Brexit: accord et désaccords edit
L’annonce faite par le Premier ministre britannique Theresa May et les photos de Michel Barnier présentant à Donald Tusk, Président du Parlement européen, les 500 pages du projet d’accord sur le Brexit suggèrent qu’après plus de deux ans de négociations, le Royaume-Uni et l’UE étaient parvenus à un accord mutuellement acceptable permettant aux Britanniques de quitter l’UE. C’était le 15 novembre. Depuis, les choses se compliquent.
En vingt-quatre heures, les chances que le Royaume-Uni valide l’accord étaient presque tombées à zéro. Le fait qu’une réunion du cabinet britannique ait duré plus de cinq heures suggère déjà à quel point le gouvernement lui-même était divisé. Devant le Parlement, le lendemain, Mme May a dû faire face à un barrage de critiques. Non seulement elle n’a pas répondu aux exigences des Brexiteers de son parti, mais pas non plus à celles des Remainers et de ceux qui voulaient un deuxième référendum sur la question. Du côté de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn n’a eu qu’à rejeter un projet ne remplissant pas les six critères du parti, après quoi il a pu se contenter de regarder le parti conservateur se déchirer sur le sort de madame May et de son accord. Avant même son arrivée au Parlement pour ce qui s’est révélé être une séance de trois heures de questions, Mme May avait déjà perdu deux ministres et quelques secrétaires d’État, et elle avait été accusée de trahison par certains Brexiteers. La question de savoir si elle survivrait en tant que chef du Parti conservateur a rapidement été mise à l’ordre du jour, car plusieurs députés conservateurs ont soumis des lettres de « défiance » (no confidence) envers le Premier ministre au président du comité parlementaire du parti qui supervise ces dossiers.
À la fin de la semaine, la situation semblait un peu plus calme. Un nombre insuffisant de parlementaires avaient envoyé des lettres de défiance pour qu’un scrutin soit organisé et aucun nouveau ministre n’avait démissionné. Les milieux d’affaires semblaient accueillir favorablement le projet dans la mesure où il assurait une certaine stabilité quant aux relations futures du Royaume-Uni avec l’UE. La livre sterling et le marché boursier avaient certes fortement chuté après l’annonce de l’accord et les bouleversements politiques qui ont suivi, même si les experts du marché avaient indiqué que les changements étaient moindres que ce qu’on pouvait craindre. Les ministres des affaires étrangères de l’UE ont approuvé le projet, bien que l’Espagne ait demandé quelques éclaircissements juridiques concernant les relations entre le Royaume-Uni, Gibraltar et l’Espagne. Mme May était libre de se rendre à Bruxelles pour discuter d’une déclaration plus complète sur la nature des futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE.
En son absence, cinq ministres brexiteers ont exigé de modifier le texte ; les travaillistes ont indiqué leur opposition au projet et suggéré qu’ils chercheraient un meilleur arrangement s’ils étaient au pouvoir. Le Democratic Unionist Party d’Irlande du Nord (DUP), dont le soutien est essentiel pour le maintien au pouvoir du gouvernement, a manifesté son opposition à l’accord et a voté avec les travaillistes sur plus d’un point du projet de loi de finances actuellement examiné au Parlement. Les députés brexiteers ont continué à manifester leur opposition, mais, n’ayant pas réussi à convaincre un nombre suffisant de membres de leur parti de signer des lettres de défiance, les dirigeants du Groupe européen de recherche (qui regroupe la plupart des partisans du Brexit au sein du parti) sont partis la queue entre les jambes. Pour l’instant.
Mercredi, après être partie pour Bruxelles après les questions au Premier ministre (une affaire modeste par rapport aux versions précédentes, l’hypothèse d’un Brexit sans accord n’étant désormais plus à l’ordre du jour), madame May est revenue dans la soirée et elle a pu annoncer jeudi matin un accord sur le document définissant le futur arrangement politique et économique entre le Royaume-Uni et l’UE. Malgré les objections espagnoles mentionnées plus haut, il est peu probable que le Conseil des ministres de l’UE n’approuve pas le projet d’accord lors de sa réunion du 25 novembre, car un tel accord ne requiert qu’une majorité simple.
