La deuxième mort de Dexia edit
La première mort de Dexia illustrait l’hybris de banques européennes parties à la conquête de l’Amérique et qui investirent les métiers mal compris et mal maîtrisés de la finance de marché. Le démembrement de Dexia, sa deuxième mort, résulte du choc entre un modèle économique basé sur le financement à court terme d’un portefeuille obligataire théoriquement sans risque et l’incapacité des dirigeants européens à éviter la contagion de la crise des dettes souveraines. Mais la naissance même de Dexia, fruit d’un rapprochement franco-belge, illustre les illusions formées au moment où on libéralisait les marchés financiers et où se préparait le passage à l’euro : l’avènement de banques européennes devait faire reculer les patriotismes bancaires et contester l’hégémonie américaine dans les activités de marché.
Dexia est morte deux fois, victime de crises de liquidité que les créateurs de l’entreprise avaient ignorées en bâtissant leur modèle économique – un modèle que les marchés n’avaient guère sanctionné avant 2008. L’histoire de cette banque, de sa naissance de sa croissance et de ses deux morts, mérite d’être contée. D’autant qu’entre la naissance et la deuxième mort de Dexia les régulateurs n’ont rien vu, puisque les stress tests pratiqués en juillet 2011 révélaient une solidité enviable de son bilan.
Au départ, Dexia c’est d’une part le Crédit Local de France, adossé à la Caisse des Dépôts, qui pratique un métier de prêteur aux collectivités territoriales, et d’autre part le Crédit communal de Belgique, un établissement de crédit aux collectivités locales dont il est une émanation et qui par la suite a développé une activité de banque de détail.
De deux activités publiques nationales peu rentables mais sûres encastrées dans les deux États respectifs, Pierre Richard et François Narmon veulent faire une banque universelle dans une Europe en voie d’intégration économique monétaire et financière, et une banque globale dans le financement du secteur public. Leur stratégie est quadruple : internationaliser, diversifier, améliorer la rentabilité, et sécuriser l’entreprise.
Internationaliser le métier de prêteur aux collectivités locales est la première tâche à laquelle s’attellent les dirigeants. Après avoir fait le tour de l’Europe, créé des établissements ou repris des entreprises locales et développé à marche forcée l’activité de prêteur aux collectivités publiques, Dexia s’attaque au dynamique marché des muni-bonds Américains en rachetant FSA. L’initiative peut surprendre, car FSA est un rehausseur de crédit. Cette activité consiste à garantir les emprunts d’entités de faible réputation, en l’occurrence des collectivités publiques. De ce fait, l’emprunteur obtient une meilleure notation, celle du rehausseur. Bien sûr, le rehausseur s’engage et prend un risque ; en retour il demande une prime. Pour Dexia, l’entreprise est très risquée car elle s’aventure sur un marché qu’elle ne connaît pas, dans un métier qu’elle ne maîtrise pas et avec des personnels qu’elle ne parvient pas à contrôler. Mais Dexia considère que l’achat d’un rehausseur de crédit est la bonne voie pour entrer sur le marché américain. La crise des subprimes va rapidement détruire le modèle économique des rehausseurs de crédit et conduire Dexia, par ailleurs en butte à une crise de liquidités, à aller frapper aux portes des trois États tutélaires (France, Belgique, Luxembourg) pour éviter la faillite.
Diversifier le portefeuille d’activités pour entrer dans la cour des grands est la deuxième priorité. L’entreprise s’attache donc à trouver de nouveaux métiers financiers plus dynamiques notamment dans la gestion de fortune et la gestion d’actifs. Le développement de la Banque internationale du Luxembourg, apportée par les Belges, va y contribuer. L’aventure Dexia Pays-Bas (née de la fusion de la Bouchère et Kempen) illustre cependant les prises de risque excessives de la banque, ces entreprises achetées au plus haut et dont l’une faisait du leasing d’actions vont s’effondrer et susciter un contentieux judiciaire chronique. Le prêt d’actions à des fins spéculatives au plus fort de la bulle de l’internet est une diversification assez lointaine des prêts aux collectivités ! L’aventure se soldera par des pertes massives.
Améliorer la rentabilité du modèle économique de Dexia est la troisième priorité. Le crédit au secteur public est une commodité : comment sophistiquer cette prestation pour en améliorer la rentabilité ? La réponse de Dexia va consister à faire partager les joies des financements structurés aux édiles locaux. Un taux fixe, explique Dexia, peut être avantageusement remplacé par un taux variable plus faible même si des indexations sur la livre, le yen ou le franc suisse peuvent faire monter ces taux variables dans des situations rares ou improbables. Les édiles locaux, de bonne ou mauvaise foi, vont se déclarer victimes de ces financements « toxiques » et poursuivre Dexia devant les tribunaux.
Améliorer la rentabilité c’est aussi faire de la gestion pour compte propre d’obligations. Bénéficiant de financements à court terme très avantageux, Dexia mobilise ses compétences en gestion obligataire pour se constituer un immense portefeuille de dettes souveraines. Tant que le risque souverain, notamment européen était inexistant cette activité était lucrative. À partir de la crise grecque la détention de ce portefeuille obligataire va tourner au cauchemar.
Élargir la base de dépôts pour dérisquer son modèle économique est l’objectif majeur que Dexia poursuit depuis sa naissance. Son échec en la matière signera sa disparition. Le métier de Dexia est d’emprunter court et de prêter long. Cela suppose une base de dépôts large ou un accès permanent au financement à court terme. La crise des subprimes a rappelé que les marchés pouvaient se fermer. Comment faire pour échapper à cette contrainte ? Dexia a cherché dès le début à renforcer sa base de dépôts belges, trop faible pour sécuriser un ensemble très exposé aux risques de financement à court terme. Différents partenariats ont été envisagés, notamment avec SocGen, avant qu’une solution ne soit trouvée dans un mariage avec une grande banque de détail italienne (Sanpaolo IMI). Le refus des actionnaires belges de passer sous la coupe d’actionnaires italiens allait interdire à Dexia de dérisquer son bilan à court terme en la rendant vulnérable à toute crise de financement. La réponse trouvée fut l’acquisition de la banque de détail turque Denizbank. Même si cette acquisition est prometteuse (en 2014, 6 millions de clients sur 10 de la banque de détail Dexia seront turcs) elle ne permet pas de régler la question lancinante de la distorsion de maturités qui plombe le bilan de Dexia.
Au total la mort nationale de Dexia qui s’est rêvée banque universelle européenne et banque mondiale de financement public illustre une fois de plus la force des tropismes nationaux, la faiblesse des régulateurs et la fragilité de modèles économiques qui ignorent le risque de liquidité.
Dexia Belgique, évaluée à 7-10 milliards d’euros, a été cédée à l’Etat belge pour 4 milliards d’euros parce que la France voulait minorer son exposition à la banque résiduelle créée pour porter les actifs toxiques de peur de perdre son triple A. La France sacrifie ainsi les actionnaires actuels pour limiter les pertes qu’elle aura à subir quand les actifs toxiques seront vendus à perte au fil du temps. Mais ces actifs toxiques constitués en particulier de dettes des pays périphériques de la zone euro ont été conservés par Dexia à la demande du gouvernement français !
Dexia, classée entreprise aux fonds propres les plus solides (Tier 1, meilleur que ceux du Crédit Agricole, de BNPP et de SocGen), a disparu quelques semaines après que ce constat ait été établi par le régulateur bancaire européen. L’aveuglement du régulateur jusqu’au terme ultime de la crise de Dexia laisse sans voix.
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