Jospin: la faute à Hollande et Macron edit
Dans son interview de L’Obs du 3 septembre Lionel Jospin lance une charge très idéologique contre François Hollande et Emmanuel Macron, accusant le premier d’avoir dissous le socialisme dans le libéralisme et le second d’avoir adopté un logiciel anachronique constitué de libéralisme économique et de verticalité politique.
Jospin adresse à Macron trois types de reproches concernant le fonctionnement du système politique. Premier reproche : la verticalité de son exercice du pouvoir, à laquelle aurait répondu l’horizontalité du mouvement des Gilets jaunes. Est-on certain d’abord que cet exercice soit plus vertical qu’il ne l’était du temps de Pompidou, Mitterrand ou Sarkozy ? Quand Jospin affirme que cette verticalité a « accentué la pente présidentielle de notre régime politique », il faut se demander si cette accentuation ne date pas plutôt de la réforme constitutionnelle de 2000 instaurant le quinquennat présidentiel et de la décision d’inverser le calendrier électoral de 2002 pour placer l’élection présidentielle avant les élections législatives. L’auteur de ces décisions est justement Lionel Jospin. Celui-ci, en défendant la primauté présidentielle, ne semble pas avoir mesuré alors toutes les conséquences de sa prise de position. Comment nier en effet que ces changements ont logiquement « accentué la pente présidentielle » du régime, que l’on s’en félicite ou qu’on le déplore ? D’eux a découlé notamment « l’hyperprésidence » de Nicolas Sarkozy. François Hollande, en adoptant l’attitude inverse de président « normal » s’est trouvé au terme de son quinquennat dans l’impossibilité de se représenter.
Deuxième reproche : Macron « s’est peut-être leurré sur sa force véritable (limitée à 24% des voix au premier tour) et sur la nature de l’adhésion des Français à ce qu’il proposait (66% des voix au second tour, dans un barrage à l’extrême-droite) ». Il est vrai que le score du premier tour a été relativement faible. Mais, d’une part, Macron partait de rien face au duopole socialiste-gaulliste qui gouvernait la France en alternance depuis les années 1980 et d’autre part il est néanmoins arrivé en tête, le candidat socialiste ayant obtenu 6,36% des uffrages exprimés. Quant aux 66% du second tour, si Jospin a raison de dire qu’ils ne représentaient pas le socle politique véritable du président élu, il a tort en revanche de laisser entendre que « dans un barrage à l’extrême-droite », un score de 66% était facile à obtenir. Le fait que le duel du second tour comprenne un(e) candidat du Rassemblement national ne retire pas toute signification à cette victoire, car il serait difficile sinon d’expliquer le large succès d’En Marche aux législatives qui ont suivi. Mais l’ancien Premier ministre tend à négliger cette donnée. « [Macron] oublie, poursuit Jospin, que notre régime est mixte. Le président doit s’appuyer sur une majorité ». Comment interpréter cette mise en garde alors que l’actuel président dispose depuis son élection d’une majorité parlementaire ? Cette situation diffère de celle qu’a connu François Hollande qui à la fin de son quinquennat, ne disposait plus d’une majorité du fait de la fronde au sein de son propre parti. Ces propos sont d’autant plus étranges que Jospin admet lui-même que « si Macron est candidat à sa réélection le pronostic est plutôt qu’il l’emporte ».
Troisième reproche : « Je suis préoccupé de le voir continuer à instituer le Rassemblement national en un adversaire partenaire. En polarisant le débat, il confère à l’extrême-droite la figure de l’alternance. Les Français ont montré dans le passé à plusieurs reprises qu’ils n’aiment pas qu’on les prive de leur liberté de choix. » Cette idée assez répandue, selon laquelle la forte position du Rassemblement national est due pour partie à la tactique du président, est contestable et pour le moins surprenante. La situation de l’extrême droite traduit d’abord son poids électoral désormais considérable, et incidemment les résultats qu’elle a obtenus lors de la dernière élection présidentielle. Or Macron n’est pour rien dans la dynamique électorale de ce parti au niveau national, qui est ancienne. Et on ne saurait lui reprocher le fait que ce parti ait été qualifié pour le second tour de cette élection. Sa propre qualification, outre l’adhésion que sa proposition pouvait susciter, a été permise par l’éclatement de la gauche et les malheurs de François Fillon. Macron n’est pas pour grand-chose non plus dans le fait que ce soit lui, et non la gauche, qui paraisse le mieux placé pour battre le RN. Si celle-ci ne paraît pas en état de se qualifier pour le second tour, c’est parce qu’elle est gravement divisée, au point que l’on ne sait plus exactement ce qu’elle est, ni ce qu’elle veut. Macron n’est pour rien dans ces divisions. Au contraire, puisqu’il a emmené avec lui l’aile social-libérale de ce que fut la social-démocratie française. Dans ces conditions reprocher à Macron d’avoir noué une sorte de partenariat avec le RN ne manque pas de sel ! Quant à l’accuser de priver les électeurs de leur liberté de choix c’est estimer qu’ils ne sont pas capables de décider eux-mêmes. On peut comprendre que Jospin préférerait que le prochain duel oppose un candidat de gauche – et d’ailleurs quelle gauche ? – à celui du Rassemblement national. Mais il devrait se réjouir qu’il existe un candidat « républicain » qui paraisse capable d’empêcher le RN de parvenir au pouvoir. On ne sait d’ailleurs pas si le reproche qu’il adresse à Macron est de parler trop ou trop peu du Rassemblement national. S’il en parle peu, il est difficile de l’accuser de lui faire la courte échelle et s’il en parle beaucoup, comment lui reprocher de viser d’abord son concurrent le plus dangereux ?
