Élections britanniques: une victoire en trompe-l’œil? edit
Enfin, c’est fini – une ennuyeuse campagne électorale de six semaines, suivie d’une victoire travailliste prévisible dès le départ. Si la taille de la majorité travailliste a dépassé les attentes, presque personne ne doutait que Starmer serait le prochain Premier ministre britannique. Le parti conservateur a été au pouvoir pendant quatorze ans, avec cinq premiers ministres ; il a fait sortir la Grande-Bretagne de l’Union européenne, s’est frayé un chemin à travers une pandémie, a réagi à la guerre en Ukraine et a convoqué des élections alors que l’économie britannique était encore relativement faible. Il n’a pas tenu ses promesses de « stopper les bateaux » et réduire l’immigration, de « raccourcir les listes d’attente » pour les soins médicaux, de construire plus de logements ou de redresser le pays. Deux de ses dirigeants se sont révélés incompétents dans leurs fonctions (Johnson et Truss), un troisième (May) a été renversé par sa proposition d’accord sur le Brexit, tandis qu’un quatrième, Sunak, a été considéré comme déconnecté de la plupart des gens en raison de son statut de milliardaire. Enfin et surtout, les divisions croissantes au sein du parti ont entraîné au fil du temps un glissement vers la droite, ce qui a réduit le soutien politique au gouvernement.
En fait, tout ce que les travaillistes avaient à faire pour gagner était de faire des propositions politiques modestes, d’affirmer leur compétence en matière de gestion de l’économie et d’éviter toute erreur tactique ou tout scandale. Pendant la campagne, ils ont été aidés par les conservateurs qui ont réussi à commettre et des erreurs tactiques, et des scandales, qu’il s’agisse du départ prématuré de Sunak des célébrations du jour J ou de la découverte que certains députés conservateurs et proches conseillers de Sunak avaient parié sur la date de l’élection ou sur son résultat. Les conservateurs ont également été affaiblis par le retour en politique de Nigel Farage à la tête du parti de droite Reform, qui a considérablement renforcé l’attrait de ce parti dans tout le pays, et par le fait que les libéraux-démocrates ont concentré leur campagne électorale sur les sièges du sud et de l’ouest de l’Angleterre qu’ils pensaient pouvoir remporter, en particulier face aux conservateurs. C’est d’ailleurs aux libéraux-démocrates que l’on doit certains des temps forts de la campagne, ne serait-ce que pour les prouesses réalisées par leur leader, adepte du saut à l’élastique et du paddle.
En dehors de l’Angleterre, les travaillistes pouvaient également espérer des gains significatifs en Écosse, où le Parti national écossais (SNP) avait perdu en popularité, était confronté à un scandale financier et prônait l’indépendance de l’Écosse tout en négligeant certains problèmes intérieurs auxquels le pays était confronté. Les travaillistes pouvaient également compter sur un soutien important au Pays de Galles, où ils formaient le gouvernement[1]. Enfin ils n’étaient pas réellement menacés par le parti écologiste, dont le seul député sortant n’était pas candidat. Les travaillistes n’avaient qu’à rester calmes et tout irait bien le jour où ils se prépareraient à former le prochain gouvernement
Et pourtant ! Bien que le Labour ait remporté une majorité massive, avec 412 sièges (+211) sur 650, il ne l’a fait qu’avec une augmentation marginale (1,6 %) de sa part de voix par rapport à sa lourde défaite aux élections de 2019, et avec un taux de participation qui a été le plus bas de l’histoire de l’après-guerre. 40 % des électeurs n’ont pas pris la peine de voter - soit parce qu’ils pensaient que le résultat était déjà certain, soit parce qu’ils étaient désillusionnés par la politique en général. Les travaillistes ont maximisé leur efficacité en ciblant les électeurs des circonscriptions marginales afin de gagner des sièges – ils n’ont eu besoin que d’un peu plus de 20 000 voix par siège, alors que les candidats de Reform, qui n’ont remporté que 5 sièges, ont obtenu 4,1 millions de voix (soit un ratio de 800 000 par siège remporté). La leçon est claire que l’électorat n’était pas tant favorable aux travaillistes qu’il ne voulait se débarrasser des conservateurs.
