Les eurobonds sont-ils une solution à la crise ? edit
Avec l’aggravation de la crise des dettes souveraines, la question des eurobonds se repose. Elle n’est pas nouvelle. Déjà sont communautarisées les émissions de la Commission et celles de la Banque européenne d’investissement. Allant plus loin, le Premier ministre belge Yves Leterme avait lancé l’idée d’une Agence commune de la dette. Le débat a été relancé ces derniers jours par le président de l’Eurogroup Jean-Claude Juncker et le ministre italien Giulio Tremonti. Ils ont proposé la mise en œuvre d’eurobonds à l’échelle européenne, faisant un grand pas en avant avec la possibilité de mutualiser dès aujourd’hui environ la moitié de la dette commune. Cette proposition ressemble à celle de Jacques Delpla et de Jacob von Weizsäcker d’eurobonds bleus/rouge, pour laquelle les émissions seraient communes à hauteur de 60% du PIB. Ces propositions ne s’arrêtent pas à des simples solutions techniques d’émission commune moins chère, elles se veulent des outils de résolution de la crise actuelle. Les chefs d’État de la zone euro ont refusé cette option. Ont-ils eu tort ?
On peut distinguer deux approches : celle des émissions pour des projets spécifiques, telles que les émissions de la BEI ou de la Commission, et celles plus générales qui représentent une forme de fédéralisme. Il existe déjà des eurobonds : ce sont les obligations émises par la Commission européenne dans le cadre de son aide aux pays européens non euro qui ont des problèmes de financement externe. L’encours de cette dette est d’environ 10 milliards d’euros et la modestie de cet encours souligne l’absence d’engagement politique : en cas de non remboursement d’un pays qui a bénéficié de ces prêts, la note à partager entre les 27 (car c’est un programme piloté pour l’Union européenne en entier et non seulement pour les pays de la zone euro) serait faible.
Les « eurobonds » de la Banque européenne d’investissement sont un peu plus importants mais s’inscrivent dans la même lignée. Ils servent principalement à financer des prêts aux entreprises européennes de taille moyenne. Là encore, le capital et les encours de cette structure sont peu importants en regard du PIB de l’Union européenne (la BEI a émis près de 80 milliards d’euros l’an passé à comparer avec les 900 milliards émis par les pays de la zone euro), et c’est un programme qui concerne l’ensemble des pays de l’Union européenne et pas la seule zone euro.
Ce qui a été proposé par Yves Leterme, Jean-Claude Juncker, Giulio Tremonti, Jacob von Weizsäcker et Jacques Delpla est différent, car leurs idées sont d’une tout autre ampleur et impliquent une véritable mutualisation des risques budgétaires. Ces programmes s’adressent d’ailleurs aux seuls pays de la zone euro (et pas à l’Union européenne). Ensuite ils ont comme trait commun de vouloir regrouper les émissions souveraines des États de la zone euro. Pas toutes les émissions, une certaine proportion des émissions (on commence à hauteur de 40% du PIB chez Juncker et Tremonti, Delpla et Weizsäcker vont plus loin avec un montant représentant 60% du PIB). Il y a deux idées principales dans ces propositions. 1/ Regrouper les émissions permet d’avoir un vaste marché, ce qui fait baisser la prime de liquidité (en simplifiant, plus un marché est fragmenté, moins il est liquide, plus les investisseurs demandent à être rémunérés pour le risque de liquidité qu’ils prennent). C’est en arguant du fait que le taux serait abaissé par rapport à la moyenne des taux de la zone euro que l’on espère recueillir l’adhésion de l’Allemagne. 2/ Émettre en commun, avec ce taux plus bas, une part de sa dette et émettre de façon nationale l’autre part complémentaire de ses émissions revient d’une part à « mutualiser » le risque sur une partie de la dette qui devient sûre, et d’autre part incite les pays à ne pas avoir beaucoup de dette au-delà de ce seuil… sous peine de payer des taux très élevés. On crée donc là un instrument de discipline endogène, ce qui est habile, car c’est ce qui manque dans le Pacte de Stabilité.
En posant une limite à ces émissions, on peut peut-être éviter la question du fédéralisme budgétaire. L’idée est bien entendu que cette dette commune serait sûre ; au-delà de ce qui est communautarisé les États peuvent faire défaut. Dans ce cadre, les eurobonds sont-ils une réponse aux tensions sur les marchés ? Partiellement : s’ils rassureraient les marchés sur l’engagement de solidarité budgétaire des États, ils ne peuvent éradiquer le risque de défaut qui est la grande crainte actuelle des marchés. Au-delà des 40% ou 60% selon les auteurs, les pays pourraient toujours faire défaut, et c’est bien cette crainte qui paralyse aujourd’hui les marchés détenteurs de cette dette. En ce sens, les eurobonds ne résoudraient pas la crise, qui pose la question de la possibilité de défaut de certains États.
Les eurobonds sont-ils une garantie de la bonne conduite budgétaire des États, qui est la seule façon d’éviter un « surendettement » et donc un défaut ? Oui si l’on admet que ce système va conduire les États à minimiser leur dette, parce qu’au-delà des 40% ou 60% de dette sur PIB, ils continueraient de s’endetter à un taux élevé. Mais aujourd’hui le ratio moyen de dette sur PIB s’élève à environ 80% dans la zone euro. En regard de l’ampleur de l’ajustement nécessaire les « eurobonds » ne peuvent garantir que les États parviendront à réduire leur dette rapidement de 20 à 40 points de PIB. Le risque que certains États choisissent le défaut sur la partie de la dette au-delà des 40 ou 60% de PIB, plutôt que de s’engager dans un ajustement long et difficile, n’est donc pas nul.
Enfin, pour être mise en œuvre, une telle proposition nécessite une modification du Traité. Mutualiser la moitié de la dette de l’ensemble des États revient à les rendre solidaires budgétairement. Mais peut-on être garant, même implicite, de la dette d’un pays sur lequel on n’a aucun contrôle ? Il paraît difficile de mettre en œuvre un tel projet sans que les pays membres n’acceptent de renoncer à leur entière liberté budgétaire et n’accordent aux autres pays de la zone euro un véritable droit de regard intrusif sur leur gestion budgétaire. Accepter les eurobonds, c’est donc aussi accepter de renoncer à la souveraineté budgétaire, puisque c’est accepter une intrusion dans les comptes publics nationaux, et aussi dans les politiques économiques nationales. En effet, en cas de dérapage budgétaire, tous les États se sentiraient concernés et seraient en droit de réclamer des modifications de la politique budgétaire. Transférer (même partiellement) une politique éminemment nationale dans les mains de la zone euro ne peut démocratiquement se faire sans l’accord des parlementaires nationaux. La mise en œuvre des eurobonds nécessite donc au moins un débat politique au niveau des pays et une révision idoine des Traités européens.
En somme, les eurobonds posent la question, légitime, de l’avancée de la zone euro vers plus d’union budgétaire. Cependant, ils ne résoudraient pas la crise actuelle, ne pouvant garantir l’ajustement des pays « surendettés » ni éradiquer le risque de défaut qui inquiète aujourd’hui. En outre, ils ne peuvent être mis en place comme un instrument technique additionnel de la zone. A contrario, comme les eurobonds impliquent de renoncer à une certaine souveraineté budgétaire nationale, ils méritent des débats nationaux et probablement une révision des Traités qui entérineraient la volonté politique des États de la zone d’avancer vers plus d’intégration.
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