En politisant la politique de santé Trump a pris un risque majeur pour sa réélection edit
Donald Trump, pressé de rouvrir l’économie et de voir remonter le cours du Dow Jones, a cru avoir trouvé dans l’hydroxychloroquine le remède miracle contre le coronavirus. Le 16 mars, il avait été fait mention pour la première fois, sur le Fox Business Network, de l’efficacité de ce médicament pour traiter le virus. Le lendemain, le docteur Raoult avait publié un mémoire suggérant qu’une combinaison d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, serait efficace. Mais, le jour même, le docteur Anthony Fauci, membre éminent de la task force de la Maison Blanche en charge de la lutte contre le virus et qui fut longtemps le directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases, appelait sur Fox News à la prudence et à l’adoption d’une approche scientifique de l’utilisation de la chloroquine. Or, le 19 mars, Trump mentionne la drogue pour la première fois et deux jours plus tard il prend vigoureusement parti pour l’application de la combinaison d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, déclarant qu’il pourrait s’agir là de l’un des plus grands « game changers » de toute l’histoire de la médecine. Pendant plusieurs semaines il va faire de ce traitement son cheval de bataille, vantant son efficacité et poussant les américains infectés par le virus à se le faire appliquer. Dès lors, le président et son conseiller en la matière vont s’opposer, Trump affirmant que ce traitement est sans danger, Fauci multipliant les mises en garde.
Trump tente de contredire Fauci en alléguant l’existence de nombreuses études scientifiques prouvant l’utilité du traitement, sans que jamais d’ailleurs les dites études soient divulguées. Mais c’est sur le terrain politique qu’il va d’emblée porter la controverse. Il s’agit d’une véritable contre-offensive de nature politique qui implique alors de nombreux soutiens du président, personnalités, médias et sites divers, qui vont attaquer Fauci non pas sur ses positions scientifiques mais sur ses objectifs politiques. Dans la foulée du rejet explicite des déclarations de Fauci par le président lui-même, Laura Ingraham, sur Fox News, reprend à son compte la position de Trump. Lou Dobbs, dans son show sur le Fox Business Network, déclare : « le président a raison et franchement Fauci a tort ». Ce dernier est dépeint comme un agent du « deep state » que Trump entend détruire. L’éditeur du site Gateway, Jim Holt, accuse Fauci pour son “disrespectful interview undermining President Trump.” Il s’agit de montrer qu’il est à la solde des démocrates qui veulent faire battre le président en novembre. Un autre site l’accuse même de tenter de transformer les États-Unis en un Épolicier du type de la Chine pour stopper le virus. Des hommes d’influence chez les conservateurs, tel Bill Mitchell de « YourVoice America », développent sur Twitter des théories conspirationnistes que Trump retweetera plus d’une centaine de fois. Alors que les mises en garde se multiplient de la part des autorités scientifiques Trump déclare qu’il prend lui-même de la chloroquine de manière préventive depuis une semaine et demie et que pour le moment il va très bien. Laura Ingraham sur Fox News amplifie la propagande en faveur de la drogue provoquant une ruée des acheteurs. Fin avril, Fox News et Fox Business auront mentionné les deux drogues 1375 fois.
La politisation à outrance de la politique de santé par le président et ses soutiens les conduisent à établir un clivage de nature politique entre les partisans et les adversaires de l’utilisation de ce traitement alors que se multiplient les études scientifiques mettant en doute et déconseillant son utilisation. Cette politisation aboutit à ranger les autorités scientifiques et médicales dans le camp des adversaires politiques du président. Elles se trouvent du coup, dans la vision populiste de Trump, faire partie de ces élites qu’il appelle le peuple américain à combattre depuis son entrée en politique. L’administration fédérale se trouve alors déchirée. Le docteur Rick Brigth, qui dirige l’agence fédérale en charge du développement d’un vaccin subit des pressions pour diriger des fonds vers l’achat d’hydroxychloroquine est démis de son poste pour leur avoir résisté. Donald Trump s’oppose lui-même aux directives édictées par sa propre administration pour bloquer la diffusion du virus, en particulier la réouverture lente et graduée de l’économie et le port du masque. Refusant lui-même de porter un masque en public il qualifie le port du masque de « politiquement correct » et traite Joe Biden, son futur adversaire à la prochaine élection présidentielle de novembre, de « fool », moquant son port du masque, ce port devenant ainsi un signe d’appartenance au camp de ses adversaires.
