Qu’est-il arrivé au Royaume-Uni? edit
Quand un train déraille, tout va très vite ! Et au cours des trois derniers mois, tout est assurément allé très vite au Royaume-Uni, au grand désespoir de la plupart des ménages britanniques, et à l’étonnement amusé, mais compatissant, du reste du monde.
On peut considérer que le train a commencé à prendre de la vitesse en 2016, lorsque le Royaume-Uni a décidé de quitter l'UE, et qu'il a encore accéléré lorsque le départ a été effectif, en janvier 2021. La pandémie de Covid n'a pas aidé à redresser la situation, et avec la guerre en Ukraine le train a atteint une vitesse à laquelle il allait inévitablement sortir des rails. Il a commencé à le faire avec la démission de Boris Johnson en juillet, quand plus de 50 ministres et députés conservateurs ont signalé qu'ils ne pouvaient plus le soutenir.
Au cours des deux mois suivants, les députés conservateurs ont entamé la sélection de leur nouveau leader, avant d’en appeler aux 180000 membres du parti pour départager les deux finalistes. Après plusieurs semaines de campagne, une majorité a voté pour Liz Truss, laissant Rishi Sunak en deuxième position. À peine madame Truss avait-elle été invitée à former un gouvernement que la reine Elizabeth est décédée, après quoi le pays a connu une période de deuil et dans laquelle on a suspendu les affaires gouvernementales. Bien qu'elle n'eût pas obtenu le soutien de la majorité de ses députés au Parlement, Mme Truss a composé son gouvernement d'amis et de partisans proches, un geste qui n'était pas de nature à réparer un parti déjà divisé. Elle a promis au pays de réduire les impôts, de protéger les gens contre le coût de l'énergie, de promouvoir « la croissance, la croissance, la croissance » et de « tenir ses promesses ». Pour concrétiser ces ambitions, elle a nommé un ami proche, le député Kwasi Karteng, au poste de chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances). Il a d'abord démis de ses fonctions le n°1 du ministère, avant de présenter ce qu'on a appelé un « mini-budget » dans lequel il réduisait les impôts des particuliers et des entreprises et offrait une protection contre les coûts de l'énergie, mais sans préciser comment ces mesures seraient financées ; il promettait d'autres mesures en faveur de l'offre, en grande partie par la déréglementation des plans et règles héritées de l’appartenance à l'UE. Ce budget laissait un trou béant dans les finances du Royaume-Uni, et les marchés ont réagi en conséquence, avec une chute rapide de la valeur de la livre sterling et une augmentation tout aussi rapide du coût des emprunts publics, ce qui a entraîné mécaniquement une hausse des taux d'intérêt hypothécaires à un moment où les gens étaient déjà confrontés à une crise du coût de la vie, avec une inflation d'environ 10%.
Très rapidement, le train a déraillé. Liz Truss a réagi en limogeant son ministre des Finances (qui avait gagné le surnom de Kamikwase Karteng) et en le remplaçant par un député expérimenté issu du centre du parti, qui a rapidement annulé la quasi-totalité des réductions d'impôts. Les marchés se sont stabilisés, mais il était clair que madame Truss ne resterait pas longtemps au pouvoir. Peu après, et alors que les travaillistes avaient pris une avance de 30 points sur les conservateurs dans les sondages d'opinion, elle a appris qu'elle avait perdu le soutien de ses députés au Parlement, et dans la foulée elle a démissionné du poste de chef de son parti et, de fait, de la fonction de Premier ministre. Un processus électoral très raccourci a été mis en place pour permettre au parti de choisir un nouveau leader. Deux candidats, dont Boris Johnson qui espérait remonter la pente après son limogeage, n’ont pas réussi à obtenir le nombre requis de nominations pour entrer dans la course, et Rishi Sunak a donc été déclaré vainqueur. Le nouveau roi, Charles III, a invité Sunak à former un gouvernement. Le nouveau Premier ministre a nommé des ministres issus de tous les bords du parti conservateur, dans l'espoir d'unifier ses différentes factions. Nous trouvons donc maintenant au gouvernement d’anciens ministres de Johnson et de Truss, des Brexiteers (le Premier ministre en est un), des partisans du libre marché et le groupe One Nation, plus à gauche. Les moins bien représentés dans le nouveau cabinet sont les députés du « Mur rouge », ceux qui sont entrés au Parlement lors du raz de marée électoral de 2019, en remportant dans le Nord et les Midlands d’anciens fiefs du parti travailliste. Sunak a promis de faire passer le pays avant le parti (!) et de faire en sorte qu’il se relève de sa situation économiquement et politiquement très dégradée.
Les élections générales auront lieu dans deux ans. Sunak peut-il renverser les sondages et voir son parti survivre à ce qui aurait pu être un désastre si elles avaient eu lieu maintenant ? Compte tenu des décisions difficiles qui attendent le gouvernement, notamment en ce qui concerne la gestion de ce que Sunak appelle lui-même une « grave crise économique », la plupart des commentateurs semblent actuellement suggérer qu'au mieux, les conservateurs pourraient récupérer une partie de la position perdue dans les sondages, mais pas maintenir leur majorité. Avec un trou de 40 milliards de livres dans le budget de l’État, la loi de finance rectificative promise pour novembre comprendra des augmentations d'impôts et des réductions des dépenses publiques, probablement réparties à parts égales. Ni les unes ni les autres ne sont susceptibles d'être très populaires, face à la situation actuelle du coût de la vie. Avec des services de santé presque à genoux, des services sociaux manquant cruellement de personnel, un enseignement manquant cruellement de ressources et des services publics locaux déjà réduits à leur plus simple expression, il est difficile de voir où faire des coupes en dehors de l'aide extérieure et de la défense. Quelles que soient les coupes et l'ampleur des augmentations d'impôts, on peut s'attendre à une certaine opposition au sein même du parti conservateur, mais probablement pas de nature à faire, une fois encore, tomber le gouvernement. Dans le même temps, les relations avec l'UE ne sont pas résolues, notamment en ce qui concerne le protocole sur l'Irlande du Nord. Alors que les discussions se poursuivent entre les deux parties, aucun progrès n'est attendu avant des semaines, voire des mois, même si l'on peut espérer que l'amélioration des relations apparue pendant le mandat de Truss se poursuivra.
Avant toute chose, les pays et les marchés exigent des gouvernements une stabilité politique et économique. La Grande-Bretagne a souffert d'une longue période de faible croissance économique, de déclin politique et, plus récemment, d'incompétence gouvernementale, à une échelle peut-être inconnue depuis la crise de Suez en 1956. Tout cela est du grain à moudre pour le politologue, une source d'amusement et d'étonnement pour les observateurs étrangers, mais un désastre pour le peuple et les entreprises britanniques. Pour Sunak, sa promesse de restaurer la stabilité peut lui valoir des gains à court terme, mais à plus long terme, il reste de nombreux problèmes à résoudre et de difficiles décisions à prendre. Au moins le train est-il de retour sur les rails – espérons qu'il y restera.
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