Impeachment de Trump: un coup pour rien edit
La procédure d’impeachment d’un président des États-Unis, introduite dans la Constitution en 1787, ne fut utilisée qu’une fois avant la fin du 20e siècle, lors de la mise en cause du président Johnson en 1869. Depuis, elle est invoquée de plus en plus fréquemment, devenant un instrument politique exploité sans scrupule par les deux grands partis. La démarche visant à la destitution de Trump a pour seul résultat d’exacerber les tensions entre Démocrates et Républicains et n’a aucune chance d’aboutir ce qui ne peut qu’accroître le malaise des électeurs et leur rejet des politiques.
Jusqu’à l’affaire du Watergate, en 1974, l’impeachment, la mise en cause pour destitution du président par le Congrès et le Sénat était tombée dans l’oubli tant elle paraissait difficile à justifier et à mettre en œuvre. Toutefois, quand il fut avéré que le président Nixon avait tenté d’étouffer la tentative de cambriolage du siège du parti démocrate par une équipe recrutée par ses proches, un certain nombre d’élus républicains cessèrent de le soutenir et il préféra démissionner plutôt que d’être condamné à la destitution par le Sénat. En 1999, les Républicains engagèrent à nouveau cette procédure contre le président Clinton, accusé d’avoir menti sur sa relation avec une jeune stagiaire de la Maison-Blanche. Ils durent cependant renoncer à obtenir un vote positif du Sénat en raison de la faiblesse de leurs accusations contre un président populaire et en fin de mandat.
Une procédure qui se banalise
Depuis, l’impeachment est revenu dans l’actualité et des élus des deux grands partis n’hésitent plus à l’invoquer comme si cette démarche, autrefois extraordinaire, s’était banalisée. Certains Républicains cherchèrent à plusieurs reprises à le mettre en œuvre contre Obama. Dès l’élection de Trump, en 2016 des membres démocrates du Congrès annoncèrent qu’ils étaient favorables à cette mise en cause d’un président trop enclin à prendre des décisions arbitraires et à se soumettre à des influences étrangères dangereuse. Jusqu’en 2018, ces proclamations ne pouvaient déboucher sur aucun résultat puisque les Républicains contrôlaient les deux Chambres.
La situation se présenta de manière totalement différente à partir de novembre 2018 quand les Démocrates reprirent la majorité au Congrès ce qui rendait possible une mise en accusation du président. Toutefois, cette démarche était loin de faire l’unanimité. Un clivage très net apparut entre les Démocrates élus dans des circonscriptions « bleues » c’est-à-dire très sûres, qui poussaient à l’impeachment et ceux qui avaient conquis de justesse des circonscriptions « rouges » où Trump avait gagné en 2016 et qui craignaient d’indisposer leurs électeurs. La présidente du Congrès Nancy Pelosi, consciente de ces divisions, freina pendant un an ces appels à la mise en accusation du président.
Pelosi se rallia à la demande d’impeachment en septembre 2019 quand il s’avéra que Trump avait proposé un marché choquant au nouveau président de l’Ukraine, le menaçant de bloquer une aide militaire de 400 millions de dollars s’il ne lui fournissait pas des informations sur les agissements de Hunter Biden, administrateur d’une grosse entreprise énergétique ukrainienne et fils de Joe Biden, candidat à la candidature démocrate pour la présidentielle et considéré par le président comme un adversaire dangereux.
Le Congrès a donc engagé une procédure de destitution et procédé à une longue enquête assortie d’auditions de témoins qui toutes confirmèrent les interventions du président. La demande d’impeachment a été votée le 19 décembre dernier par 230 voix contre 197. Cette demande a été solennellement remise le 16 janvier au Sénat qui doit statuer à la majorité des deux tiers.
Cette procédure extraordinaire suit son cours et devrait déboucher sur un vote du Sénat d’ici deux à trois semaines. Elle a enflammé les milieux politiques et les médias qui y ont consacré d’innombrables commentaires. Il reste qu’elle pose deux questions fondamentales : est-ce que le public américain s’est mobilisé sur ce sujet, et quel sera son impact sur les présidentielles de novembre 2020 ?