Le clivage entre scientifiques et trumpistes atteint son paroxysme le 22 mai lorsque, Trump continuant de promouvoir le traitement, sont publiés par la prestigieuse revue scientifique The Lancet les résultats d’une recherche menée sur une large échelle qui confirment que les traitements du covid 19 par l'hydroxychloroquine « ne bénéficient pas aux patients du Covid-19 » et sont même néfastes.
En classant les scientifiques opposés au traitement à base de chloroquine parmi ses ennemis politiques Trump a pris un risque majeur pour sa réélection comme le montrent les récents sondages.
Une enquête du Pew Research Center du 21 mai montre que la confiance des Américains dans les scientifiques est presque unanime : 87% ont très ou assez confiance, en augmentation de neuf points par rapport à l’année précédente. Cette augmentation est due surtout aux électeurs démocrates. De même, 60% des Américains souhaitent que les scientifiques jouent un rôle actif dans les débats de politiques publiques lorsqu’ils portent sur des enjeux scientifiques, dont 75% des démocrates mais aussi 43% des républicains. Le résultat le plus inquiétant pour Trump concerne les réponses à la question : « approuvez-vous ou désapprouvez-vous la manière dont Donald Trump gère la réponse au coronavirus ? » 41% seulement approuvent et 56% désapprouvent.
Un sondage de Quinnipiac University du 20 mai confirme le risque politique élevé pris par Donald Trump en traitant les scientifiques et les médecins comme des ennemis politiques. La comparaison des attitudes à l’égard de Trump et du docteur Fauci concernant la manière dont ils gèrent l’un et l’autre la réponse au coronavirus le montre de manière éclairante (tableau).
Tandis que 68% approuvent Fauci, 41% seulement approuvent Trump, en baisse de deux points par rapport au mois de mars. Si les républicains approuvent massivement Trump, ils sont également 51% à approuver Fauci. Quant aux indépendants ils approuvent Fauci mais non pas Trump. Plus inquiétant encore pour le président, les plus de 65 ans, son électorat jusqu’ici le plus fidèle, a décroché, se situant maintenant au même niveau que les membres des autres classes d’âge. Trump est ainsi désapprouvé dans toutes ces classes. Pire encore pour lui, les électeurs les plus âgés sont ceux qui ont la vue la plus positive de l’action de Fauci.
L’évolution des électeurs les plus âgés est compréhensible dans la mesure où étant les plus exposés ils sont les plus attachés aux mesures prises pour stopper la diffusion du virus. C’est ainsi qu’ils sont massivement favorables à une réouverture lente du pays (75%) et non pas rapide et qu’ils estiment que Trump devrait, comme tout le monde, porter un masque (66%).
Ce glissement de l’électorat le plus âgé explique pour une large part que parmi les électeurs républicains, 50% préfèrent une réouverture lente de l’économie (95% des démocrates et 71% des indépendants) et que 51% souhaitent que Trump porte un masque (90% des démocrates et 66% des indépendants). On comprend que, dans ces conditions, Biden ait contre-attaqué en déclarant que la défense du port du masque serait l’un des éléments importants de sa campagne. Le futur candidat démocrate est en effet très bien placé face à Trump sur la question de la lutte contre le coronavirus. Ainsi, à la question : « qui gèrerait le mieux la réponse au coronavirus de Trump ou de Biden ? » 39% répondent Trump et 55% Biden. A l’évidence, le président sortant a choisi un bien mauvais terrain pour mener sa campagne !
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