Vers un changement de régime aux États-Unis? edit
Où vont les États-Unis ? Une fois passée la brève euphorie suivant l’élection de Joe Biden en novembre 2020, les nouvelles préoccupantes se sont succédé. Ce fut non seulement l’attaque du Capitole du 6 janvier mais des sondages de plus en plus défavorables pour la présidence Biden et, enfin, les résultats désastreux des élections locales du 2 novembre dernier. L’analyse de ces différents éléments montre que l’évolution des forces politiques joue de plus en plus en défaveur du Parti démocrate et conforte un Parti républicain dominé par une faction extrémiste prête à remettre en cause les mécanismes traditionnels de la démocratie américaine.
Une victoire ambiguë de Biden
Dès l’élection de Biden, des commentaires contradictoires ont tenté de tirer les leçons du scrutin. Alors que certains soulignaient qu’avec 7 millions de voix de plus que Donald Trump, il avait bénéficié d’un large soutien des électeurs américains et donc de la possibilité d’engager un programme ambitieux de réformes des esprits plus pessimistes rappelaient que Trump avait obtenu lui-même un volume exceptionnel de voix et qu’un déplacement de 50000 voix dans quatre Etats-clés du Middle West lui aurait donné une majorité au sein du collège électoral.
Ce qui confirma le point de vue des pessimistes fut le décompte final des sièges au Congrès. Une fois toutes les contestations résolues, il est apparu que les Démocrates avaient perdu une quinzaine de sièges, ce qui leur laissait une étroite majorité de six sièges. Ce résultat décevant est interprété par les politistes comme signifiant que les électeurs avaient voulu obtenir le départ de Trump jugé trop incompétent dans la gestion de la pandémie mais qu’ils conservaient leur confiance dans des élus républicains et notamment dans des femmes, un fait nouveau dans un parti dominé par le sexe masculin.
Une autre leçon du scrutin de 2020 a été l’incapacité des Démocrates à percer au Texas et en Floride, deux États qui font preuve d’un grand dynamisme démographique et économique et qui restent fermement ancrés dans le camp républicain. Contrairement aux pronostics de certains instituts de sondage, les Démocrates ne parvinrent pas à gagner des sièges dans les circonscriptions à majorité latino, un signe inquiétant pour un parti qui mise depuis des décennies sur les minorités non blanches.
Un an après l’élection de Biden, le verdict des sondages est aussi négatif pour le président. D’après le site spécialisé Five Thirty Eight, il y a en moyenne un écart de neuf points entre les électeurs qui désapprouvent Joe Biden (51,9%) et ceux qui le soutiennent (42,8%). De tels chiffres sont de très mauvais augure pour l’issue des Midterms de novembre 2022 au cours desquelles seront renouvelés la totalité du Congrès et un tiers du Sénat.
Il s’avère que le Parti démocrate doit affronter simultanément deux défis : un désaveu d’une partie de son électorat et un fonctionnement des institutions qui lui est totalement défavorable.
Le désaveu d’une partie de l’électorat
Les récentes élections partielles, très défavorables aux Démocrates, ont montré qu’une grande partie des électeurs indépendants, ceux qui ne sont affiliés à aucun parti et qui représentent environ 40% du corps électoral, ont abandonné le parti de Biden pour voter Républicain. Cela explique notamment le succès de Youngkin, élu gouverneur de Virginie avec l’appui de 54% des indépendants. Pour ces derniers, comme pour une large majorité des électeurs, l’enjeu principal est l’état de l’économie et de l’emploi. Or, les États-Unis affrontent une inflation persistante, de l’ordre de 6% en moyenne annuelle et une forte hausse du prix des combustibles. Dans ces conditions un récent sondage de CNN indique que 58% des personnes interrogées estiment que Biden n’accorde pas assez d’attention aux problèmes importants et la grande majorité d’entre eux pensent que ce qui est le plus important est l’état de l’économie. Il en résulte que les ambitieuses réformes engagées par Biden en matière de rénovation des infrastructures et d’aide aux familles et aux catégories les plus défavorisées n’ont guère d’impact sur l’opinion.
