L’avenir de la coalition gouvernementale italienne edit
Le thème qui domine le débat politique italien est celui de la survie du gouvernement de coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 Etoiles après les prochaines élections européennes.
L’impression souvent exprimée est que le gouvernement est fragile et qu’il est prêt à tomber, compte tenu de ses divisions internes, sur le projet du train à grande vitesse entre la France et l’Italie, sur l’autonomie des régions, ou sur n’importe quel autre sujet qui oppose les deux partis de cette étrange coalition. Certains commentateurs pensent que la question de la survie du gouvernement sera tranchée par le vote européen de mai. Au jour d’aujourd’hui les sondages font état d’un progrès important de la Ligue dans les intentions de vote et d’un déclin symétrique des 5 Etoiles par rapport aux élections d’il y a un an. Les données de sondages sont confortées par les résultats des élections régionales dans les Abruzzes et en Sardaigne, où cette tendance se confirme. Les intentions de vote pour la Ligue, au niveau national, tournent autour du 32%, comparé aux 17% des suffrages obtenus lors des élections législatives de 2018. Quant aux 5 Etoiles, l’estimation est de 22% contre 33% en 2018. On ne peut nier qu’il s’agit là d’un bouleversement susceptible de déstabiliser la coalition.
Une alternative à la coalition?
Avant d’évoquer les raisons qui pourraient pousser les deux partis à maintenir malgré tout leur partenariat, il faut se demander s’il existe une majorité alternative à celle du gouvernement en place. Si l’on fait l’hypothèse qu’à la suite des élections européennes auront lieu des élections législatives anticipées, quelle est la probabilité pour que l’une des forces politiques – parti ou coalition – puisse obtenir la majorité absolue des sièges au Parlement ?
La seule certitude est qu’aucun parti politique ne pourra obtenir à lui tout seul la majorité absolue. Le système électoral en vigueur, tout en étant mixte, est en réalité essentiellement proportionnel. Sa caractéristique principale est que les deux tiers des sièges sont attribués à la proportionnelle tandis que le dernier tiers est attribué au moyen d’un mode de scrutin uninominal de circonscription à la majorité relative. Il est certain aussi que la seule coalition alternative qui pourrait espérer obtenir la majorité absolue au Parlement serait une coalition de tous les partis de droite qui inclurait la Ligue, Forza Italia (Berlusconi) et Fratelli d’Italia (une formation nationaliste de droite radicale) ; une telle coalition a pendant longtemps caractérisé la politique italienne sous le leadership de Silvio Berlusconi. Mais aujourd’hui son leadership serait incarné par Salvini, ce qui représente un changement de première grandeur.
Il y a un an, l’alliance électorale de droite avait gagné 265 des 630 sièges de la Chambre des députés et 137 sur 315 au Sénat. N’ayant pas obtenu la majorité, elle s’était défaite au lendemain des élections, la Ligue s’alliant alors avec le Mouvement 5 Etoiles pour gouverner. La Ligue avait obtenu lors de ces élections un très bon score dans les régions du Nord, un succès sans précédent dans les régions du centre, mais un résultat médiocre dans le Sud du pays. Là, les 5 Etoiles avaient atteint une moyenne de 42% des suffrages et conquis 84 sièges uninominaux sur les 101 et la coalition de centre-droit 13. Aujourd’hui, le déclin des 5 Etoiles et la forte croissance de la Ligue, y compris dans le Sud de la péninsule, permet de faire l’hypothèse qu’en cas d’élections anticipées la coalition guidée par Salvini pourrait gagner dans cette partie du pays un nombre suffisant de collèges uninominaux (circonscriptions) pour lui permettre de conquérir la majorité absolue au Parlement. Sur la base des estimations actuelles, un tel résultat semble envisageable. Donc, la réponse à la question de départ sur l’existence possible d’une majorité alternative à la majorité actuelle est positive. Reste à savoir si Salvini choisira cette option plutôt que celle de poursuivre la coalition avec le Mouvement 5 Etoiles. C’est ici qu’il faut prendre en compte les intérêts des deux acteurs politiques.
Un mariage qui pourrait durer
Pour ce qui concerne le Mouvement 5 Etoiles, la tendance que l’on observe aujourd’hui est celui d’une hémorragie régulière de ses voix au profit de la Ligue de Salvini. En outre sont apparus récemment des signaux assez clairs indiquant un reflux des anciens électeurs de centre-gauche qui avaient migré vers les 5 Etoiles entre 2008 et 2018 et qui sont en train de revenir vers le Parti Démocrate en passant aussi par l’abstention. Tenant compte de ce phénomène on pourrait se demander si, dans le cas d’une nouvelle défaite aux élections européennes, il ne s’exercera pas au sein du Mouvement un pression pour retourner à l’opposition. Un tel renversement ne nous paraît pas évident. Il existe en effet plusieurs signes, à partir des positions prises récemment par Di Maio, qui font apparaitre une détermination de rester coûte que coûte au gouvernement avec la Ligue. Si cela est vrai, la menace d’une fin anticipée de la coalition qui gouverne le pays ne viendra pas des 5 Etoiles. Elle ne pourrait venir alors que de la Ligue.
Quel serait, faut-il alors se demander, l’avantage que celle-ci pourrait tirer de la rupture d’une alliance qui, jusque à aujourd’hui, ne lui a rapporté que des bénéfices comme partenaire junior de la coalition ? Il s’agit d’évaluer les coûts et les bénéfices. Il ne fait pas de doute que les deux partis sont éloignés l’un de l’autre du point de vue programmatique et idéologique. Malgré cela, jusqu’à aujourd’hui, cette distance n’a pas empêché Salvini de mener à bien une partie de son agenda politique sans devoir faire face, au-delà des déclarations verbales, à une véritable opposition des 5 Etoiles sur un nombre significatif de points de son programme. Si elle veut rester au gouvernement, on ne voit pas pourquoi la Ligue, après des élections européennes qui la renforceront, devrait abandonner une disponibilité au compromis que le Mouvement a montré pour sa part jusqu’ici. Même si, au premier coup d’œil, l’alternative d’un gouvernement de droite semble plus homogène politiquement et plus fonctionnelle, elle présente en réalité pour Salvini l’inconvénient considérable de l’obliger à négocier avec Berlusconi, même s’il le fait en position de force. Berlusconi représente inévitablement le vieux monde de la politique italienne, celui-là même qui a été éliminé par la vague anti-establishment du « dégagisme ». On ne saurait non plus sous-évaluer la distance entre la Ligue et Forza Italia à propos de l’Union européenne et, plus généralement, en matière de politique étrangère.
Tout compte fait, il est donc vraisemblable que le gouvernement italien restera en place, au moins pour un certain temps après les élections européennes. Il reste à voir quelle seront dans les prochains mois l’influence de la récession économique et la réaction des marchés vis-à-vis des grandes manœuvres économiques qui auront lieu autour de l’élaboration du budget de l’État.
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