Le choix inquiétant des Républicains edit
Dans leur entretien commun dans le Journal du dimanche du 21 mai, Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, les trois leaders des Républicains, ont voulu affirmer qu’ils avaient clairement choisi leur positionnement politique pour les temps à venir. Ce positionnement est articulé sur trois axes majeurs : un durcissement de la politique migratoire, une affirmation du souverainisme et un projet de révision profonde de nos institutions. Il est voisin de celui du Front national et de celui d’Éric Zemmour. Sur le plan idéologique et programmatique il reconstitue l’unité des droites, excluant du même coup toute entente parlementaire de LR avec la majorité actuelle. Ce projet, sous tous ses aspects, est profondément archaïque. Il est aussi très inquiétant.
Pour prouver leur détermination à mener une « véritable » politique de l’immigration, les trois leaders ne se contentent pas des mesures restrictives classiques : reconduite à la frontière, refus de régulariser, remise en cause des aides, adoption de la méthode des quotas. Ils entendent s’attaquer à la source du problème. Or cette source réside dans un ordre juridique fondé sur des droits universels garantis par des conventions européennes et sur le pouvoir d’interprétation et de sanction du juge. Pour donner enfin aux Français ce qu’ils réclament, les Républicains rompent avec leur héritage et leurs valeurs en prônant trois mesures radicales : une réforme constitutionnelle pour élargir l’objet du referendum à la politique de l’immigration ; une remise en cause de la primauté de la norme juridique européenne sur la norme nationale ; et une primauté de la décision politique sur son interprétation juridique.
À rebours du processus de la construction européenne
Il est frappant de constater avec quelle légèreté les Républicains renoncent aux principes et à la réalité de la construction européenne pour ne considérer que cette dimension de leur zèle anti-immigration, la construction européenne étant fondée sur des politiques communes et une démarche d’intégration progressive. La supériorité de la norme juridique européenne sur la norme nationale est constitutive du projet européen et ne saurait être écartée au nom d’intérêts dont la définition serait laissée à la discrétion de chaque nation. Qu’un pays veuille conserver la pleine maÎtrise de sa politique migratoire est envisageable à condition de négocier d’emblée une clause d’opt out comme l’a fait par exemple le Danemark. Seule une remise en cause des Traités pourrait à présent permettre à la France de s’exonérer de politiques communes auxquelles elle a librement consenti. Mais à supposer même que les Républicains veuillent provoquer une crise européenne et remettre en cause notre adhésion à l’Union, la France reste tenue par les exigences de l’État de droit qui s’appliquent par exemple au regroupement des familles comme une jurisprudence constante l’a établi.
Cela les pousse dans leur discours vers des positions intenables pour la France telles que celles de la Hongrie et de la Pologne ou, encore pire, vers une sortie de l’UE, sur le modèle qui s’est avéré catastrophique du Brexit. En réalité, il s’agit sans doute de pure rhétorique politique. La France ne peut pas plus que l’Italie s’opposer à l’UE. On a vu le revirement politique radical, après son accession à la tête du pays, de la Première ministre Giorgia Meloni, farouchement ennemie de l’UE pendant des années. Cette rhétorique disqualifie LR vis-à-vis des partenaires allemands de la CDU, au sein du Parti populaire européen. En outre, avant de revenir sur la question constitutionnelle des référendums, leurs thèses sur le problème de l’immigration sont tout à fait irréalistes.
Le problème des migrants, qui doit être traité, ne peut peut-être résolu – surtout en ce qui concerne la France – qu’à l’échelle de l’Union. Et notamment en accord avec l’Italie. Beaucoup de migrants arrivent en Italie car l’Afrique notamment est plus proche de Lampedusa que de Paris, mais ils ne veulent pas rester dans la péninsule qui n’est qu’un point de passage. On voit mal comment la France pourrait bâtir un mur trumpien sur les Alpes. Ce n’est qu’avec des accords bilatéraux que l’on pourra essayer de régler le problème, pas avec une rhétorique nationaliste.
À cela s’ajoute la proposition réactionnaire et dangereuse de révision de la Constitution consistant à compléter son article 3 en proclamant que « nul ne peut devenir français s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française ». Cette vieille notion, particulièrement floue, que l’on croyait abandonnée, peut être entendue de toutes les façons y compris les plus restrictives.
Un antiparlementarisme assumé
Pour faire adopter cette nouvelle politique migratoire, LR remet à l’honneur la pratique du référendum, partageant ainsi la tendance antiparlementaire de la droite et de la gauche radicales et rompant avec le ralliement des gaullistes au parlementarisme rationalisé opéré après le départ du général de Gaulle. Cette évolution est dangereuse.