Un impact incertain sur l’opinion et l’électorat
Sur le premier point, il faut constater que l’attention du public a été limitée. Les candidats démocrates aux primaires recueillent assez peu de questions sur cette affaire compliquée qui n’affecte pas les intérêts des citoyens et qui a pour origine l’Ukraine, un pays lointain et peu connu. Le sujet majeur des débats des primaires est la réforme de l’Obamacare, le système de santé ainsi que les questions relatives à l’emploi et à l’éducation. Les auditions télévisées organisées par les commissions compétentes du Congrès n’ont pas rassemblé d’audiences importantes.
Sur le second point il semble que les données électorales ne seront guère modifiées par cette opération éminemment politique. Les sondages les plus récents montrent que les Républicains continuent à soutenir le président à une majorité de 90%. Inversement, 90% des Démocrates sont favorables à l’impeachment. Les indépendants qui représentent un tiers du corps électoral sont partagés même si une majorité, environ 55%, soutient la procédure démocrate sans pour autant souhaiter de manière explicite le départ du président.
Ce qui est frappant, c’est le clivage en fonction des sexes. D’après une étude de l’université Quinnipiac, 53% des femmes sont favorables à cette procédure contre seulement 36% des hommes. Il est aussi notable que dans les états clés, les « swing states » qui joueront un rôle majeur lors du scrutin du 3 novembre prochain, le soutien au président Trump n’a pas faibli et reste au même niveau qu’avant le début de la procédure, signe que les Démocrates ne sont pas parvenus à influencer de manière significative l’opinion. C’est ainsi que dans l’un de ces états, le Wisconsin, 40% seulement des électeurs sont favorables à une destitution alors que 53% y sont hostiles.
Les élus républicains ont évidemment tenu compte de ces sondages et des réactions de leurs électeurs quand ils visitent leurs circonscriptions. Au Congrès, aucun Républicain n’a voté pour la motion d’impeachment alors que pour Nixon et Clinton la démarche des élus avait été bipartisane. Au Sénat qui doit trancher à la majorité des deux tiers, aucun sénateur républicain ne s’est déclaré prêt à voter l’impeachment même si certains d’entre eux, comme Mitt Romney ou Susan Collins, ont souhaité que la procédure autorise l’audition de témoins. Or les Républicains détiennent 53 sièges sur 100 au Sénat. Dans ces conditions, l’échec de l’impeachment est certain au terme d’un débat qui s’apparente à un dialogue de sourds.
Un bilan négatif pour les Démocrates
Le bilan de cette spectaculaire opération est donc très négatif. Elle a mis en lumière, une fois de plus, le profond clivage entre les factions démocrates et républicaines qui ne partagent ni les mêmes informations ni la même conception du pouvoir ce qui rend impossible un authentique dialogue démocratique. Loin d’affaiblir Trump elle lui a permis de se faire passer pour un martyr, victime d’une chasse aux sorcières menée par ses nombreux ennemis, une position relayée par ses dizaines de tweets quotidiens et par Fox News, la chaîne d’information qui est devenue un outil de propagande très populaire au seul profit du président. Du coup, les donations destinées au financement de sa campagne affluent. Trump a amassé un trésor de guerre de 200 millions de dollars ce qui lui donne une avance considérable par rapport à ses adversaires démocrates.
Daniel Lacorne, un des meilleurs spécialistes français des Etats-Unis, conclut dans un récent article du Monde : « Pour les Démocrates, l’issue de l’élection de 2020 tiendra en bonne partie à leur faculté d’oubli : l’oubli d’une mise en accusation qui ne mène à rien. »
L’enjeu pour les Démocrates est donc de tourner au plus vite la page de l’impeachment et de désigner un candidat crédible à la présidence, dans le cadre d’une campagne qui sera difficile et violente.
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