Une autre source de déception pour les Démocrates est le comportement des minorités non blanches. Celles-ci représentent environ 30% du corps électoral et ne cessent de progresser en raison de l’immigration et de leur dynamisme démographique. Pendant longtemps, les Démocrates ont cru qu’en raison du soutien qu’ils apportaient à la défense des droits de ces populations, leur suffrage était acquis. La réalité est beaucoup plus nuancée. Il est exact que les Afro-Américains qui représentent environ 13% du corps électoral votent démocrate à 90%. Il en va différemment pour les Latinos et les Asiatiques qui représentent ensemble 17% des électeurs et 21% de la population. L’analyse du scrutin présidentiel de 2020 par le Pew Research Center montre que 32% des Hispaniques et 34% des Asiatiques ont voté pour Trump. Des études plus fouillées par État soulignent le caractère hétérogène de ces populations dont les choix électoraux dépendent dans une large mesure de leur origine. Les Cubains et les Vénézuéliens votent Républicains, de même que les Vietnamiens.
Rien ne permet de croire que les orientations de ces électorats évolueront en faveur des Démocrates. En effet, alors que la communauté afro-américaine est stabilisée autour de 13% de la population, on constate une progression régulière des Latinos et surtout des Asiatiques, notamment des Indiens qui n’ont pas d’attachement particulier pour le parti de Biden.
Le clivage croissant entre les deux grands partis joue aussi contre les Démocrates qui ne peuvent espérer gagner à leur cause des Républicains modérés. Un sondage Gallup indique que si 90% des Démocrates approuvent Biden, ils ne sont que 6% dans le camp républicain. Plus grave encore, 65% des électeurs républicains sont convaincus que c’est Trump qui a gagné les élections, un pourcentage qui augmente au fil des mois.
La révolte des États républicains
Le Parti républicain est donc plus que jamais sous l’influence de Trump et de sa fraction la plus extrémiste. Or ces responsables, qui ont le soutien d’électeurs convaincus de la nécessité de reconquérir et conserver le pouvoir à tout prix, se soucient de moins en moins des règles qui ont fait la réussite de la démocratie américaine. La leçon qu’ils ont tirée de la défaite de leur candidat en 2020 est que leur contrôle sur le système électoral n’était pas suffisant. Dans la plupart des États républicains (une vingtaine sur les trente que contrôle le Grand Old Party), ils procèdent au vote de nouvelles dispositions électorales qui permettent d’écarter des électeurs des minorités et de centraliser les décisions relatives au scrutin au profit des politiques et donc des partisans de Trump.
Cette fièvre législative illustre une réalité qu’on a tendance à oublier en Europe : les États-Unis ont un régime fédéral et les États bénéficient de larges pouvoirs, notamment pour le découpage des circonscriptions et l’organisation des scrutins. Comme le montre une étude récente de Five Thirty Eight, le redécoupage partisan (gerrymandering) rend pratiquement invincibles les majorités républicaines dans les États du Sud, tels que le Texas, l’Alabama ou la Louisiane. Quand on sait que sur 50 États, trente sont contrôlés par les Républicains, on mesure l’ampleur du défi pour les Démocrates.
Les perspectives pour les élections présidentielles de 2024 sont donc très préoccupantes. Si, comme il est probable, les Républicains regagnent la majorité dans les deux Chambres lors du scrutin de 2022, ils pourront orienter le résultat du vote de manière décisive puisque la Constitution autorise le Congrès à prendre la décision finale sur le choix du président. Or beaucoup de Républicains sont convaincus que s’ils avaient eu la majorité au Congrès en 2020, ils auraient pu rejeter les résultats du scrutin et proclamer la victoire de Trump. Apparemment le refus d’accepter les résultats du suffrage universel ne les gêne pas, signe d’une crise majeure de la démocratie.
Face à cette crise, le Parti démocrate semble mal armé pour l’affronter et défendre les valeurs traditionnelles du pays. Il est profondément divisé entre une aile gauche et une aile centriste. Quand on examine la situation électorale des élus, on constate que les porte-parole de la gauche tels qu’Alexandria Ocasio-Cortes sont issus de circonscriptions où les Démocrates bénéficient d’une solide majorité. Les centristes, eux, sont élus de zones qui ont souvent penché en faveur des Républicains et qui peuvent à nouveau basculer à droite. Il est par conséquent extrêmement difficile de concilier des opinions qui sont étroitement liées à leurs chances de réélection et donc à leur survie politique.
Dans ces conditions, on ne peut que prévoir que le Parti républicain, qui est minoritaire sur le plan national, ne revienne au pouvoir en 2024 grâce à une exploitation sans scrupules des règles du système électoral et des pouvoirs des États qu’il contrôle, et sous l’égide d’une Cour suprême très conservatrice.
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