L’Amérique de Trump: du chaos au naufrage edit
Au début de l’été les principaux éditorialistes américains estimaient que Donald Trump, en dépit de ses outrances, parviendrait à survivre à la Maison-Blanche grâce au soutien d’un électorat fidèle et motivé. Deux mois plus tard, le paysage politique américain a profondément changé. Par-delà une accumulation d’erreurs et de polémiques, c’est l’aptitude même du président à gouverner qui est mise en cause, même par ses alliés. L’avenir de Trump devient de plus en plus incertain.
Un bilan législatif décevant
Les électeurs républicains reconnaissent volontiers que le bilan législatif du nouveau président est plus que modeste. Le Congrès et le Sénat, à majorité républicaine, ont été incapables de remplacer par un texte nouveau l’Obamacare, le régime d’assurance maladie introduit par Obama que Trump avait imprudemment promis de supprimer pour mettre en place un dispositif moins onéreux et plus efficace. Les deux autres grandes réformes annoncées pendant la campagne, la refonte de la fiscalité et un vaste plan de rénovation des infrastructure du pays, sont enlisées et ont peu de chances d’être adoptées rapidement.
On aurait tort cependant de croire que la Maison-Blanche n’a rien fait depuis janvier dernier. Le président a pris une longue série de mesures par « executive orders », l’équivalent des décrets-lois français, qui auront un fort impact sur la société et l’économie. Il s’agit avant tout de mesures de dérégulation portant notamment sur l’environnement et qui complètent la décision de se retirer des accords de Paris sur le climat. L’objectif était manifestement de démanteler le dispositif élaboré tout au long de la présidence d’Obama pour protéger les consommateurs et lutter contre la pollution croissante de l’atmosphère, de l’eau et du sol.
Une base électorale solide
La combinaison de cette paralysie législative et de décrets qui donnent la priorité aux intérêts du monde du business par rapports aux besoins légitimes des citoyens n’a pas ébranlé notablement la base électorale du président. Au moment de son élection, il recueillait à peine 42% d’opinions favorables. Aujourd’hui sa cote dans l’opinion a baissé à 38% dont 20% de soutien très ferme contre 55% d’opinions défavorables dont 45% d’opposants très fermes. Cependant, 90% de l’électorat républicain continue à le soutenir même si cet électorat est lui aussi minoritaire dans le pays. En effet 37% des électeurs se déclarent proches des Républicains contre 47% pour les Démocrates.
L’écart réel entre les deux partis est probablement moins grand dans la mesure où la base électorale de Trump est très motivée, convaincue que son idole est victime de l’hostilité des médias et des machinations des dirigeants républicains de Washington coupés des réalités du pays. Ils iront donc voter massivement lors des élections législatives de novembre 2018 alors que l’électorat démocrate, composé en grande partie de jeunes et des minorités noires et hispaniques, omet souvent de s’inscrire sur les listes électorales et va moins aux urnes.
Cependant, pour gouverner la première puissance mondiale, il ne suffit pas de disposer d’une masse de supporters inconditionnels. Il faut gérer un système forcément complexe, exigeant des choix élaborés et cohérents qui tiennent compte de la diversité ethnique et sociale d’un pays de 330 millions d’habitants. C’est là où la présidence Trump affronte des défis gigantesques qu’elle semble incapable de relever.
Au moment de l’élection du nouveau président, ses défenseurs s’exprimant notamment sur Fox News, la chaîne du groupe de Murdoch qui le soutient inconditionnellement, reconnaissaient son impulsivité et son manque d’intérêt pour les détails de l’administration mais ils faisaient confiance à son expérience d’homme d’affaires et à sa capacité à faire des deals, ce qui devait lui permettre de réussir d’importantes réformes pour le bien du pays.
La désorganisation de l’exécutif
Huit mois plus tard, bien peu d’observateurs y compris dans le camp républicain oseraient soutenir ce point de vue. Ce qui frappe de prime abord, c’est la désorganisation permanente de la Maison-Blanche. Pendant cette brève période, des postes stratégiques essentiels tels que conseiller pour la sécurité, directeur de la communication et surtout, chef d’état-major, l’équivalent de secrétaire général de l’Elysée, ont déjà changé de titulaire. De même, une dizaine de conseillers moins importants sont déjà partis sans être toujours remplacés.
Le départ le plus spectaculaire est celui de Steve Bannon, le 18 août dernier. Ce personnage sulfureux, connu pour ses idées ultranationalistes, son hostilité aux migrants et sa défense de la suprématie des Blancs avait été nommé en janvier dernier conseiller stratégique du président. Il avait fortement contribué au chaos ambiant de la Maison-Blanche en affrontant quotidiennement le clan des « modérés » mené par Jared Kushner, le gendre de Trump et Gary Cohen, son conseiller économique. Son éviction acceptée avec réticence par Trump ne ramènera pas forcément la sérénité dans l’entourage du président car Bannon reprend la direction de Breitbart News, un site très apprécié par la frange la plus à droite du camp républicain, qui attaque en permanence et avec virulence les dirigeants du parti jugés trop mous et trop centristes.
Pour tenter de remettre de l’ordre dans son cabinet, le président a nommé début août le général John Kelly au poste de chef d’état-major. Cet ancien marine connu pour son efficacité et sa rigueur a certes réussi à faire partir Bannon et à rationaliser le travail des équipes mais il ne parvient manifestement pas à imposer un minimum de discipline à Trump.
Un président défaillant et irresponsable
Les leaders républicains du Congrès reconnaissent de plus en plus ouvertement que Trump est la principale cause de disfonctionnement du gouvernement américain. Il n’étudie pas les dossiers, ne formule aucune politique cohérente sur les sujets importants que sont la réforme de l’assurance maladie, la réforme fiscale, la politique migratoire et la construction irréaliste et coûteuse d’un mur à la frontière du Mexique. Au surplus, il change constamment d’avis sur tous ces sujets.
Enfin, il communique essentiellement par tweets, lançant des accusations virulentes contre des alliés naturels, son ministre de la Justice ou le chef de la majorité républicaine au Sénat, ou prenant des décisions hâtives annoncées en 140 caractères et sans consultation de ses conseillers et de ses ministres.
Son attitude à propose de la manifestation de l’extrême droite à Charlottesville (Virginie) a sérieusement aggravé la crise de confiance avec l’opinion et les élus. Dans plusieurs interventions, Trump a refusé de condamner le comportement de manifestants néo-nazis défilant l’arme au poing derrière des croix gammées en clamant des slogans antisémites visant son propre gendre Jared Kushner (converti au judaïsme). Du coup, de nombreux élus républicains ont affirmé leur rejet de toute forme de violence nourrie par le racisme et l’antisémitisme. Ils ont été rejoints par les chefs militaires et même certains éditorialistes de Fox News. Face à ce tollé, l’isolement du président Trump n’a jamais été aussi évident.
La direction du parti républicain et ses élus affrontent désormais un cruel dilemme. D’un côté, ils sont conscients que le pays n’est plus vraiment gouverné en raison des foucades incessantes d’un président narcissique qui n’a jamais pris la mesure de ses immenses responsabilités et n’a aucune intention de changer de comportement. D’un autre côté, Trump continue de fasciner des millions d’électeurs prêts à désavouer les dirigeants de leur parti qui oseraient le pousser vers le départ et à voter dans les primaires pour des candidats trumpistes. L’impasse politique est donc totale, en attendant la prochaine crise.
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