Johnson et Corbyn sont dans un bateau... edit
Le Royaume-Uni doit quitter l’Union européenne le 31 octobre. Il est clair que personne n’a d’idée sur ce qui va se passer, ni quelle forme cela va prendre. Ces derniers jours ont vu le pays confronté à une double crise, politique et institutionnelle, avec la Cour suprême décidant que le gouvernement et le Premier ministre avaient agi illégalement en suspendant le Parlement ; ce faisant, la Cour a effectivement rétabli la souveraineté du Parlement sur l’Exécutif, un très ancien principe constitutionnel que l’action du gouvernement a tenté de saper.
La décision de la Cour suprême est intervenue en plein milieu de ce qui aurait dû être le Congrès annuel du parti travailliste au cours duquel aurait été énoncée clairement la position du parti sur le Brexit, quelles que soient par ailleurs les propositions diverses présentées aux électeurs. Cependant, le début du Congrès fut un véritable désastre pour le parti. Une motion présentée par les proches de Jeremy Corbyn pour éliminer le chef adjoint du parti, Tom Watson, ne fut retirée que lorsque le chef du parti lui-même fit la promesse de revoir cette position et fut amené à affirmer qu’il appréciait beaucoup le travail avec Watson, malgré de nombreux désaccords entre eux, en particulier sur le Brexit. Le désastre se poursuivit pendant le débat sur le Brexit au cours duquel la position de Corbyn – faire et gagner une élection, négocier un nouvel accord avec l’UE et organiser à partir de ce texte un référendum où les électeurs auraient à choisir entre une version plus précise du Leave et le Remain, mais où le parti n’indiquerait pas sa propre préférence – fut entérinée par un vote à main levée pagailleux et invérifiable plutôt que par un vote formel. Le débat montra à cette occasion que le parti était aussi divisé sur cette question que le pays lui-même. Les militants, surtout ceux favorables au Remain, furent dominés arithmétiquement par les représentants des syndicats, la plupart d’entre eux soutenant la position de Corbyn, qui utilisent le vote bloqué.
Les choses n’auraient pas été mieux pour le parti sans la décision de la Cour suprême car elle a donné au Labour un argument pour attaquer Boris Johnson et son gouvernement. Mais cette décision a accéléré la fin du congrès, le Parlement étant convoqué dès le lendemain et les députés travaillistes devant donc retourner affronter le gouvernement. Du coup, les propositions du parti présentées, dont certaines très radicales, sont passées presque inaperçues. Sur les émissions de carbone, le parti veut que soient remplis dès 2030 les objectifs fixés auparavant pour 2050. Il veut également multiplier les parcs éoliens offshore pour augmenter la production d’électricité ainsi que nationaliser les six grandes entreprises de production d’énergie. Il s’engage pour la gratuité des transports publics verts. Dans le secteur de la santé, il prévoit le remboursement des premiers médicaments et l’accroissement des médicaments génériques ainsi que la gratuité des soins à domicile pour les personnes âgées. Dans l’éducation, les établissements privés percevant des droits d’inscription perdraient leur statut non-imposable, ce qui mettrait en cause leur existence même. Le parti augmenterait les effectifs de police. Last but not least, il propose la semaine de 32 heures avec un salaire horaire minimum de 10 livres (autour de 11 euros).
Cela dit, la session d’ouverture du Parlement peut difficilement passer pour une publicité en faveur de la « mère des démocraties ». Le gouvernement et le Premier ministre, au lieu de respecter le jugement de la Cour suprême et de présenter des excuses, ont, au contraire, exprimé leur désaccord. Johnson a appelé Corbyn à demander un vote de confiance au gouvernement, l’accusant de lâcheté et d’avoir peur de son électorat en cas de refus. Une fois encore, Corbyn, de son côté, échoua à lui porter des coups décisifs. Il s’en suivit de longs débats remplis d’énervement et d’excès, avec un Premier ministre utilisant un langage qui, comme de nombreux observateurs l’ont suggéré, pourrait enflammer les électeurs contre leurs représentants au Parlement.
Il est vrai que Johnson n’a pas connu une bonne période depuis qu’il est Premier ministre. Il a perdu sa majorité à la Chambre des Communes ; il a exclu de son parti 21 parlementaires qui avaient voté contre le gouvernement ; il a vu passer un Acte du Parlement qui l’oblige à demander une extension de la date du Brexit ; il a perdu six votes à la Chambre dont trois qui demandaient la tenue d’élections générales et il a vu enfin la Cour Suprême décidé qu’il agissait illégalement. Dans des circonstances normales, il aurait démissionné et un nouveau gouvernement aurait été formé ou des élections convoquées.
Le refus de la Chambre de demander de nouvelles élections est que Johnson, en cas de victoire, poursuivrait son objectif d’un Brexit sans accord. Les opposants attendent donc que Johnson ait demandé une extension de la date pour organiser un vote de défiance, qui, une fois adopté, provoquerait de nouvelles élections. La réaction du gouvernement à cette tactique est de traiter les opposants de couards, de considérer que ce Parlement est mort et que l’Acte obligeant à demander l’extension est un acte de reddition. Les sondages montrent que cette rhétorique entre en résonnance avec les vues de nombreux électeurs. La stratégie du parti conservateur en vue des prochaines élections est très agressive dans la forme et a pour but de monter « le Peuple contre le Parlement », ce dernier étant décrit comme s’alliant à l’UE pour saper le résultat du référendum sur le Brexit.
Johnson affirme continuer à rechercher un accord avec l’UE. Malgré l’augmentation des réunions entre les deux côtés, les principaux représentants de l’UE continuent à ne pas voir de changements significatifs dans les nouvelles propositions britanniques concernant le Backstop irlandais, ni à considérer que celles faites de manière informelle vont assez loin pour permettre de régler le problème. Tout se passe comme si le gouvernement cherchait surtout à gagner du temps en faisant semblant de négocier pour arriver au 31 octobre et quitter alors l’UE sans accord. Il pourrait alors chercher à faire porter la responsabilité de la situation sur l’UE du fait de son refus d’évoluer sur le Backstop.
La politique britannique est clairement dans le pétrin et nul ne voit comment l’en sortir. Le référendum a divisé le pays et ses nations en deux. Peu a été fait depuis trois ans pour réduire cette fracture. À la vérité, on peut argumenter que les événements récents et le comportement inflammatoire du gouvernement dans les débats parlementaires ont rendu les choses pires qu’avant, ne contribuant pas à élever le standing à la fois du gouvernement comme exécutif et du Parlement comme législature. De son côté, le Parti travailliste, principal parti d’opposition, a fait bien peu pour renforcer sa cause. La plupart des gens ne demandent que la fin de tout cela, les uns par la victoire du Leave, les autres par celle du Remain !
Pendant ce temps, une série de problèmes politiques intérieur ne bénéficient pas de l’attention qu’ils méritent. Même si une prochaine élection pourrait peut-être produire une majorité claire en faveur d’un parti ou de l’autre, les sondages indiquent pour l’instant qu’un Parlement « pendu » (hung), sans majorité claire est le résultat le plus probable, la guérison des divisions risquant fort alors d’exiger de nombreuses années.
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