Italie: une étrange réforme constitutionnelle edit

17 juillet 2024

La vie politique italienne est à nouveau agitée par un étrange projet de réforme constitutionnelle. Après les tentatives ratées de Silvio Berlusconi en 2006 et de Matteo Renzi en 2016, le gouvernement de droite présidé par Giorgia Meloni a pris l’initiative de proposer au Parlement une réforme de la Constitution qui vise à introduire un inédit régime primo-ministériel – désigné sous le terme flou de premierato. Flou car on peut utiliser le même terme pour désigner des gouvernements parlementaires aussi différents que ceux qui existent au Royaume-Uni, en Allemagne et celui qui pendant quelques années a été pratiqué en Israël, lequel introduisit l’élection directe du Premier ministre, indépendamment de l’élection de la Knesset.

Avant de présenter l’état actuel du projet de réforme, encore loin pour l’instant de son (éventuelle) approbation, il faut introduire quelques éléments de contexte à propos des raisons de cette proposition de la part de Giorgia Meloni, des normes que la Constitution italienne de 1948 établit pour la révision constitutionnelle ; et enfin, des positions des partis politiques : les alliés de la majorité et surtout l’opposition.

Quel modèle ?

Ce n’était pas le premierato, mais le présidentialisme qui avait toujours été un mot d’ordre, ou plutôt un slogan, au cœur de l’identité de la droite radicale en Italie et notamment des Fratelli d’Italia, le parti que Giorgia Meloni a fondé en 2012, en sortant de la formation politique créée par Berlusconi. On ne savait pas précisément ce que Giorgia Meloni entendait par ce mot d’ordre, sauf sans doute la nomination d’un leader fort investi directement par les électeurs, en court-circuitant les partis politiques et le Parlement – en France cela fait penser à l’idéologie de De Gaulle. Il ne s’agissait pas du modèle classique du système constitutionnel américain, basé sur une mécanique de checks and balances, donc, de contrepouvoirs entre le Congrès et le Président, qui sont élus séparément et restent indépendants l’un de l’autre sans la possibilité d’un vote de censure des parlementaires à l’égard du chef de l’exécutif et sans que le Président puisse dissoudre le Congrès. En fait, lorsque la ministre des Réformes institutionnelles, Elisabetta Casellati a commencé avec son équipe à travailler sur un texte à soumettre au Parlement, elle s’est rendu compte que le présidentialisme au sens propre de ce terme n’était certainement pas ce que voulait le Premier ministre ; pas davantage, d’ailleurs, que le « semi-présidentialisme » institué en France en 1962 par l’élection directe du président de la République, qui allait s’ajouter au Premier ministre du parlementarisme rationnalisé de la Constitution de 1958.

Une réforme constitutionnelle calquée l’un de ces deux modèles aurait impliqué le changement d’un nombre important de dispositions constitutionnelles, en fait une large réécriture de la Charte italienne de 1948, ce qui pour différentes raisons n’était pas envisageable. Le « présidentialisme » a été, donc, remplacé par la proposition d’une élection directe du Premier ministre, en principe pour cinq ans, au suffrage universel. Outre la dimension apparemment populaire de l’élection directe et la mythologie de l’homme ou de la femme forts aux manettes du gouvernement du pays, qui plaît à la droite, une telle réforme avait l’avantage d’un coût pratiquement nul. À la différence de beaucoup d’autres réformes dont le pays a sans doute plus besoin, mais dont le coût serait à payer par les électeurs.

La position des partis politiques

Venons-en à la procédure de révision des dispositions constitutionnelles, notamment l’art. 138 de la loi fondamentale italienne. Deux possibilités sont envisagées : d’une part, l’accord de la majorité qualifiée des deux chambres du Parlement, ce qui veut dire que la révision est le résultat d’un compromis avec l’opposition ; de l’autre, un référendum populaire qui peut (sans quorum de participation !) ratifier ou rejeter la réforme votée au Parlement par une majorité simple.

Si, comme il semble probable, il n’y a pas d’accord à la majorité qualifiée entre les partis qui soutiennent le gouvernement et l’opposition, d’ici la fin de la législature en 2027 un référendum devrait avoir lieu qui, quel que soit le nombre des participants, pourra confirmer ou rejeter la réforme constitutionnelle.

Une des raisons contingentes pour lesquelles Giorgia Meloni tient spécialement à cette réforme est la recherche d’un affermissement, par le biais d’une élection directe, de sa position de leader de la coalition de centre-droit, notamment par rapport à la Ligue de Matteo Salvini, qui sur la politique internationale ne partage pas la position de la Première ministre et a mal vécu le déclin électoral de son parti au profit de l’explosion de popularité (personnelle) de Giorgia Meloni, laquelle a siphonné aux élections législatives de 2022 et aux européennes de cette année un grand nombre de suffrage qui venaient des électeurs de la Ligue.

Salvini a accepté à contrecœur la réforme proposée par Meloni, mais il a demandé, pour accepter le régime primo-ministériel, des réformes (sous-constitutionnelles) qui du moins symboliquement donneraient plus d’autonomie aux régions du Nord-est, qui restent le principal réservoir de suffrages pour la Ligue du Nord.