Cela peut s’expliquer de quatre façons. Tout d’abord, le système électoral britannique est un système uninominal à un tour dans lequel le parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix dans chaque circonscription remporte l’élection. Ce système a pour conséquence que, dans de nombreuses circonscriptions, le parti vainqueur l’emporte avec bien moins de 50% des suffrages exprimés. Lors de cette élection, plutôt que d’obtenir des majorités massives dans des sièges qu’il détenait déjà en toute sécurité, le parti travailliste a concentré ses efforts de campagne sur les sièges qu’il cherchait à gagner, souvent marginaux par nature, et où il avait besoin de relativement peu de voix pour l’emporter – une tactique qui s’est avérée très efficace. Les travaillistes ont gagné des sièges – ils n’ont pas gagné de voix !
Deuxièmement, le fait que deux électeurs sur cinq (40 %) aient décidé de ne pas voter ne constitue pas une approbation pour l’un ou l’autre des partis.
Troisièmement, dans un système à un tour, cela peut s’expliquer par le recours au vote utile par les partisans des travaillistes et des libéraux dans un certain nombre de circonscriptions où l’un ou l’autre avait de bonnes chances de l’emporter.
Enfin, de nombreux électeurs se sont tournés vers d’autres partis. Les pertes des conservateurs ne s’expliquent pas toutes par le transfert de leurs voix vers les travaillistes, ni par le soutien apporté au parti Reform, qui a gagné quelque 14% des voix. D’autres partis ont augmenté leur part, notamment le parti vert (7%), mais ils n’ont obtenu que quatre sièges. Les candidats indépendants, très rares dans les élections britanniques[2], ont également attiré les votes des électeurs conservateurs, avec environ 3% des voix. Quant aux libéraux-démocrates, ils ont attiré les voix d’électeurs se rangeant de la gauche au parti conservateur, mais n’ont progressé que d’un point de pourcentage. Ce n’est qu’en Écosse, où les travaillistes ont infligé de lourdes défaites au Scottish National Party, que les électeurs se sont rapprochés des travaillistes.
Dans l’ensemble, comme dans d’autres pays européens, les élections de 2024 au Royaume-Uni représentent un rejet du gouvernement en place plutôt qu’un choix distinctif d’une alternative, malgré l’énorme majorité du parti travailliste au Parlement. Le résultat reflète la méfiance persistante de la population à l’égard de la politique et des hommes politiques, ainsi que de leur capacité à tenir leurs promesses et à les réaliser. Bien que le nouveau gouvernement travailliste dispose d’une majorité massive, qu’il promette d’être un « gouvernement pour tous » et qu’il propose un programme de changement, il entre en fonction dans la période la plus difficile depuis 1945, une période bien pire que celle qu’a connue son prédécesseur en 1997. Il reste à voir s’il pourra tenir ses promesses. Mais il ne fait aucun doute que l’atmosphère politique en Grande-Bretagne est aujourd’hui meilleure qu’elle ne l’a été depuis un certain temps. On peut espérer qu’elle représente une première étape dans le rétablissement de la confiance des citoyens dans les partis politiques britanniques et les processus politiques associés.
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[1] Nous laissons l’Irlande du Nord de côté dans cette discussion, car sa politique concerne essentiellement son statut, soit comme partie du Royaume-Uni, soit comme partie d’une Irlande unie, les principaux partis britanniques étant largement absents des campagnes électorales. Le Sinn Fein, le parti qui souhaite une Irlande unie, a remporté la plupart des sièges lors de ces élections, mais, conformément à la tradition, ne siégera pas au Parlement britannique.
[2] Quatre indépendants ont été réélus au Parlement, tous contre des deputés sortants du parti travailliste. Dans deux cas, les gagnants étaient issus de communautés musulmanes qui n’appréciaient pas la position du parti travailliste sur le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza.