La Pologne dans l’UE: une crise durable? edit
« [La Pologne] décide d’aller à l’encontre des intérêts européens sur de nombreux sujets [...], [elle] décide de se mettre en marge de l’histoire, du présent et du futur de l’Europe », a tonné Emmanuel Macron à la fin du mois d’août, de Varna en Bulgarie où il achevait sa tournée en Europe centrale. Alors que son déplacement avait surtout pour objectif de convaincre les États de la région d’accepter le principe d’une révision de la directive européenne sur les travailleurs détachés, dont la Pologne est le premier pourvoyeur (plus de 450 000 par an), le président français a ostensiblement snobé Varsovie. Par ce geste comme par ses déclarations, il a clairement signalé qu’il était prêt à faire prévaloir sa vision de l’intégration européenne sans se soucier de l’avis d'un gouvernement polonais qui, a-t-il précisé, « n’est pas le porte-parole de l’Europe de l’Est ».
En ce qui concerne les travailleurs détachés, il n’a peut-être pas eu tort, puisque la veille de son étape bulgare, le Premier ministre polonais Beata Szydło avait confirmé en conférence de presse qu’elle « ne changerait pas sa position [et qu’elle] la défendrait jusqu’au bout ». Toutefois, ce rejet de l’Europe sociale – la Pologne est également opposée aux projets de socle européen des droits sociaux et de directive sur les congés parentaux – est loin d’être l’unique manifestation du fossé grandissant qui la sépare des institutions européennes et de la majorité des États membres.
Force est de constater qu’aujourd’hui, Varsovie nage contre le courant dominant dans tous les dossiers considérés comme prioritaires à Bruxelles : renforcement de la zone euro, gestion des réfugiés, Europe de la défense, politique énergie-climat et enfin l’Europe sociale déjà mentionnée. Ajoutons que dans chacun de ces thèmes, les positions de l’actuel gouvernement ultra-conservateur au pouvoir depuis 2015 ne sont pas en fin de compte très éloignées de celles de la précédente majorité, pourtant réputée europhile et libérale.
Commençons par la monnaie unique. Bien que la Pologne se soit engagée à l’adopter lors des négociations d’adhésion, aucune date n’est fixée dans les traités et les autorités polonaises n’ont jamais fait de pas significatif en direction d’un changement de devise, qui requerrait une révision de la Constitution. En février dernier, la banque centrale a même fermé sa cellule en charge de préparer l’intégration à la zone euro. Pour sa part, le Premier ministre Beata Szydło a répété en mars qu’« il n’y a[vait] pas de plan d’introduction de l’euro en Pologne car le maintien du zloty [était] plus avantageux pour le pays ».
Tout en refusant de rejoindre la zone euro, la Pologne fait obstruction au modèle d’Europe à deux vitesses qui impliquerait un renforcement de la zone euro. Là où le précédent gouvernement avait opté pour la stratégie du pied dans la porte et adopté les pactes budgétaire et Euro Plus, l’équipe actuelle avait menacé en mars de ne pas signer la déclaration des 27 pour le 60e anniversaire des traités de Rome si le document faisait référence à l’intégration différenciée.
Sous couvert de vouloir préserver l’unité de l’UE, Varsovie redoute surtout que la création de nouveaux mécanismes et institutions propres à la zone euro, en particulier un budget distinct, ne conduise à une diminution des crédits de l’UE-27 dont la Pologne est le premier bénéficiaire (67 milliards d’euros sur la période 2007-2013 et plus de 80 milliards pour 2014-2020).
En matière de réfugiés, l’État polonais fait actuellement l’objet d’une procédure d’infraction ouverte par la Commission européenne en raison de son refus d’accueillir des demandeurs d’asile relocalisés de Grèce et d’Italie dans le cadre du mécanisme de solidarité adopté en septembre 2015. La Pologne, gouvernée à cette date par le parti libéral, avait renâclé à adopter la décision mais ne s’était pas opposée afin de ne pas se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires européens.
Alors que Varsovie abrite le siège de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, les autorités polonaises refusent toute solidarité aux États membres de l’UE les plus exposés aux afflux de demandeurs d’asile et ne veulent pas entendre parler d’une révision des règles de Dublin qui font porter sur ces pays une responsabilité excessive et insoutenable dans l’accueil des réfugiés.
En plus de ne pas appliquer le mécanisme européen de solidarité, l’État polonais viole les normes internationales du droit d’asile en refoulant vers la Biélorussie des ressortissants russes de nationalité tchétchène qui se présentent à sa frontière pour demander une protection internationale. Les mesures provisoires prononcées par la Cour européenne des droits de l’Homme et exhortant la Pologne à recevoir ces demandeurs d’asile sont pour le moment restées lettre morte.
À propos de l’Europe de la défense, outre le rejet dans d’étranges circonstances de l’offre de l’avionneur européen Airbus de devenir son cinquième pilier industriel en passant commande de 50 hélicoptères Caracal, Varsovie est réticente à rejoindre la coopération structurée permanente sur le point d’être activée. En dépit de l’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, la Pologne continue de considérer l’OTAN et les États-Unis comme les seuls fondements sérieux de sa sécurité. De l’avis du ministre des Affaires étrangères Witold Waszczykowski, les soldats américains devraient même disposer d’une « carte verte de résident permanent » sur le Vieux Continent car eux seuls garantissent la sécurité de l’Europe. Enfin, la satisfaction du ministre de la Défense Antoni Macierewicz d’avoir en un an remplacé 90% des officiers de commandement à l’état-major, pourtant expérimentés et jouissant de la confiance des alliés occidentaux, fait craindre de lourdes pertes de capacité opérationnelle de l’armée polonaise.
Sur le thème de l’énergie et du climat, malgré d’importants problèmes de smog et de pollution atmosphérique transfrontalière, la Pologne refuse d’abandonner le charbon sur lequel repose 80% de sa production d’électricité. Contrairement aux idées reçues, cette énergie n’est pas moins chère que les autres et les pouvoirs publics doivent déverser chaque année des milliards d’euros de subventions pour tenir à bout de bras des charbonnages aux coûts de production supérieurs à la concurrence russe, ukrainienne, voire australienne ou sud-africaine.
D’ailleurs, tout en critiquant les achats de gaz russe par les grandes compagnies d’Europe occidentale et en défendant son industrie minière au nom de l’indépendance énergétique, la Pologne importe de plus en plus de charbon... russe, moins cher et de meilleure qualité. En parallèle, Jan Szyszko a été le seul ministre de l’Environnement européen à saluer la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord de Paris.
Au-delà des divergences sur le fond des dossiers, il y a également un problème de style et un conflit de valeurs. Le gouvernement polonais est la cible d’une procédure de sauvegarde de l’État de droit et de deux procédures d’infraction pour une loi qui porte atteinte à l’indépendance de la justice ainsi que pour des coupes d’arbres dans la forêt primaire de Białowieża, classée Natura 2000. Dans cette dernière affaire pourtant peu stratégique, la Pologne refuse d’exécuter une mesure provisoire de la Cour de justice de l’UE, une première dans l’histoire de cette juridiction établie en 1952.
Si les violations flagrantes et répétées du droit communautaire et de la Constitution nationale ont commencé avec l’arrivée au pouvoir en 2015 du parti réactionnaire Droit et justice (PiS), il serait cependant erroné de supposer qu’il suffirait d’une nouvelle alternance à Varsovie pour refaire de la Pologne le « bon élève de l’UE ».
Bien que les Polonais se classent depuis des années dans les enquêtes d’opinion parmi les peuples les plus favorables à l’Europe, une récente étude de la fondation Batory apporte un éclairage nouveau sur ce soutien à l’UE qu’elle qualifie de « plat » et dépourvu de profondeur. Autrement dit, lorsque les Polonais sont interrogés sur les valeurs ou sur le fond des politiques publiques, une majorité se trouve à revers du courant dominant dans le reste de l’Europe. Un sondage publié début juillet a même révélé que 51% des Polonais préféreraient quitter l’UE que d’accueillir des réfugiés de pays musulmans. Une telle sécession n’est pas à l’ordre du jour. Mais on aurait tort de voir dans les tensions actuelles un simple accident de parcours.
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