La réélection de Donald Trump edit
Le 18 juin dernier, Donald Trump a lancé à Orlando, en Floride, la campagne électorale destinée à assurer sa réélection en novembre 2020. Cet événement a déclenché une multitude de commentaires sur ses chances de succès et l’effet que quatre nouvelles années de présidence auraient sur les institutions des États-Unis. Une question majeure se pose : la réélection de ce personnage inquiétant n’est-elle pas inéluctable compte tenu de l’état de la société américaine et des faiblesses de l’opposition démocrate?
Un électorat fidèle
L’évaluation des chances de l’occupant de la Maison-Blanche s’appuie sur quelques constatations concrètes, les sondages et les mécanismes très particuliers du système électoral. La réponse des sondages qui est analysée notamment par le site Five Thirty Eight est ambiguë. D’un côté, le président est impopulaire depuis son entrée en fonction. Environ 55% de l’opinion lui est défavorable et ce pourcentage n’a presque pas varié depuis janvier 2017. En revanche, les opinions favorables sont restées remarquablement stables, autour de 42-45%. Il a donc conservé le soutien de son électorat pour des raisons qui seront analysées plus loin.
Ce qui sans doute encore plus important est l’appui des électeurs proprement républicains. Même si on a constaté une légère dégradation, cet appui passant de 90 à 85% au fil des mois, il n’en demeure pas moins que la base républicaine lui reste fidèle et continue à approuver avec enthousiasme toutes ses initiatives, même les plus osées. Cela contribue à expliquer l’obéissance absolue des élus de la Chambre et du Sénat. Ils savent que s’ils s’opposent à Trump ils seront éliminés dans une primaire au profit d’un trumpiste inconditionnel.
Certains observateurs soulignent les déséquilibres démographiques de l’électorat du président. Ses principaux soutiens sont les Blancs non diplômés qui, en 2016, ont voté pour lui, d’après les sondages de sortie des urnes, dans la proportion des deux tiers. En revanche, les deux tiers des femmes vivant dans les banlieues, un champ de bataille électoral particulièrement important, lui sont hostiles. De même, la quasi-totalité de l’électorat noir et la majorité de l’électorat hispanique ne sont pas enclins à voter pour lui.
Toutefois, si on examine le volume des populations concernées on doit bien constater que la population blanche non diplômée représente environ 45% du corps électoral alors que Noirs et Hispaniques, bien qu’en progression ne totalisent que moins de 30%. De même, il faut bien distinguer dans les sondages les opinions et les intentions de vote. Aux États-Unis, le pourcentage de votants dépasse rarement 50%. Par ailleurs, les catégories qui s’abstiennent le plus sont celles qui sont le plus hostiles à Trump, c’est-à-dire les moins de trente ans et les populations non blanches qui sont souvent écartées des urnes par des artifices juridiques, dans les États républicains.
Un système électoral favorable aux Républicains
En 2016, Trump l’avait emporté en ne récoltant que 46% des suffrages, soit à peine plus que sa cote de popularité actuelle, et avec 3 millions de voix de moins que Hillary Clinton. Sa victoire a été due évidemment au mode très particulier de composition du collège électoral. Celui-ci, qui fut mis en place en 1789 après de longs débats par les Pères Fondateurs, avait comme objectif d’atténuer les déséquilibres démographiques entre Etats. Chaque Etat est représenté par une délégation qui comprend autant de membres que d’élus des deux chambres. Or, si le nombre de Représentants est proportionnel à la population, il n’en va pas de même pour le Sénat puisqu’il y a deux Sénateurs par État. De ce fait les deux Dakotas ou l’Alaska, très peu peuplés, pèsent proportionnellement plus lourd que la Californie ou New York qui ont trente millions d’habitants.
Aujourd’hui, ce système favorise les Républicains qui dominent dans de nombreux États ruraux et faiblement peuplés alors que New York et Californie votent massivement démocrate. Ce n’est donc pas un hasard si George W. Bush et Trump ont été élus alors qu’ils étaient minoritaires en voix.
