Les réformes et l’Europe : rendez-vous manqué edit
En annonçant la rupture avec les archaïsmes franco-français, le candidat Sarkozy se présentait comme celui qui mettrait un terme à la marginalisation de la France dans les affaires européennes. Certes, son ardeur à promouvoir les entreprises françaises inquiétait nos partenaires, mais l’idée d’une France profondément réformée soulevait bien des espoirs. C’était bien parti.
Même si la tendance à tirer la couverture à soi avait suscité quelques agacements, l’engagement enthousiaste du Président à promouvoir un Traité simplifié avait, d’un coup, remis la France en selle. Et puis, en Europe comme en France, devenu président, Nicolas Sarkozy a multiplié les malentendus, souvent les maladresses, et créé de la déception, muée en angoisse avec l’arrivée de la présidence française. Le bilan est déprimant. Sarkozy a gaspillé le potentiel de sympathie acquis avec le traité simplifié en poursuivant des chimères (le contrôle de la BCE, l’Union pour la Méditerranée) et en s’accrochant à la PAC. Son capital politique aurait pu être plus utilement dépensé à desserrer l’étau que représente le Pacte de stabilité à un moment où le Président a besoin de marge de manœuvre pour graisser les rouages des réformes qu’il a promises.
Les problèmes ont commencé avec les critiques répétées de la BCE en particulier, et des marchés financiers en général. En reprochant à la BCE de ne rien faire pour bloquer l’envolée de l’euro, Sarkozy caressait dans le sens du poil une opinion publique qui n’a pas conjuré ses vieux démons protectionnistes. En demandant que le statut de la BCE soit revu pour qu’elle soit plus à l’écoute des politiques, il renforçait le point de vue de tous ceux qui n’ont pas accepté le principe d’indépendance des banques centrales, pourtant mis en œuvre dans un nombre grandissant de pays avec des résultats probants. En pratique, cela n’a aucune importance. Pour changer les statuts de la BCE, il faut non seulement l’unanimité des pays membres de l’Union, mais aussi un nouveau traité. Ni l’un, ni l’autre ne sont envisageables. Que Berlusconi, revenu aux affaires, semble prêt à se rallier à cette thèse ne changera rien, sinon que Sarkozy se retrouvera en bien peu flatteuse compagnie. C’était peut-être un bon coup de politique intérieure, mais ce fut un désastre vis-à-vis de nos partenaires en général, et de l’Allemagne en particulier.
Car, déjà secouée par cette affaire, l’Allemagne n’a rien compris au projet de l’Union pour la Méditerranée, sinon qu’elle en serait exclue. Il est bien difficile de lui en faire le reproche. Pour beaucoup, ce projet révèle la tentation traditionnelle de la France d’essayer de récupérer son fond de commerce avec le Maghreb et ses gisements de gaz. Après tout, l’Allemagne aussi cherche des accords dans ce sens avec la Russie et l’Asie Mineure, mais elle ne se cache pas derrière une pseudo-construction trop vague pour être opérationnelle, mais suffisamment explicite pour être prise au sérieux.
Ayant ainsi détérioré ses relations avec Angela Merkel, Sarkozy a ensuite déçu beaucoup de monde avec la Politique agricole commune. Une première annonce signalait une approche constructive du « bilan de santé » de la PAC. Cette étape, prévue pour 2008, avait été arrachée lors de la dernière réforme de 2003 au Président Chirac, très isolé dans sa défense acharnée d’une politique qui absorbe près de la moitié du budget de l’Union pour subventionner de manière inefficace les grandes entreprises agricoles. Se pouvait-il que la France accepte enfin de reconnaître l’échec de la PAC, si souvent replâtrée ? Las, il fallut vite déchanter. Sarkozy devait bientôt préciser qu’il voulait avant tout continuer à protéger ses agriculteurs. Pas de rupture, donc, bien au contraire. Quand, plus récemment, les prix agricoles se sont envolés, promettant des profits fabuleux à nos céréaliers fortement subventionnés, on a cru un instant que s’ouvrait une porte, tant l’incongruité de la situation sautait aux yeux. Mais, très rapidement, notre ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, a expliqué que l’explosion des prix agricoles justifie encore plus la PAC. Comprenne qui pourra, mais cette logique promet une belle empoignade et bien des rancœurs.
Le plus curieux de tout cela est que, s’il n’a pas hésité à réaffirmer la fameuse exception française, Sarkozy a refusé d’ouvrir le seul débat dont il a vraiment besoin : le Pacte de stabilité (et de croissance). Le pacte est un non-sens économique. Ses défenseurs s’appuient sur deux arguments. Premièrement, le pacte existe, donc il faut le respecter. Loin de moi l’idée de suggérer que la France doive renier ses engagements, mais on peut très bien les rediscuter. Deuxièmement, depuis très longtemps, bien des pays ont fait preuve de laxisme budgétaire. Il est donc souhaitable de mettre un terme à l’escalade des dettes publiques en Europe. Certes, mais la fin ne justifie pas les moyens. On peut faire autrement, et mieux.
La réforme du pacte aurait pu être le combat européen de Sarkozy. Plombé par le double héritage d’une dette excessive qui réduit ses marges manœuvres et d’un budget en déficit inutile, Sarkozy a besoin de ressources – le fameux donnant-donnant – pour faire passer les réformes dont il a fait son cheval de bataille. Les caisses de l’Etat ne sont pas vides mais fortement contraintes par le Pacte de stabilité. Desserrer cet étau aurait dû être sa première et grande priorité européenne. Il ne manquait ni d’arguments, ni d’idées. Il manquait d’alliés au sein de l’Union, mais il aurait pu s’en faire beaucoup. Il lui suffisait, pour cela, d’abandonner l’exception française, par exemple en consentant à un effacement progressif de la PAC et en cessant les remontrances à la BCE.
A-t-il voulu utiliser l’Europe comme bouc émissaire pour asseoir la popularité dont il a besoin pour réaliser son ambitieux programme de réformes ? A l’évidence, cette stratégie a échoué. A-t-il sous-estimé le carcan du Pacte de stabilité parce qu’il pensait qu’une croissance soutenue lui apporterait les moyens budgétaires dont il a besoin ? La croissance n’est pas au rendez-vous et la France risque de voir se déclencher contre elle la procédure d’alerte prévue par le pacte. A-t-il jugé une renégociation du pacte impossible ? Ce serait surprenant de la part d’un homme qui n’a jamais craint de susciter les foudres de nos partenaires sur des questions qui lui tiennent à cœur.
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