L’opposition de son côté ne semble pas disponible à un compromis sur la réforme car l’élection directe, qui n’est pas acceptée par la gauche, est un choix non négociable pour le gouvernement et l’opposition est prête à prendre le risque d’aller au référendum constitutionnel. L’opposition à cette réforme pourrait représenter une première forme d’unité d’action entre le Parti démocrate, ce qui reste du Mouvement des 5 étoiles, et les petits partis de centre hostiles à la droite ; opposition jusqu’aujourd’hui dispersée malgré sans doute majoritaire en nombre de suffrages si elle était capable de se présenter unie.

La substance de la réforme

Le gouvernement propose un système constitutionnel qui aurait, dit-on, la propriété de stabiliser la durée des exécutifs de la République. Sans revenir sur les prétendues raisons de cette instabilité (souvent exagérée – pendant presque quarante ans le même parti politique a contrôlé le gouvernement en Italie !) – et sans rentrer dans les détails souvent étranges du projet, critiqué par la grande majorité des constitutionnalistes italiens, il faut souligner quelques certains aspects incohérents.

Le Premier ministre serait élu pour cinq ans par le corps électoral, mais il aurait besoin d’un vote de confiance des deux Chambres du Parlement (qui pourraient ne pas avoir la même majorité !) et il pourrait être forcé à la démission sur la base d’un vote de censure – ce qui est une véritable invention pas aisément compréhensible.

En outre, le projet introduit la règle de la dépendance du Parlement vis-à-vis de l’exécutif. Car un vote de censure aurait par conséquence la dissolution automatique des assemblées élues et donc la tenue de nouvelles élections. La censure aurait donc pour le parlement l’effet du suicide de l’organe qui soustrait sa confiance au chef du gouvernement élu directement par les électeurs, de sorte que la décision populaire est finalement subordonnée à celle du Parlement !  

L’ennui est que le projet de réforme, voté en première lecture par le Sénat, et devant la Chambre des Députés, ne dit absolument pas comment, par le biais de quelle loi électorale, le Premier ministre et aussi les deux chambres du parlement vont être élues. Il semble en tout cas que le gouvernement n’accepte pas l’idée que le Premier ministre soit élu par la majorité absolue des voix au premier ou en tout cas au deuxième tour. De sorte qu’il pourrait être choisi par une minorité des électeurs – comme Salvator Allende au Chili en 1970. Au Royaume Uni, les électeurs choisissent la Chambre des communes et le Prime Minister est le leader du parti qui gagne les élections ; les Communes peuvent décider d’en changer sans risque de dissolution. Le président français peut dissoudre le Parlement, mais il est élu par la majorité absolue des électeurs.

En l’absence d’une loi électorale que le gouvernement promet de présenter dans un avenir indéfini, il est très difficile de porter un jugement sur l’agencement nécessaire entre régime primo-ministériel et loi électorale. On a donc pour l’instant l’impression que le gouvernement semble très décidé, mais on ne sait à quoi. Sauf à réduire au minimum le rôle des partis politiques et de l’assemblée représentative en tant qu’instances de médiation entre les électeurs et le chef du gouvernement. La stabilité de l’exécutif serait garantie, d’après la majorité, par la punition infligée aux élus de la majorité qui, en votant la censure, verraient leur assemblée dissoute et leurs positions de représentants évaporées. Le projet de réforme explicite en outre une claire hostilité vis-à-vis de gouvernements dirigés par des Premier ministres étrangers à la politique politicienne, ce qui s’était produit récemment dans la péninsule grâce aux exécutifs Monti, Draghi mais aussi Conte – la réforme propose, en fait, que le Premier ministre ne puisse être qu’un membre du Parlement.

De manière générale, le projet de réforme ne tient pas compte du fait que la fragilité d’une coalition – et en Italie quasiment tous les gouvernements ont été de coalition – dépend de la circonstance qu’un segment de la coalition peut avoir un intérêt à faire tomber le gouvernement et même à aller aux élections si les sondages lui font penser que sa représentation parlementaire sera plus importante. Dans le cas contraire, sauf irrationalité (impossible à éliminer de la vie politique) aucun membre de la coalition n'osera retirer sa confiance au gouvernement dont il fait partie, sauf à penser qu’en sortant il pourra éviter un déclin significatif aux prochaines élections. Ce qui est vrai indépendamment de la reforme proposée.

Dans l’état présent, le texte approuvé en première lecture au Sénat est arrivé à la Chambre des représentants, qui pourrait soit l’accepter tel qu’il a été voté, soit l’amender et dans ce dernier cas il reviendrait au Sénat.

En l’absence même d’un simple brouillon de la loi électorale, il est impossible de se faire une idée de comment serait élu le Premier ministre et grâce à quel mécanisme lui serait garantie une majorité absolue dans les deux Chambres, qui gardent les mêmes pouvoirs et par lesquelles le chef du gouvernement doit obtenir la confiance au début du mandat, malgré l’élection populaire directe. Bref, beaucoup de choses restent à clarifier, et le débat reste ouvert. Gageons que beaucoup d’encre sera encore versée avant la fin de la procédure.