En effet, si Marine le Pen est élue présidente de la République, et en admettant que la tripartition des forces politique se perpétue à l’Assemblée après les prochaines législatives, la nouvelle présidente, si elle ne dispose pas de la majorité absolue, tentera de gouverner, comme elle l’a dit explicitement, par des référendums, tout compromis avec le centre ou les gauches étant alors exclu. Or c’est ce gouvernement par référendums que proposent aussi les Républicains aujourd’hui. Dans ces conditions, la démocratie directe-référendaire, soutenue par la mythologie juridique de la souveraineté populaire, s’imposera à la démocratie représentative, paralysée, elle, par l’absence de majorité absolue au Palais Bourbon. La pratique du gouvernement par appel constant au peuple est la forme constitutionnelle la plus dangereuse du populisme et du césarisme. Ce danger est d’autant plus grand que le projet de révision de LR élargit considérablement le champ du référendum (article 11) en proposant que désormais, le président puisse soumettre au référendum tout projet de loi ou tout projet de loi organique quel qu’en soit le sujet.
Les référendums peuvent tout à fait se combiner avec la démocratie représentative (art. 3 de la Constitution), mais à certaines conditions. Il faut d’abord rappeler que le sens de l’expression souveraineté populaire, dans la démocratie représentative, consiste dans la pratique de l’autorisation à gouverner donnée par les citoyens électeurs aux Assemblées législatives et, depuis 1962, au président de la République. Autorisation sans mandat impératif, mais sous le contrôle des électeurs à l’échéance du mandat (ou en tout cas lors des prochaines élections en cas de dissolution). Le président de la République peut certes décider de la tenue d’un référendum sur proposition du gouvernement ou des deux assemblées pour régler des questions controversées. Mais puisque cette procédure réduit le choix populaire à la simple dichotomie oui-non, il faut que la question soit passible d’une réponse binaire dont le contenu et les conséquences du choix soient claires. Ce n’est donc pas un mécanisme de décision qui peut porter sur des normes complexes et plurielles. On sait en outre que, notamment si la conséquence du choix est difficile à évaluer de la part des électeurs, ils se décident plutôt en fonction de leur relation à l’acteur politique qui propose le référendum que sur le contenu de la proposition – comme on l’a bien vu dans le cas du référendum sur le traité constitutionnel de l’Union Européenne en 2005. Le gouvernement par référendum signerait en réalité la mort du régime représentatif rationalisé.
LR à quitte ou double
Quelle est la rationalité politique de ce choix des dirigeants de LR ? À court terme, il semble destiné à rétablir l’unité au sommet du parti et à le sortir des profondes contradictions révélées lors du vote de la loi sur les retraites. En outre, l’ensemble des droites sont probablement majoritaires aujourd’hui dans l’électorat. Le calcul de LR serait alors de participer à une coalition gouvernementale majoritaire avec le RN après les prochaines élections. Il s’agirait donc là d’un choix éminemment stratégique. Une telle analyse ne convainc pourtant pas aisément. D’une part l’union des trois dirigeants sur cette ligne politique n’annonce pas nécessairement celle de l’électorat LR dans son ensemble. D’autre part, ni le RN ni LR n’ont pour l’instant montré une appétence à s’entendre et, moins encore, à gouverner ensemble.
Il faudrait alors comprendre le tournant de LR comme une tentative de concurrencer l’extrême-droite sur son propre terrain comme l’avait fait, avec une réelle réussite, Nicolas Sarkozy en 2007. Si c’est le cas, le pari est fort osé. Toutes les données de sondage montrent en effet un si large écart de popularité entre Marine Le Pen et les leaders LR que la tentative de rejouer 2007 paraît vouée à l’échec. Reste alors une interrogation sur les raisons du choix de LR. Une autre hypothèse serait qu’il ne s’agit pas en réalité d’un choix stratégique mais seulement tactique. Si c’est le cas, LR a pris un risque majeur, oubliant, comme le disait le Cardinal de Retz, qu’« on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». En se coupant clairement du centre-droit, LR prive certes le gouvernement de majorité, mais, en même temps, il se met dans les mains des populistes, perdant toute autonomie réelle d’action à l’Assemblée sans gagner beaucoup en échange. Si cette adhésion sans nuances au programme du Rassemblement national, qui remet en cause les fondements de l’État de droit et notre ancrage européen, n’est qu’un coup tactique, c’est cher payé ; et s’il s’agit d’un véritable choix stratégique, il marque une rupture avec ce qu’a été la droite de gouvernement sous la Ve République, une rupture qui pourrait annoncer l’arrivée prochaine des populistes au pouvoir.
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