Bien qu’il y ait un accord sur la table, la déclaration politique est faite en termes très généraux, quelque peu ambigus et certainement ambitieux. Mais de nombreuses questions difficiles, telles que la future relation commerciale dans le domaine des marchandises, le filet de sécurité de l’Irlande du Nord, la pêche, les migrations et Gibraltar, doivent encore être résolues. Même des domaines tels que l’aviation et la politique étrangère et de sécurité, dont on aurait pu s’attendre à ce qu’ils fassent facilement l’objet d’un accord, restent flous, alors que tout désaccord futur laisserait une grande influence à la Cour de justice européenne. Il reste donc encore beaucoup de chemin à parcourir, le plus immédiat étant la capacité du gouvernement britannique à obtenir un soutien suffisant au Parlement pour le projet d’accord.
Les travaillistes ont indiqué qu’ils s’y opposeront ; les chiffres suggèrent que jusqu’à 80 députés conservateurs, y compris les Brexiteers, ainsi que les libéraux démocrates (toujours pro-UE) et les nationalistes écossais voteront contre cet accord. Enfin et surtout, le DUP (sans lequel les Tories n’ont plus de majorité) s’y oppose également en parlant de « trahison ». Au vu des chiffres, il est extrêmement difficile de voir Mme May obtenir une majorité au Parlement, même si certains membres de tous les partis peuvent finir par la soutenir malgré leur opposition actuelle. Reste à voir dans quelle mesure les whips du parti conservateur, chargés de mobiliser les troupes parlementaires, seront capables de faire leur travail.
Tout cela suggère que le Parlement britannique ne ratifiera pas l’accord lorsqu’il s’agira d’obtenir le « vote significatif » auquel, plus tôt dans le processus, il avait obtenu le droit de procéder. Un tel vote devrait avoir lieu avant la mi-décembre. Que va-t-il se passer ensuite ? Mme May semble aujourd’hui beaucoup moins enthousiaste à l’idée d’un « No Deal » qu’elle ne l’était il y a quelques mois, quand elle affirmait que mieux valait pas d’accord qu’un mauvais accord. Elle a d’abord suggéré qu’en cas de rejet de ce que ses opposants appellent son « Bad Deal », il pourrait même ne plus y avoir de Brexit. Mais elle a déclaré depuis que le maintien dans l’UE n’est pas une option non plus. Elle parle toujours de donner satisfaction à ceux qui ont voté pour quitter l’UE. Certains députés plaident en faveur de l’adhésion à l’Association européenne de libre-échange et à l’Espace économique européen, d’autres évoquent un accord Canada+++, d’autres encore souhaitent un second référendum. Et tout cela sans même tenir compte de la réaction de l’UE en cas de rejet du projet d’accord. Les autres États accepteraient-ils de prolonger le délai prévu à l’article 50 pour avoir le temps d’adopter un nouveau projet ?
Comme ses élus, le pays semble plus divisé que jamais. La population est désorientée, confuse et déçue par la façon dont ses représentants ont géré l’ensemble du processus de retrait. Même si elle n’avait pas voté au référendum de 2016 parce qu’elle n’arrivait pas à se décider, une jeune femme s’est dite « horrifiée » lorsqu’on lui a demandé son opinion sur ce qui se passe. Les sondages montrent un électorat toujours divisé, avec désormais 54% en faveur du Remain et 46% en faveur du Leave, mais le gouvernement refuse toujours d’approuver un deuxième référendum. Tout ce qu’on peut dire en ce moment, c’est : « Regardez bien ce qui se passe – mais ne retenez pas votre souffle ! »
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