Après le «turbulent silence» de l’été, Emmanuel Macron doit reprendre la parole edit
La malédiction de début de mandat présidentiel frappe-t-elle à nouveau ? Après Nicolas Sarkozy et le paquet fiscal qui privilégiait les revenus de la rente sur ceux du travail, à rebours d’une promesse-clé de sa campagne ; après François Hollande et les hausses massives d’impôts plombant la croissance et ruinant la possibilité d’inverser la courbe du chômage, voici qu’Emmanuel Macron connaît un été difficile et chaotique. Chute dans les sondages, cacophonie politique, perte de la maîtrise de l’agenda, le président semble échouer là où il excellait : la communication.
Son mouvement politique, La République en Marche (LRM), peine à se transformer en parti et à trouver sa place dans l’agencement des pouvoirs. Son groupe parlementaire est en quête d’identité et de raison d’être. Son gouvernement est composé d’individualités plus ou moins talentueuses dont les prises de paroles ne se complètent pas. Mais surtout, et peut-être avant tout, le président de la République a brisé le fil de la narration qui le liait à ses électeurs et à tous les Français, lui dont la capacité à raconter l’histoire optimiste de la transformation du pays a provoqué l’élan qui l’a porté au pouvoir. À l’origine de ce récit interrompu, deux erreurs, l’une tactique, l’autre stratégique.
L’erreur tactique : le budget
Considérer que le budget 2017 n’était pas un sujet politique mais technique, et qu’à partir du moment où il n’y avait pas de collectif budgétaire, la responsabilité politique de ce budget reposerait sur les épaules du précédent gouvernement fut l’erreur tactique. C’était méconnaître que le responsable est toujours celui qui porte la mesure et non celui qui l’a initiée. C’était oublier que le grand chambardement politique de mai-juin 2017 ne pouvait déboucher en juillet sur un budget 100% hollandais sans provoquer stupeur et déception parmi les Français.
Tous les feuilletons de l’été, si douloureux pour le pouvoir, ont une origine budgétaire : le gel de quelques centaines de millions d’euros d’investissements pour le budget de la Défense et c’est l’affaire de Villiers qui éclate ; cinq euros de baisse sur l’Aide personnalisée au logement (APL) et c’est le procès en insensibilité sociale du Président et de son gouvernement qui est instruit ; 300 millions d’euros de diminution des dotations aux collectivités locales et c’est la défiance des élus locaux qui est réactivée.
Chacune de ces polémiques a fonctionné en objet politique indépendant, sans lien avec le projet présidentiel ni discours global d’explication politique. De simples mesures techniques portées par Bercy, dont l’interprétation politique a été laissée au bon vouloir des adversaires du pouvoir et des commentateurs, avec le résultat que l’on connaît : autoritarisme, amateurisme, poursuite du hollandisme, obsession comptable et mépris social. Qui aurait pu penser que la Présidence Macron commencerait avec le budget 2018 ou avec le résultat des élections allemandes de septembre 2017 ? Peu importe, le mal est fait.
L’erreur stratégique : rompre le fil narratif qui le liait aux français
Quant à considérer que la relation d’Emmanuel Macron aux Français devait radicalement changer à partir du moment où il devenait Président de la République, quelle erreur stratégique ! Présidence jupitérienne, retour de la verticalité, surplomb… les termes n’ont pas manqué, mais on s’est moins intéressé aux dégâts collatéraux que ce changement provoquait. Pour bien comprendre, revenons aux racines du succès d’Emmanuel Macron : comment un homme de 39 ans, sans parti politique structuré, sans mandat électif, inconnu trois ans auparavant, avec une carrière ministérielle météorique a-t-il pu convaincre les Français de le porter à l’Élysée ?
Certes les circonstances politiques ont joué un rôle essentiel, mais cela n’aurait pas suffi sans l’intuition et le sens du récit du candidat qui a su combiner positionnement transgressif entre droite et gauche, mobilisation des esprits et des cœurs de plusieurs centaines de milliers de Français, « les marcheurs », promesse d’une transformation profonde du pays et renouvellement fort de la politique comme de la classe politique. Cette narration optimiste, pédagogique et originale, a construit la crédibilité de la démarche, emportant avec elle les doutes et les insuffisances.