C’est sur le chapitre économique et sur l’identité socialiste que Lionel Jospin porte les coups les plus durs, cette fois-ci non plus seulement à Macron mais surtout à Hollande. À l’en croire, ce dernier aura été le liquidateur du socialisme à la française en adoptant sans aucune nécessité une politique de l’offre avec le CICE et le pacte de responsabilité. Le procès est très injuste car les choix du quinquennat Hollande viennent de loin.
Un an après les nationalisations de 1982, François Mitterrand décrète la pause, assume l’impasse de la relance keynésienne qui s’est traduite par une aggravation du double déficit, remet en cause les nationalisations en ouvrant la voie aux financements privés (les certificats d’investissement) et renonce aux mirages de la planification. Laurent Fabius met en musique la solution européenne voulue par le président après 1983. La modernisation est désormais le mot d’ordre avec le retour des restructurations industrielles, mais aussi de modestes éléments de politique de l’offre comme le crédit impôt recherche créé en 1983. Les entreprises nationales sont sommées de renouer avec une gestion profitable.
Après la victoire du Parti socialiste aux législatives de 1997, le minuistre de l’Économie et des Finances Dominique Strauss-Kahn va infléchir, en théorie et en pratique, le cours du socialisme à la française en se faisant le chantre d’un socialisme de production et en menant un programme de privatisations et de maîtrise de la dépense publique qui n’a rien à envier à celui de ses homologues libéraux attachés comme lui à qualifier leur pays pour l’avènement de l’euro. DSK, faut-il le rappeler, était membre d’un gouvernement dirigé par Lionel Jospin. La gauche revenue au pouvoir en 2012, François Hollande mène certes au début de son quinquennat une politique traditionnelle de gauche de tax and spend, avant d’être rattrapé par la crise et de se résoudre à attaquer le problème du déficit de compétitivité avec les politiques de l’offre (CICE, Pacte de Responsabilité, Loi El Khomri…). Il va déclencher une vraie guerre interne avec les frondeurs qui lui reprochent autant le mot que la chose. Mais le socialisme de production qui date de Mitterrand a été incarné par le gouvernement Jospin avant d’être porté par Hollande. On a du mal à comprendre les problèmes de Jospin avec cette continuité dont il est lui-même l’un des maillons.
Après Hollande, Macron. Sa politique fournirait l’illustration de l’indifférence du libéralisme à la question sociale. Mieux que de longs développements, l’action menée face à la pandémie par Emmanuel Macron constitue un démenti cinglant à cette affirmation. La France est le pays qui a poussé le plus loin la priorité sanitaire par rapport à l’impératif économique (durée du confinement, accès au chômage partiel, conditions d’indemnisation et même acceptation de l’effet d’aubaine). Le partage du coût de la crise (60% par l’État, sous forme de dépenses publiques et donc de déficit et de dette, 30% par les entreprises, sous forme de dégradation de la rentabilité et de consommation de fonds propres et 10% seulement par les ménages sous forme de perte de revenus) en est la preuve. Le résultat pour le moins inattendu est une envolée du taux d’épargne des ménages et un alourdissement de la dette des entreprises. Le plan de relance de 100 milliards d’euros qui vient d’être adopté vise à éviter les faillites, à préserver l’emploi et à protéger les salariés avec des crédits de formation pour requalifier les salariés dont l’activité va disparaître. Enfin en matière de protection sociale il n’y a pas eu de recul. Au contraire, l’acceptation de l’envolée des coûts, le refus de l’augmentation des charges sociales et des impôts et l’introduction dans le calendrier législatif d’une Loi sur le 5e risque Dépendance expriment la priorité de la politique sociale. Lionel Jospin est trop averti de l’art de la politique pour confondre des déclarations à l’emporte-pièce sur les premiers de cordée ou des mesures maladroites comme la réduction de l’APL avec la substance des politiques menées.
Troisième thème économique évoqué : l’absence d’une réponse adaptée à la financiarisation de l’économie qui tracerait une frontière entre le libéralisme économique et le socialisme à la française. Que signifie exactement la financiarisation du capitalisme ? Citons DSK : « Le capitalisme industriel devient financier et le transfert du risque financier va de l’actionnaire vers le salarié. » Par cette phrase il résume une double évolution, d’une part le passage d’un capitalisme d’entrepreneurs à un capitalisme actionnarial régi par les fonds de pension et les règles de corporate governance et d’autre part l’imposition par les actionnaires d’une norme de rentabilité à laquelle se plient les industriels et qui fait du salariat une variable d’ajustement. Il estime, dans une note de la Fondation Jean Jaurès de 2004, que la solution réside dans le socialisme de production : « Pour garantir une société juste, nous devons compléter la logique de la réparation, propre à la social-démocratie traditionnelle, par une logique de prévention des inégalités sociales, à même de garantir une égalité de destins. Comme la capacité distributive de l’Etat-providence atteint ses limites (…) il nous faut désormais retourner vers le monde de la production et attaquer les inégalités là où elles se créent, c’est-à-dire au sein même du système productif : c’est le «socialisme de la production», et pour cela favoriser une économie de l’innovation, veiller à développer les compétences, favoriser le dialogue social, gérer le risque. » Avec ce concept DSK ouvrait la voie à François Hollande. Ainsi, le socialisme de gouvernement ne peut s’en tenir aux seules politiques de redistribution, il doit prendre en charge les conditions de production des richesses avec les politiques de formation de dialogue social et d’innovation. La politique de l’offre adoptée par Hollande à la suite du Rapport Gallois s’inscrit clairement dans cette perspective.
Lionel Jospin a toutefois raison sur un point : le PS n’a pas su infléchir sa doctrine et son discours à partir de son expérience de gouvernement. Mais à qui la faute ?
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