critique des investisseurs, ont subi un retrait plus prononcé des flux financiers. Ensuite, la hausse de la perception du risque a affecté les différents types de placement de manière différente. Si elle n’a que peu d’implication dans les investissements dans la durée, elle affecte fortement les intermédiaires financiers, dont les banques, qui ont une inadéquation entre des placements illiquides et des dettes de court terme. Sans surprise, les pays où les banques représentent une part importante des investissements transfrontaliers ont connu un repli plus aigu des flux financiers. Enfin les pays plus exposés aux aléas de la conjoncture mondiale, par le biais du commerce international par exemple, ont vu leur flux chuter de manière plus marquée.
La globalisation financière va-t-elle être plus limitée à l’avenir ? À ce stade toute projection comporte un élément marqué de spéculation. Néanmoins, il est probable qu’une réduction de l’activité financière internationale devrait être concentrée sur certains secteurs. Au premier rang figure le secteur bancaire. Les établissements, ainsi que les régulateurs, ont durement (re)découvert les risques liés à l’activité bancaire transfrontalière. Les États qui ont dépensé des fortunes pour sauver leur système bancaire seront vraisemblablement peu enclins à laisser ces établissements reconstruire leurs activités à l’étranger sur la même échelle, ou du moins imposeront des règles prudentielles plus strictes.
En revanche, d’autres formes de globalisation financière pourraient retrouver rapidement leur niveau d’avant la crise. Par exemple, les perspectives de rentabilité des investissements directs, qui se concentrent sur une optique de long terme, n’ont pas été entamées par la crise. Le scénario le plus probable est donc que l’intégration financière retrouve ses niveaux d’avant la crise, sauf dans le secteur bancaire. Comme les bénéfices macroéconomiques d’une forte activité interbancaire internationale (comme entre l’Europe et les États-Unis avant la crise) demeurent discutables, un tel développement pourrait somme toute s’avérer plutôt bénéfique.
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