La politique britannique au point de rupture edit
Alors que le Royaume-Uni entame la dernière semaine du gouvernement de Madame May, la politique britannique semble au point de rupture. Éjectée du pouvoir par son propre parti, Theresa May a adressé un adieu larmoyant il y a quelques jours, annonçant qu’elle abandonnerait son poste de chef du parti conservateur le 7 juin. Annoncé juste après les élections européennes, qui ont été un désastre pour son parti comme pour le Labour, son retrait a provoqué une bousculade de candidats à sa succession à la tête du parti et partant à celle du gouvernement ; comme si chaque membre du parti parlementaire se voyait comme un possible leader du parti. A ce jour, treize candidats sont déjà en lice, qui devraient être bientôt rejoints par d’autres.
En même temps, les élections européennes ont vu le Brexit Party de Nigel Farage obtenir la plus grande partie des votes et des sièges au Parlement européen – un parti qui a fait campagne sur un enjeu unique, qui n’a pas de programme, et qui n’a que trois mois d’existence. Par cette victoire, il a éliminé l’ancien parti anti-européen, UKIP, et a ramené le Parti conservateur en cinquième position, obtenant le soutien des anciennes terres travaillistes qui avaient voté pour le « leave » lors du référendum de 2016. Symétriquement, le Labour a perdu le soutien des terres qui avaient voté pour le « remain » en 2016 et travailliste en 2017 au profit des Libéraux-démocrates et des Verts. Quant aux nationalistes écossais, ils ont remporté une victoire éclatante, éliminant en Ecosse les bastions travaillistes tandis que les nationalistes gallois du Plaid Cymru infligeaient au Labour une défaite équivalente. Enfin, « Change UK », un nouveau parti, échouait à obtenir un nombre de voix significatif, ne remportant aucun siège et n’ayant aucun avenir.
Tandis qu’à première vue les partisans du « leave » ont remporté une victoire écrasante aux élections européennes, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Certes, les Britanniques en ont assez du Brexit qui a dominé la politique britannique et a exclu du débat de nombreux sujets importants de politique intérieure. Cette fatigue se reflète dans le vote pour le Brexit Party, même si la majorité de ce vote provient de l’UKIP. L’appel populiste de Farage au nationalisme a touché à l’évidence une corde sensible chez nombre d’électeurs, en Grande-Bretagne comme dans de nombreux autres pays européens. Cependant, les partis favorables au « remain », Libéraux-démocrates, Verts, nationalistes écossais et gallois ainsi que « Change UK » ont obtenu ensemble un nombre de voix supérieur aux partis favorables au « leave », encore que l’écart soit faible et que ce calcul ne prenne pas en considération les scores des deux anciens partis de gouvernement, qui sont divisés sur cette question.
Trois choses sont claires aujourd’hui. D’abord, le pays demeure aussi divisé qu’il l’était lors du référendum de 2016, politiquement et géographiquement. Les anciennes terres industrielles du Nord et les Midlands continuent de voter pour le « leave » tandis que le sud de l’Angleterre et l’Ecosse continuent de voter pour le « remain ». Ensuite, les élections ont été un désastre pour les deux grands partis traditionnels qui avaient passé les six dernières semaines avant les élections à tenter de négocier un compromis pour sortir de l’impasse qui avait immobilisé la politique britannique pendant des mois, échouant finalement. Une partie des électeurs a puni sévèrement le Parti conservateur pour son incapacité à honorer sa promesse de réaliser le Brexit tandis qu’une autre a déserté le Labour à cause de sa position de « constructive ambiguity » sur le Brexit. Son refus de se prononcer pour la tenue d’un second référendum et d’affirmer clairement son soutien au « remain » lui a coûté très cher. Enfin, il faut noter la belle performance des Libéraux-démocrates, dont le slogan de campagne « Bollocks to Brexit » (les conneries du Brexit) a eu un effet mobilisateur, en particulier chez les anciens électeurs travaillistes. Les Verts ont également obtenu un succès. Ces deux partis ont gagné la seconde et la troisième place. S’agissant du parti Libéral-démocrate, il s’agit d’une véritable résurrection. Il avait été pratiquement éliminé aux législatives de 2015 et 2017 à cause de la coalition gouvernementale qu’il avait noué avec le Parti conservateur. Quant aux progrès des écologistes, ils traduisent la préoccupation croissante des Britanniques concernant le changement climatique et plus généralement les questions environnementales.
Ces élections européennes ne font qu’ajouter au chaos dans lequel est pris aujourd’hui la politique britannique. Un chaos qui se produit dans une situation d’absence de leadership politique. Madame May a perdu depuis longtemps l’autorité qu’elle avait eu sur son parti qui doit désormais attendre qu’émerge en son sein un nouveau leader. La procédure est complexe. Les parlementaires conservateurs doivent d’abord se mettre d’accord au terme d’une succession de votes sur les noms de deux des candidats, un choix qui ne sera probablement pas effectué avant la fin du mois de juin. Ensuite, les 160000 adhérents du parti se prononceront sur ces deux candidats, au mieux fin juillet. Ils choisiront certainement un leader favorable à un « Hard Brexit » ou à un « no deal ». Il est difficile de prévoir aujourd’hui qui seront les deux candidats retenus par les parlementaires. Certains mouvements semblent se dessiner chez les parlementaires pour bloquer les candidatures favorables au « no deal » telles celles de Boris Johnson, ancien ministre des Affaires étrangères et Dominic Raab, ancien ministre du Brexit. Michael Gove, ministre de l’Environnement, est aussi l’un des principaux candidats. Jeremy Hunt et Matt Hancocq sont également bien placés.
Pendant ce temps, comme aime le rappeler M. Barnier, les aiguilles de l’horloge continuent de tourner, avec un départ possible du Royaume-Uni le 31 octobre. Cependant, le Brexit est en attente du point de vue du débat parlementaire et gouvernemental jusqu’à la nomination d’un nouveau chef du gouvernement. Ce nouveau leader aura peu de temps pour négocier un accord de retrait avec l’Union européenne, en admettant même que celle-ci accepte une renégociation, ce qui rend probable un « no deal ». Donald Trump, en visite officielle à Londres, a rompu avec les normes de la diplomatie, donnant à ses amis britanniques un conseil d’ami, nommer Boris Johnson à la tête du gouvernement et opter pour le « no deal » qui pourrait déboucher sur un large accord commercial entre les deux pays. Avec de tels amis, plus besoin d’ennemis !
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