D’après un sondage de 2018, 65% des Américains sont favorables à une élection directe du président, mais les Républicains sont évidemment hostiles à une modification de la Constitution.
Les divisions du parti démocrate
Le président sortant bénéficie d’autres atouts. L’économie américaine est florissante avec un taux de chômage de 3,5%, le plus faible des 50 dernières années et surtout son adversaire, le parti démocrate, traverse une grave crise d’identité. Comme le souligne Michael Tomasky dans la New York Review of Books du 18 juin 2019, ce parti est divisé entre deux courants qui s’affrontent durement. D’un côté les « progressistes » veulent rompre avec la politique prudente de Clinton et Obama et préconisent une politique audacieuse de réforme fiscale et de nationalisation des services de santé. De l’autre côté les centristes souhaitent poursuivre le réformisme modéré des anciens présidents démocrates.
L’enjeu est la récupération des électeurs des milieux populaires qui ont fait notamment basculer en faveur de Trump des États du Middle West comme l’Ohio, le Michigan ou la Pennsylvanie. Chez les élus, le clivage est profond entre les membres du Congrès issus des États des côtes Est et Ouest où les Démocrates sont largement majoritaires et soutiennent les progressistes, et ceux qui ont conquis des sièges dans le Sud et le Middle West face à des Républicains bien implantés et craignent de les reperdre s’ils penchent trop à gauche.
Une étude du Pew Center citée par Tomasky montre que le courant centriste est majoritaire dans le parti et devrait donc aboutir à la nomination d’un candidat modéré susceptible de récupérer des électeurs déçus de Trump. Mais il y a actuellement vingt et un candidats à la candidature, ce qui laisse présager d’interminables primaires démocrates pour la plus grande satisfaction du président sortant que personne n’ose contester chez les Républicains.
Le choix d’un bon candidat chez les Démocrates est d’autant plus important que Trump se révèle un adversaire redoutable. L’establishment de Washington critique bruyamment ses multiples erreurs en matière de politique internationale. Or, son électorat est surtout sensible à ses déclarations virulentes diffusées auprès des 50 millions d’abonnés à son compte twitter et repris par Fox News, la populaire chaîne d’information qui est un efficace instrument de propagande.
Les Démocrates et les médias de la côte Est doivent se rendre à l’évidence, le président domine totalement le monde de la communication. Ses attaques incessantes contre les migrants, le rapport Mueller ou ses nombreux adversaires sont reproduites et commentées quotidiennement, au détriment des messages que l’opposition essaye de faire passer. Une majorité de l’opinion a le sentiment que le seul acteur politique qui agit et décide est Donald Trump et que ses opposants sont impuissants et inaudibles.
Cette situation qui est globalement favorable à Donald Trump peut-elle évoluer d’ici novembre 2020 ? Un facteur important d’incertitude est l’évolution de l’économie. Si, comme certains économistes le pensent, le pays entre en récession l’an prochain une partie de l’électorat populaire pourrait se détacher de Trump. Il en irait de même en cas de guerre au Moyen-Orient entraînant des morts de jeunes Américains.
Néanmoins, le phénomène populiste dont Trump est l’incarnation ne disparaîtra pas du paysage politique des États-Unis. Le profond malaise des classes moyennes laminées par la croissance des inégalités ne s’est pas atténué. En donnant des gages à la xénophobie, à la droite religieuse, aux climatosceptiques, Trump a façonné un bloc minoritaire mais puissant. Sa réélection lui permettrait de conforter de manière irréversible cette coalition en renforçant la majorité conservatrice de la Cour suprême et en mettant un terme à la lutte contre le réchauffement climatique et au droit à l’avortement.
Les États-Unis ne sont pas près de sortir d’une crise politique majeure qui remet en cause les fondements mêmes de leur démocratie.
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