La finance est-elle utile à la croissance ? edit
Suite aux réunions du G20, les régulateurs des marchés et institutions financières ont commencé à produire et tester des codes de conduite visant à freiner le taux de croissance des dettes émises par les institutions financières, que ce soit sous forme de crédits ou d’obligations. L’idée est de freiner la croissance de l’endettement des économies, grâce à des mécanismes incitatifs plus stricts que par le passé. La nouvelle réglementation ne discrimine donc pas les activités financières « utiles socialement » et les autres, comme le souhaitait par exemple Paul Krugman. Pour comprendre la démarche des régulateurs, il faut rappeler comment la finance est utile à la croissance… et comment elle peut nuire à cette croissance.
Rappelons d’abord ce que l’on sait sur l’utilité de la finance et les vertus de l’endettement croissant. Les études empiriques montrent que plus un système financier est développé, plus les crédits augmentent (en part de PIB) et plus le taux de croissance économique est élevé. Dans leur étude séminale (« Finance and growth : Schumpeter must be right », Quarterly Journal of Economics, n°153, 2003), King et Levine estiment ainsi que les différentiels de ratio crédit sur PIB peuvent expliquer jusqu’à 60% des différentiels de performance économique entre les pays.
D’autres études montrent que le développement des marchés et des acteurs financiers différents des banques augmente aussi la productivité de l’économie. En effet, ces acteurs sont plus rapides que les banques pour réallouer le capital vers les secteurs les plus productifs ; ils sont aussi plus agiles, plus prompts à saisir les opportunités d’investissement dans des secteurs de croissance. Les crédits bancaires traditionnels, qui reposent souvent sur une relation historique de confiance, sont moins mobiles.
Ces études ont une conclusion : non seulement l’endettement est utile, mais accroître l’endettement permet d’élever la croissance, et développer les marchés permet le développement de secteurs à forte croissance. La question est donc : jusqu’où aller pour ne pas passer du financement de la croissance au gonflement de la bulle ?
Il y a trois façons de répondre à cette question. Une approche quantitative se concentrerait sur la « taille » du secteur financier avec dans l’idée qu’un secteur moins important prêterait moins et donc limiterait l’endettement. Une approche normative se pencherait sur le « développement » et la sophistication des marchés pour tenter de statuer sur les activités les plus susceptibles de faire émerger des bulles. Une autre approche compte sur les mécanismes régulateurs pour inciter les banques et autres institutions financières à prêter moins (et mieux).
La première approche consiste à fixer un chiffre, un ratio ou autre mesure quantitative de la taille optimale comme on le fait d’un indice de masse corporel pour départager les minces, des obèses et des « moyens ». Le problème est que l’état actuel des connaissances ne permet pas d’identifier le bon seuil au-delà duquel on passe d’une « bonne croissance » de l’endettement à « la bulle », même si c’est certainement un sujet de recherche à creuser.
La deuxième approche cherche à distinguer les « bonnes » et « mauvaises » activités financières. Le problème, ici, est que les activités considérées comme « socialement nuisibles » sont, à quelques exceptions près, « socialement utiles » lorsqu’elles ne sont pas exploitées à l’excès. À titre d’exemple, le « trading pour compte propre », vilipendé, fait partie des activités qui contribuent à accroître la liquidité sur le marché et permet aux assureurs ou fonds de pension d’acheter ou vendre des titres quand ils le souhaitent et au meilleur prix.
Le régulateur a donc adopté la troisième approche qui consiste à reposer sur des incitations de marché pour freiner l’endettement. En pratique, les régulateurs visent à accroître les coûts des activités d’émission de dette (via les crédits ou sur les marchés) en imposant une meilleure capitalisation des institutions financières. Le ratio de capital immobilisé face aux prêts serait de 1,5 à 3 fois supérieur aux ratios actuels. Le capital devrait aussi être plus facilement mobilisable et plus liquide : les actifs qui servent de « coussin de capital » en cas de crise ne pourraient être « gagés » dans des opérations permettant de trouver de la liquidité sur les marchés, afin de financer de nouveaux prêts – ce qui de facto les rend indisponibles en cas de crise : selon les institutions, c’est de 50 à 70% du capital qui aurait ainsi été gagé au plus fort de la crise. C’est autant qui devrait dorénavant être mobilisable.
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