Relance : pourquoi les Américains ont raison edit
La préparation du G20, qui devait sceller la coopération internationale face à la crise, est en train de creuser un profond fossé entre l'Europe et les Etats-Unis. Les Américains ont lancé un appel pour une relance budgétaire coordonnée. Ils ont reçu le soutien actif du FMI, des Anglais, des Japonais et même des Chinois. Mais les Européens, emmenés par l'habituel tandem franco-allemand, plaident plutôt pour un renforcement de la réglementation des marchés financiers. Les raisons de ce dialogue de sourds sont multiples, et pas forcément à l'avantage des Européens.
Il ne fait aucun doute que la réglementation financière doit être repensée de fond en comble, mais cela n'empêche pas de faire repartir l'économie mondiale qui génère chaque jour des dizaines milliers de nouveaux chômeurs. Il ne s'agit pas de choisir, mais de faire les deux, à une différence près : la relance est une question d'urgence alors que la réforme de la réglementation concerne l'après-crise, quand l'économie mondiale sera repartie et les banques, en voie de nationalisation complète ou partielle, auront été reprivatisées après avoir été assainies. Merkel et Sarkozy ont l'œil fixé sur la ligne bleue de l'après-reprise alors que le sol se dérobe sous leurs pieds. Etrange logique.
Français et Allemands n'ont, pour l'instant, même pas assuré le service minimum. Alors que la chute de croissance est de l'ordre de 4 à 5% par an, les efforts de relance sont bien en dessous des 2% par an suggérés par le FMI. Une estimation récente du FMI évalue l'effort français à 2,5% du PIB sur les trois années 2008-10. L'Allemagne fait légèrement mieux avec 3%, mais les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et la Chine injectent des montants de 5% à 9% de leurs PIB respectifs.
Les Européens semblent considérer que les autres pays perdent leur sang-froid. Ils ne le disent pas ainsi, bien sûr, mais ils affirment vouloir attendre de voir les effets des mesures précédemment mises en place, comme si la montée du chômage était une intéressante expérience de laboratoire. Surtout, ils répètent à l'envi qu'il n'est pas question de laisser exploser les dettes publiques. Les gouvernements français et allemand savent de quoi ils parlent, eux dont les dettes avoisinent les 70% du PIB. Comme souvent, ce sont ceux qui ont le plus péché qui prônent le plus vigoureusement la vertu, mais l'argument n'est pas correct. Quoi qu'ils fassent, la récession va creuser le déficit budgétaire, et la détérioration sera d'autant plus importante que la récession sera profonde et durable. C'est l'une des grandes leçons de la Grande Dépression des années trente : faire du déficit pour atténuer et abréger la récession est le meilleur moyen de contenir la montée de la dette. Mémoire courte ou mémoire sélective ? Je pencherai plutôt pour la seconde interprétation.
En effet, la politique de relance budgétaire est rejetée outre-Rhin par l'establishment, et ça ne date pas d'hier. La raison est un peu embarrassante à exposer, mais l'enjeu est trop important pour ne pas en parler ouvertement. C'est Keynes qui a développé avec le plus de vigueur le concept de politique budgétaire. Il l'a fait dans les années trente, en réaction au désastre de la Grande Dépression. C'est à cette époque que les Nazis ont provoqué la fuite - ou pire - de la plupart des économistes compétents. Ceux qui ont pris leur place ont dominé les universités allemandes après-guerre et ont fermé la porte aux influences extérieures, en particulier aux idées keynésiennes. Aujourd'hui les disciples des disciples des maîtres de l'époque perdent le contrôle des idées, mais ceux qui ont été formés entretemps, et qui sont aujourd'hui aux postes de responsabilité, considèrent Keynes comme le diable. Il est vrai que le grand traumatisme économique de l'Allemagne ce n'est pas la Grande Dépression des années trente mais l'hyperinflation des années vingt, qui fut la conséquence de déficits budgétaires incontrôlés, en partie dus aux réparations dénoncées par... Keynes. On peut comprendre ce traumatisme, mais il n'est pas normal d'en être prisonnier pendant presqu'un siècle et, surtout, d'en tirer des conclusions erronées.
Si la position de l'Allemagne est compréhensible, celle de la France l'est moins. Notre traumatisme à nous reste la Grande Dépression, qui a conduit au Front Populaire, un souvenir plutôt joyeux dans notre mémoire collective, avec les congés payés et les 40 heures. Il est difficile d'imaginer que Nicolas Sarkozy souhaite répéter cette expérience. Son objectif annoncé pour le G20 c'est de refonder le capitalisme. L'annonce peut plaire à l'opinion publique française si prompte à reconstruire le monde en théorie mais en pratique si rétive aux moindres réformes. Elle peut attirer la sympathie des pays émergents admis au G20 qui veulent secouer la mainmise des Occidentaux - et donc l'influence de la France - sur les institutions internationales. Elle peut même semer la zizanie au sein de la coalition allemande au pouvoir, et donc affaiblir notre cher partenaire avec lequel nous espérons assurer le leadership européen. Mais, au-delà des calculs politiques, il n'y aura pas de refondation du capitalisme. Américains, Anglais, Chinois et Japonais ne comprennent rien à ce galimatias aux relents marxistes, et c'est bien pour cela qu'ils se focalisent sur la relance. Plus fondamentalement, l'idée de volontarisme politique en matière économique est perçu comme dangereux. Ceux qui se réjouissent en France de voir les gouvernements entrer dans le capital des banques devraient se rendre compte de ce que cela signifie : une injection massive de fonds avancés par les contribuables pour reconstruire les banques avant de les re-céder à bon compte au secteur privé. Le scandale des bonus de AIG aux Etats-Unis illustre merveilleusement à quel point le retour de l'Etat, c'est la privatisation des profits et la socialisation des pertes.
Ce ne sont pas seulement les Français et les Allemands qui font preuve de passivité face à la récession. On retrouve la même attitude frileuse un peu partout en Europe. La crainte des déficits semblent paralyser les esprits, d'autant que la Commission continue d'agiter le spectre du Pacte de Stabilité. Même la BCE, qui a pourtant fait preuve de réactivité et même d'imagination face à la crise, traîne aujourd'hui les pieds et ne rate aucune occasion de critiquer les politiques budgétaires expansionnistes, aussi modestes soient-elles.
Le décalage face aux Etats-Unis est frappant. Il se peut qu'effectivement l'équipe Obama panique et plante les graines d'une situation ingérable une fois la crise passée. Certains pronostiquent déjà une explosion de l'inflation et un nouveau cycle tout aussi instable que le précédent. Mais il se peut aussi que les dirigeants européens ne prennent pas la mesure de la crise et restent enfermés dans des considérations idéologiques d'un autre temps. Peut-être n'est-ce qu'une coïncidence, mais on retrouve dans les allées du pouvoir à Washington, au gouvernement comme à la banque centrale, la fine fleur des économistes américains, dont plusieurs sont des spécialistes mondialement connus pour leurs travaux sur la Grande Dépression. En Europe, très peu d'économistes professionnels sont proches des manettes, rares sont ceux dont la réputation s'étend au-delà de leurs meilleurs amis et aucun n'a jamais étudié sérieusement la Grande Dépression. Est-ce que ceci explique cela ? En tout cas les arguments des dirigeants européens sont bien moins convaincants que ceux des responsables américains. Mais rassurons-nous : si l'économie américaine redémarre vigoureusement, le monde entier en profitera. Merci, donc, aux contribuables américains pour ce qu'ils font pour nous tous !
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