L’antisémitisme au sein du parti travailliste et les élections de 2019 edit
Pourquoi le Labour a-t-il subi une telle déroute électorale ? Analyser cette défaite historique prendra du temps, mais d’ores et déjà quelques éléments se détachent.
Les premiers s’inscrivent dans une désaffection de longue durée entre le parti et certains anciens territoires industriels, désaffection encore avivée par la question du Brexit. Pour gagner, le Labour a toujours eu besoin de forger une alliance entre ses soutiens traditionnels dans la classe ouvrière et la classe moyenne libérale. Dans les années 1990, le parti dirigé par Blair a réussi à opérer cette alliance. Blair gagna ainsi trois élections législatives consécutives. Mais dans cette période, le parti a ignoré ses soutiens ouvriers dans le Nord et les Midlands, régions qui avaient gravement souffert du déclin de la grande industrie et des mines dans la période précédente. Sous la direction de Corbyn, le parti a continué à ne prêter qu’une faible attention à ces régions : la victoire de Johnson et des Conservateurs, qui ont gagné dans ces anciennes circonscriptions travaillistes, a été le prix payé par le Labour pour toutes ces années de négligence.
Mais ces éléments sont anciens et ne rendent pas compte de l’ampleur de la défaite. Il faut pointer, pour en rendre raison, le mélange détonnant entre la radicalité du programme et un défaut de leadership. C’est ici qu’intervient la question de l’antisémitisme, qui joue en quelque sorte le rôle d'un révélateur.
La division provoquée par le résultat du référendum de 2016 a produit des abus de toutes sortes. Sur les questions religieuses, ils n’ont pas attendu 2016, et on les rencontre à gauche comme à droite. D’autres partis, notamment le Parti conservateur, ont eu le même genre de problèmes dans leurs rangs et en outre on y a tenu des propos peu respectueux envers l’islam. Le Premier ministre, Boris Johnson, a ainsi comparé les femmes portant la burka à des boîtes aux lettres.
Mais sur la question de l’antisémitisme, c’est surtout le Labour qui a attiré l’attention des médias. Avant les élections générales de 2015 des membres de ce parti avaient déjà été mis en cause pour des commentaires antisémites : ainsi par exemple, Ken Livingstone, l’ancien maire de Londres, a démissionné du parti en 2018 après avoir émis plusieurs commentaires jugés antisémites.
Après son élection à la tête du Labour, Jeremy Corbyn a créé une commission d’enquête sur l’antisémitisme dans le parti, confiée à Shami Chakrabarti, l’ancien dirigeant du groupe de défense des droits de l’homme Liberty. Le rapport concluait que le parti « n’était pas envahi par l’antisémitisme ou toute autre forme de racisme bien qu’il y ait une atmosphère parfois toxique et des preuves manifestes d’ignorance sur ce sujet ». Il proposait plusieurs réformes à mener au sein du Labour dans ce domaine. Malgré la décision prise par le parti en 2017 de considérer les discours haineux comme relevant d’une poursuite disciplinaire le parti n’a pas su mettre en œuvre rapidement les propositions du rapport. Il a fallu attendre 2018, ainsi, pour qu’il adopte une définition de l’antisémitisme conforme à celle de l’International Holocaust Remembrance Alliance, l’organisation de référence sur ce sujet, dont le Royaume-Uni est membre fondateur.
Entre février et juillet 2019, les plaintes pour antisémitisme déposées dans le parti ont entraîné la démission, l’exclusion ou l’avertissement de 350 membres. Malgré les efforts du Labour en matière d’éducation dans ce domaine, les institutions représentatives de la communauté juive ont estimé que le parti n’avait pas été assez loin. En mai 2019, la Commission pour l’Egalité et les Droits de l’Homme a annoncé son intention d’entreprendre une enquête pour savoir si le Labour avait opéré des discriminations illégales ou harcelé des individus parce qu’ils étaient juifs. Cette enquête est en cours.
Lorsque les élections de 2019 ont été convoquées, le Labour était encore en train de traiter de nombreux cas d’antisémitisme dans ses rangs. Tandis qu’un parlementaire, chaud supporter de Corbyn, était exclu pour avoir estimé que le parti allait trop loin dans son évaluation des actes d’antisémitisme, une ancienne parlementaire démissionnait en raison des actes antisémites dont elle souffrait dans sa circonscription. Un parlementaire d’une circonscription voisine fit de même pour la même raison. Une importante parlementaire de Londres dut se battre pour sa re-sélection comme candidate pour avoir dénoncé l’échec du parti à régler la question de l’antisémitisme et celui de Corbyn lui-même à s’en emparer de manière explicite.
Car peu à peu lui-même était mis en cause. Homme aux principes d’extrême-gauche, Corbyn a produit avec ses collègues le programme travailliste le plus radical de mémoire d’homme. Mais sa position ferme contre toutes les formes de discrimination a été entachée ou rendue confuse par ses vues sur le conflit israélo-palestinien : une longue suite de positions pro-palestiniennes et anti-israéliennes.
La direction du parti estimait que cette question serait d’une importance secondaire dans la campagne. Ce fut le cas jusqu’à ce que Corbyn ait à subir une interview télévisée menée avec fermeté et qui porta notamment sur cette question. À partir de ce moment elle devint un enjeu politique, du fait que le leader du parti n’avait pas de position claire et tranchée. Corbyn maintint que le Labour traitait ce problème selon des procédures adaptées mais il fut incapable de décrire en détail la situation et de s’excuser auprès de la communauté juive pour les fautes commises. Le Grand Rabin déclara que Corbyn et le Labour étaient antisémites et que les électeurs juifs ne devraient pas voter pour ce parti. Corbyn finit par présenter ses excuses au nom du parti, à la veille des élections.
La communauté juive soutenant traditionnellement le parti travailliste plutôt que le parti conservateur on peut se demander si la perception d’un certain antisémitisme chez les travaillistes a pu décourager les éléments de cette communauté à voter pour lui. À l’observation des résultats il semble que non. Le Labour a conservé ses sièges à Manchester, Leeds et Londres, villes où la population juive est de taille significative.
Cela nous suggère plusieurs commentaires.
Tout d’abord, la question de l’antisémitisme dans le parti, qui est ou devrait être une grande préoccupation pour le Labour, n’a pas été traitée correctement. Avant même les élections, plusieurs dizaines de responsables travaillistes ont répondu à l’enquête de la Commission pour l’Egalité et les Droits de l’Homme en exprimant leur insatisfaction à l’égard de la manière dont le parti traitait cette question. Ensuite, les résultats des élections n’en ont pas été significativement affectés.
Beaucoup plus importante dans l’explication de la défaite travailliste a été, chez de nombreux électeurs, l’impression que Corbyn était un leader incompétent et pas fait pour être Premier ministre, impression rapportée très souvent par les militants faisant du porte-à-porte pendant la campagne.
Le parti lui-même semblait incompétent et que son programme était à la fois trop radical et impossible à financer. Mais il avait aussi et surtout un problème de leadership. L’échec de Corbyn dans son traitement de la question de l’antisémitisme dans le parti est ainsi apparue comme symptomatique d'un problème de leadership en général, à la fois avant les élections et durant la campagne.
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