En marche vers l’inconnu! edit
Le Grand Débat est lancé. On sait ce qu’il ne sera pas, tout en ignorant comment il va évoluer.
On sait que ce ne sera pas un débat structuré. Il lui manque des éléments nécessaires pour cela.
Un temps suffisant. Un débat ne consiste pas seulement à collecter des points de vue hétérogènes mais à échanger des arguments en vue de parvenir à des convergences et à un diagnostic partagé. Sur chaque sujet, étendu et complexe, il faudrait au moins deux longues séances de travail. En deux mois, leur organisation et leur tenue sont pratiquement impossibles.
Un cadrage et un constat initial. Un débat, ce n’est pas le Café du Commerce où chacun dans l’ignorance des contraintes peut rêver tout haut. Des contraintes cadrant le débat, il en est d’énoncées dans la Lettre aux Français, elles sont lacunaires. Ainsi, sur le premier sujet, fiscalité et dépenses publiques, il n’est pas précisé que du fait de son déficit extérieur et de son endettement public la France a perdu beaucoup de marges de manœuvre. Le supplément de dépenses publiques décidé il y a quelques semaines sera pour une large part financée in fine par l’étranger qui nous accordera de nouveaux prêts, aggravant notre dépendance. Ce silence d’Emmanuel Macron, persistant depuis son élection, est une incitation indirecte à des propositions du type augmentation du SMIC. Or une augmentation durable du pouvoir d’achat salarial n’est possible que si la France investit plus, produit davantage et mobilise davantage sa population active. Quelle utilité à laisser discuter des propositions sans issue, à moins que l’on soit prêt à augmenter transferts et prestations publiques au profit de la population la plus défavorisée et au détriment des autres catégories sociales, bref à réduire drastiquement les inégalités ?
Un questionnement compréhensible. Un débat n’est possible que si les questions posées peuvent être comprises par la majorité des participants ou si elles ne sont pas trop complexes. Ce n’est pas le cas, principalement sur le sujet de la transition écologique. Des questions comme « comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous devons faire… et faire partager ces choix à l’échelon européen » sont à poser à un panel d’experts pluq qu’à l’ensemble des Français. Il en est de même de la question sur le financement de la transition écologique (soit des dizaines de milliards) par l’impôt et les taxes. A croire que le Président voudrait piéger ses concitoyens. Une question aussi difficile que les économies qui semblent prioritaires se devait d’être éclairée. Cela fait des dizaines d’années que tous les gouvernements, y compris l’actuel, ont buté sur le problème. Le minimum eût été, en se fondant sur des études récentes et dissimulées, d’ouvrir quelques pistes et de parler des services rendus au public, plutôt que des services publics.
S’il ne s’agit pas d’un véritable débat, à quoi allons-nous assister ? Osons une hypothèse optimiste. A une explosion collective, à une libération de la parole échappant rapidement à ses initiateurs, aux deux ministres-contrôleurs et à tous les mandarins qui chercheraient à monopoliser ou contrôler l’expression populaire. Lorsqu’on offre au peuple français l’opportunité de s’exprimer et de se faire entendre, comment croire que ce peuple qui n’a jamais été aussi formé et éduqué ne se saisirait pas de cette opportunité ? Certes il y aura les lobbys, les pouvoirs en place sous toutes leurs formes, qui tenteront d’étouffer tout point de vue dissident. Mais ils seront étouffés par des dizaines de milliers d’initiatives décentralisées, par des plates-formes crées à cet effet, par de réels débats portant sur des points précis animés par des hommes et des femmes de bonne volonté (responsables d’associations, élus locaux…), des inconnus des milieux parisiens. Les revendications des Gilets jaunes ne seraient qu’un élément dans un ensemble beaucoup plus vaste. Cette libération de la parole aurait comme premier effet de détendre le climat politique et d’opérer un transfert progressif de la manif à l’expression verbale collective et pourrait ouvrir une nouvelle phase de notre vie démocratique, à condition qu’elle soit exploitée, ce qui n’est pas la moindre des difficultés. Le président comprendra-t-il qu’une période de « cent fleurs » est probablement sa seule voie de sortie de crise ?
La collecte et l’exploitation de cet ensemble foisonnant, qui implique des synthèses et des sélections géographiques et thématiques, supposent l’invention de procédures ad hoc, que pourrait faciliter la numérisation, et l’élimination d’une censure gouvernementale. Opération techniquement et politiquement délicate.
Pour les cahiers de doléances, le travail est relativement facile et le résultat sera d’un grand intérêt ; l’examen des premiers cahiers montre que les personnes qui se sont déplacées en mairie ont le plus souvent pris l’affaire au sérieux et avaient quelque chose à dire. Bien sûr, il s’agit surtout de personnes âgées et retraitées. On voit mal les plus jeunes se mettre à écrire dans des cahiers en soignant leur orthographe, ils préfèrent le SMS ou la vidéo. En dépit de cette limite, ce matériau sera d’un grand intérêt pour les élus locaux comme pour les historiens.
S’agissant du reste, l’exploitation sera beaucoup plus malaisée, d’autant qu’il faudra faire vite pour ne pas casser un élan populaire exceptionnel.
À ce moment précis, début avril, le Président devra prendre un risque nouveau et considérable, : opérer sa propre sélection et faire approuver les propositions retenues sous des formes variées. Parmi celle-sci, on ne peut exclure le référendum. Certes le risque est considérable, à quelques semaines de l’élection européenne, alors que ses adversaires assimileront le référendum à une opération plébiscitaire. Mais a-t-il vraiment le choix s’il veut retrouver une possibilité de gouverner pleinement jusqu’à la fin de son mandat ? Le référendum devrait être centré sur les institutions et la rénovation de la démocratie. Il permettrait de contourner le Sénat, probablement malmené par le « débat » et affaibli, qui s’apprêtait à bloquer son projet de réforme. Le président devra trancher pour savoir s’il lie la poursuite de son mandat au résultat du referendum. Charles de Gaulle le faisait mais Emmanuel Macron n’est pas le fondateur de la Ve République. Les mesures proposées devraient ne pas négliger des propositions simples correspondant à la grande attente d’une information et d’une transparence supplémentaire comme le compte-rendu annuel d’activité pour tous les responsables de collectivités élues, expliquant ce qui a été fait et ce qui ne l’a pas été et pourquoi. Notons au passage que ce compte-rendu est déjà pratiqué par de nombreux maires.
C’est très rapidement que l’initiative du Président de la République va se cristalliser : soit un sursaut collectif ouvrant des voies nouvelles à notre démocratie, soit la perpétuation du sentiment de défiance et de la confusion, marquant un nouvel affaiblissement de la démocratie.
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