Comment les médias traitent l'Europe edit
Globalement, l'Europe passe mal dans les médias. À qui la faute ? Aux journalistes qui ne font pas bien leur travail ? Aux politiques qui donnent une mauvaise image de l'intégration européenne en transformant de façon quasi systématique "Bruxelles" en bouc émissaire ? Au public qui, au fond, se désintéresse de ces questions en dépit de ce que peuvent indiquer les enquêtes d'opinion ? Aux institutions européennes qui ne savent pas "vendre" l'Europe ?
En réalité, tout le monde semble être un peu responsable. Or, pour se dédouaner, chacun cherche à se donner bonne conscience en imputant la responsabilité aux autres. Au bout du compte, en France, tout le monde se retrouve quelque peu sur l'idée que la faute incombe finalement à l'Europe elle-même étant donné que l'actualité européenne est complexe, technique, trop institutionnelle, à l'opposé même du fameux principe de proximité, éloignée des préoccupations des Français, etc. En clair, l'Europe, à leurs yeux, c'est important, mais terriblement ennuyeux. Ce n'est pas totalement faux. Pourtant, si l'on regarde un peu ce qui se passe ailleurs au sein de l'Union européenne, on peut remarquer qu'en Allemagne, par exemple, le désintérêt des médias pour l'Europe n'est pas aussi grand qu'en France. L'actualité européenne semble donc y être jugée comme moins ennuyeuse que de ce côté-ci du Rhin. Plusieurs éléments en tout cas le laissent à penser.
Le nombre de correspondants à Bruxelles, qui constitue l'un des symptômes de l'intérêt des médias pour l'actualité européenne et un suivi régulier de cette actualité, est ainsi sans commune entre la France et l'Allemagne. Les données divulguées par les représentations permanentes des deux pays à Bruxelles indiquent ainsi que les médias français ont 67 correspondants accrédités auprès de l'UE, tandis que les médias allemands en ont quasiment le double (121). Les différences sont très notables en ce qui concerne les correspondants de la presse généraliste, quotidienne (31 journalistes allemands, contre 17 français) et hebdomadaire (9 journalistes allemands, contre 4 français). C'est encore plus spectaculaire pour l'audiovisuel où les médias allemands sont quasiment quatre fois mieux représentés à Bruxelles que leurs confrères français, avec 52 correspondants contre 14. Deux chiffres semblent résumer les disparités de part et d'autre du Rhin. ZDF, la seconde chaîne publique allemande, a à elle seule plus de correspondants à Bruxelles que l'ensemble des chaînes de télévision françaises (8, contre 6, dont 3 pour France Télévisions). ARD, la première chaîne publique allemande, a, quant à elle, plus de journalistes à Bruxelles que l'ensemble du secteur audiovisuel français, radios et télévisions confondues (15, contre 14).
Ces disparités sont également visibles dans les programmes télévisés nationaux, alors que la télévision et en particulier les journaux télévisés constituent en France comme en Allemagne, d'après les enquêtes Eurobaromètre, la première source d'information sur l'Europe. ZDF diffuse quotidiennement une émission d'actualité sur l'Europe de 15 minutes (Heute in Europa). Il n'existe pas d'équivalent en France. ARD, de son côté, propose tous les samedi un magazine de 30 minutes (Europa Magazin). France 3 diffuse également un magazine hebdomadaire le samedi (Avenue de l'Europe), mais d'une durée de seulement 13 minutes. Arte a bien une émission hebdomadaire d'une durée de 45 minutes (Zoom Europa), mais il s'agit-là d'une chaîne dont l'audience moyenne est très faible en comparaison des chaînes publiques allemandes. Qui plus est, le magazine est aussi diffusé par Arte en Allemagne. Les sujets traitant de l'Europe sont également peu nombreux dans les journaux télévisés en France. L'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui mesure la répartition des sujets traités dans les JT du soir diffusés par les six chaînes hertziennes, indique que la part des sujets consacrés aux institutions européennes (UE, Conseil de l'Europe) est plutôt faible : 2,7 % du total des sujets abordés en 2000, 5,0 % en 2005 ou 2,3 % en 2007 (Ina Stat, juin 2008). On distingue bien, de ce point de vue, d'un côté, les périodes dites de " routine ", c'est-à-dire sans consultations électorales (élections européennes, référendum) - 2000, 2007 -, et, de l'autre, les périodes électorales (2005) où la part accordée à l'actualité européenne est plus grande. Il n'existe pas malheureusement de données équivalentes pour l'Allemagne qui permettraient d'établir une comparaison pertinente en la matière.
En définitive, ce n'est donc pas tant la nature même de l'actualité européenne qui semble en cause que la façon dont elle est perçue par les médias selon les pays. Or, cette actualité n'intéresse pas beaucoup les médias français car elle se heurte à la vision que ceux-ci ont de l'information. Cette vision largement influencée par la télévision, mais qui a également un impact sur les pratiques journalistiques des autres médias, tout autant en quête d'audience et de rationalisation des coûts, conduit les rédactions à se détourner de plus en plus d'un suivi régulier de l'actualité étrangère, à laquelle l'actualité communautaire est assimilée, et tout particulièrement de sa dimension institutionnelle. On assiste ainsi à ce que le sociologue Dominique Marchetti a appelé une "fait-diversification" de l'actualité internationale. Dans leur couverture de l'international, les télévisions vont donner la priorité moins à l'actualité institutionnelle qu'à une actualité riche en images spectaculaires : catastrophes naturelles, accidents, épidémies, guerres, enlèvements, attentats, famines, scandales, crises, etc. Elles vont, par exemple, couvrir le divorce de Silvio Berlusconi ou le tremblement de terre dans les Abruzzes, plutôt que suivre de façon régulière l'actualité politique ou économique de l'Italie. Cela se traduit aussi concrètement par une réduction de la part des chaînes de télévision du nombre de sujets internationaux traités et de leur place dans la hiérarchie de l'information ; par la fermeture de bureaux à l'étranger, le remplacement des correspondants par des envoyés spéciaux, et donc la logique de couverture de crises ponctuelles au détriment d'un suivi régulier de l'actualité, et la disparition au sein des grandes chaînes des services étranger fusionnés dans les services d'actualité générale. Ne se prêtant pas de manière générale à une telle " fait-diversification ", l'actualité européenne apparaît ainsi comme une victime collatérale de cette vision de l'information dominante dans les médias français.
Qu'on le déplore ou non, les incantations régulières sur la nécessité d'accorder une place plus importante à l'Europe dans les médias n'ont donc que peu de poids face à ce système d'information développé par les grands médias français et plus précisément par les principales télévisions généralistes qui tend à marginaliser l'actualité étrangère. Cela ne doit pas pour autant nous empêcher de regarder ce qui se fait ailleurs en Europe, dans des pays comme l'Allemagne qui ne pratiquent pas nécessairement la politique de l'" écran vide ", et de tenter de nous en inspirer. C'est le fondement même de la démarche européenne.
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