Bayrou: l'opposition ce sera moi! edit
En annonçant la création d'un Parti démocrate dont l'ambition explicite est de mordre sur l'électorat socialiste, le président de l'UDF affiche ses ambitions : devenir le futur chef de l'opposition en tablant sur l'incapacité du PS à se réformer. Y parviendra-t-il ?
Pour Bayrou il ne s’agit pas seulement de relancer une dynamique de campagne qui pourrait s’épuiser, mais de prendre pied sur un espace politique, le centre gauche, fragilisé sur le plan électoral et dont l’encadrement donne des signes de faiblesse ou d’impatience. Le PS reste un parti d’élus, qui par delà les divisions et les rancunes ont besoin de faire durer la maison bâtie à Epinay pour assurer leur réélection. Il n’en reste pas moins que ses murs sont fragiles, et Bayrou l’a compris. Ce n’est pas sans arrière-pensées qu’il a commencé à se rapprocher des électeurs, puis des élus socialistes.
En concentrant ses critiques sur Nicolas Sarkozy tout en s’avouant dubitatif sur la qualité du programme socialiste, il dit en substance aux socialistes : nous partageons les mêmes analyses et nous avons les mêmes refus, mais vos solutions sont celles de la gauche d’hier. On n’est plus alors dans un registre d’affrontement, mais bien de concurrence. Les thèmes qu’il a évoqués lors de la conférence de presse du 25 avril sont pour l’essentiel des thèmes de gauche, en particulier le « déchirement du tissu social ». Les variations insistantes sur cette antienne visaient particulièrement Nicolas Sarkozy, mais signalent que le candidat continue à gauchir son positionnement et à empiéter sur celui d’un PS renvoyé à ses chères études.
Une lecture attentive des thèmes et des discours de campagne suggère ainsi que Bayrou travaille méthodiquement à constituer des espaces communs. Il met à profit, pour ce faire, l’effacement d’anciennes limites entre la droite et la gauche (en particulier le rapport à l’économie de marché) et le fait qu’elles passent désormais au cœur même du PS. En effaçant ces frontières, il contribue à la réémergence de très anciennes lignes de clivages, un temps occultées par la bipolarisation de l’espace politique sous la Vème République. Le rapport à l’Etat et à la démocratie sociale, la vision d’une société conflictuelle ou au contraire homogène, telles sont les deux principales lignes de clivage politique que Bayrou s’emploie à matérialiser. Il y revient constamment, car non seulement elles dessinent les contours de l’espace commun qu’il tente de construire, mais elles contribuent à creuser des fissures dans la maison socialiste.
Une chose est de semer le trouble, une autre est de constituer une force politique solide. Il ne suffit pas pour Bayrou de déconstruire méthodiquement l’unité déjà fragile des différentes familles socialistes : il lui faut à la fois préserver l’existence de son groupe parlementaire et prendre l’avantage sur le PS. Mission impossible ?
Il n’a certes pas les moyens aujourd’hui de se livrer à une stratégie de débauchage des élus, même si comme on l’a vu au cours de la campagne une partie des élites de centre gauche est prête à passer le Rubicon.
Il marche sur la corde raide et jouera son va-tout aux législatives. Mais l’UMP ne semble pas vouloir se montrer trop exigeante vis-à-vis des députés UDF qui soutiendront Sarkozy au deuxième tour. Les sarkozystes cherchent d’abord à assurer la victoire de leur candidat et sont prêts à quelques accommodements, ce qui pourrait permettre à Bayrou de sauver ses troupes.
Par ailleurs, l’UMP a commencé à comprendre le mal que le futur Parti démocrate pourrait faire à ses adversaires. Sans préjuger de ses capacités à les mettre en œuvre, différents modèles tactiques s’offrent à Bayrou pour continuer à tailler des croupières à ses nouveaux amis socialistes. Ceux-ci pourraient d’ailleurs les méditer d’autant plus attentivement qu’ils en ont été alternativement les bénéficiaires et les victimes.
Le premier est le contournement d’un appareil militant pour en prendre la tête. Telle fut la stratégie de Ségolène Royal avec Désirs d’avenir, stratégie efficace lorsque l’on a en face de soi une structure sclérosée et désunie, avec un gros problème de leadership. Rien ne nous dit que la situation ne se reproduise pas dans un avenir proche, si le PS continue à naviguer à vue. Bayrou, au cours de la campagne, n’a pas manqué de rappeler les présidentielles de 1969 ; or l’une des conséquences de l’échec, il est vrai fracassant, de Gaston Deferre avait été la prise du PS de l’extérieur lors du congrès d’Epinay. Le PS de 2007 n’est pas aussi mal en point que celui de 1971, mais les deux situations ne sont pas si éloignées et sa fragilité actuelle reste assez inquiétante pour que toutes les hypothèses soient considérées.
La seconde option, c’est la stratégie dite du salami, mise au point par les communistes à la fin des années 1940 et reprise avec succès contre ces mêmes communistes par François Mitterrand à la fin des années 1970 et au début des années 1980 : on fait alliance, puis tranche par tranche on se sépare des alliés jusqu’à se trouver seul aux affaires. C’est ce que Bayrou a tenté dans la dernière phase de la campagne du premier tour et il est encore possible qu’il joue sur ce terrain même si, du fait d’élus qui ne peuvent aller aussi vite que lui vu leurs propres coalitions et alliances électorales, l’hypothèse d’un ralliement à Royal semble aujourd’hui peu probable.
La troisième tactique mérite elle aussi d’être observée avec attention, car c’est sans doute celle qui retiendra l’attention de François Bayrou. Les références constantes du président de l’UDF à Romano Prodi n’ont jamais été lues pour ce qu’elles sont : moins une référence à l’Europe qu’à un modèle politique plus discret, un exercice acrobatique et risqué : la prise de la gauche par le centre, avec une stratégie voyant la recomposition suivre la coalition.
Les dirigeants socialistes auraient tort de prendre la menace à la légère et de parier sur l’éclatement en vol du Parti démocrate aux prochaines législatives. La mécanique électorale ne joue certes pas en faveur du centre, mais Bayrou reste à l’affût. Sa force ne tient pas seulement à la subtilité de ses stratégies, mais à la faiblesse de la gauche. La modernisation est plus que jamais pour elle une question stratégique.
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