En dessinant des lignes de clivages sur des sujets qui divisaient les partis de gouvernement, comme l’Europe ou le libéralisme économique, Emmanuel Macron a forgé un récit de la France dont il était l’unique narrateur. Autrement dit, le récit s’interrompt si le narrateur quitte la scène pour vaquer à ses occupations jupitériennes. Ni la pédagogie ni l’empathie ne font bon ménage avec la majesté. Il ne s’agit pas ici de nier que conquête et exercice du pouvoir sont deux séquences politiques de nature différente mais de souligner que la démarche de l’homme providentiel, qui propose de redéfinir les règles du jeu et de recatégoriser la politique, oblige celui-ci à poursuivre son travail pédagogique d’explication de la nouvelle donne une fois le pouvoir conquis.
Le risque, sinon, est de donner raison aux anti-Macron de la première heure en confiant, dès la conquête achevée, les clefs de la maison France à la technocratie d’état, laquelle n’a pas grand-chose à raconter aux Français puisqu’elle s’occupe de l’administration des choses et non de la mobilisation des passions politiques. Cette question de la place et du rôle de la haute fonction publique n’est pas anodine dans un contexte où le parti dominant est en gestation et se cherche, où le groupe parlementaire majoritaire est composé de beaucoup de néophytes, et où les ministres essaient d’évaluer leur poids politique réel. La politique a horreur du vide et la bureaucratie sait admirablement combler les interstices quand ils apparaissent.
Briser le silence et redonner du sens à l’action
Pendant la campagne, Emmanuel Macron a donné à bon nombre de Français le sentiment qu’il savait comment il allait débloquer et transformer la société. Ce sentiment est aujourd’hui fragilisé par cette suspension du récit fondateur et par sa fragmentation en de multiples anecdotes, images ou symboles, dont la cohérence est introuvable. Et cela se produit alors que des mesures gouvernementales semblent illustrer la pérennité des blocages et contredire la démarche de transformation.
À l’exception notable de ses conférences de presse communes avec ses homologues étrangers qui sont une réussite, le chef de l’état a choisi la méthode de la parole rare, théorisée par Jacques Pilhan, conseiller en communication de François Mitterrand puis de Jacques Chirac. Cette méthode est-elle encore adaptée à notre époque ? Les Français connaissaient par cœur ces deux hommes politiques qu’ils fréquentaient depuis des dizaines d’années ; Internet, les chaînes d’information et les médias sociaux n’existaient pas, et surtout le dispositif politique de pouvoirs et de contre-pouvoirs était stable et lisible. Bref les enjeux de communication étaient limités et ponctuels. Aujourd’hui un nombre significatif de Français s’interrogent encore sur la personnalité d’Emmanuel Macron, le temps médiatique s’est accéléré et le dispositif politique est instable ou en cours de renouvellement radical.
Si celui qui est à la fois la clef de voûte des institutions et l’initiateur de cette instabilité ne s’exprime pas, qui donc pourra le faire à sa place ? Visiblement personne, et c’est ce silence assourdissant que nous avons entendu cet été.
Trouver la bonne formule, le bon registre de discours, la bonne interaction, que ce soit avec les Français, avec les corps intermédiaires, avec les journalistes ou avec les médias sociaux est certainement un défi. Il y aura des essais et des erreurs mais la rareté de la parole n’est pas la solution dans le contexte politique exceptionnel créé justement par l’élection du 7 mai. D’autant que cette parole doit jouer un rôle de mise en mouvement et d’orchestration des trois piliers : gouvernement, majorité, parti.
Le président de la République sera-t-il capable de renouer le fil d’une conversation fluide et simple avec les Français et de bâtir une pédagogie de la transformation de la société et de la nouvelle donne politique ? C’est tout l’enjeu de la rentrée de septembre.
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