Le coronavirus va-t-il défaire Donald Trump? edit
Les États-Unis sont aujourd’hui le pays le plus atteint par la pandémie avec des centaines de milliers de malades et plus de 70000 décès. Les Démocrates mettent en cause la gestion erratique de la maladie par l’Administration républicaine et surtout par le président à qui on reproche ses tergiversations et son incapacité à coordonner les mesures de confinement et de collecte d’équipements sanitaires, masques, tests, ventilateurs. Pourtant le pays reste profondément divisé et l’échéance électorale de novembre toujours très incertaine.
La réalité alternative de Trump
À lire les grands médias de la côte Est, New York Times, Washington Post ou à regarder la plupart des chaines d’information telles que CNN ou MSNNBC, on ne peut qu’être frappé par le tableau désolant qu’ils dressent du comportement de l’hôte de la Maison Blanche. Bien qu’il ait été alerté dès la fin janvier par Peter Navarro, un de ses plus proches conseillers sur le risque de pandémie, Trump a nié pendant six semaines cruciales les risques encourus. Selon lui, la maladie épargnerait le pays, à peine arrivée aux États-Unis, elle disparaîtrait comme par miracle. L’agitation autour du mal venu de Chine était en réalité une opération de déstabilisation menée par l’adversaire démocrate, avec l’appui de la Chine et des médias propagateurs de fake news pour faire battre le président le 3 novembre. Il s’agissait en fait d’une manœuvre purement politicienne qui devait être rejetée avec indignation par tous les honnêtes citoyens.
Ce déni de la réalité fut orchestré avec une grande efficacité par des relais sur Facebook et Twitter animés à la fois par le président lui-même qui multiplie au rythme de 50 ou 100 par jour les messages en direction des 76 millions d’abonnés de son compte Twitter et par une intense campagne publicitaire sur Facebook financée grâce aux 300 millions de dollars accumulés par l’équipe de campagne du Président.
Toutefois, l’instrument de communication, certains diront de propagande, le plus efficace fut Fox News. Cette chaîne d’information totalement dévouée au président constitue le principal moyen d’information pour les deux tiers des électeurs républicains. Jusqu’à la mi-mars ses éditorialistes ont nié la réalité de la pandémie. Quand Trump, le 16 mars, a reconnu qu’il fallait se résigner à des mesures de confinement, elle a opéré un virage spectaculaire, sans perdre ni sa crédibilité, ni son audience, signe du soutien inconditionnel que lui portent les dizaines de millions d’Américains qui soutiennent aveuglément le président.
Aujourd’hui, alors que la crise bat son plein et que le confinement généralisé a entrainé une chute vertigineuse de l’activité économique et un chômage massif, le paysage politique reste confus.
Un paysage politique confus
Face à cette catastrophe sanitaire qui échappait totalement à son contrôle, Trump a réagi comme à son habitude. Il a décidé d’intervenir en permanence par Twitter et à la télévision dans le but de satisfaire ce qui est sa seule priorité, sa réélection le 3 novembre prochain. Pour ce faire, il a exploité le fait que les États les plus touchés par le virus sont des Etats dirigés par des Démocrates : New York, Californie, Washington, Michigan alors que les Etats dirigés par des Républicains, en général moins urbanisés, sont relativement épargnés. Il était donc commode de fustiger publiquement les carences des gouverneurs tout en refusant de laisser l’Administration fédérale jouer son rôle de coordination des aides et de soutien des populations en détresse.
Trump est allé plus loin dans la provocation en encourageant verbalement un mouvement de protestation contre le confinement, au nom de l’impérative nécessité de freiner la crise économique et de remettre les Américains au travail. De fait, des manifestations plus ou moins spontanées de partisans du président ont eu lieu, surtout dans ce qu’on appelle les États-clés, ces États votant traditionnellement démocrates tels que le Wisconsin, le Michigan ou la Pennsylvanie qui ont apporté en 2016 les délégués permettant à Trump d’être élu.
Le discours du Président a aussi incité les gouverneurs républicains à se démarquer de leurs collègues démocrates et à amorcer un assouplissement des mesures d’enfermement. C’est ainsi que le Texas et la Floride, deux États très peuplés et vulnérables, se sont pourtant engagés dans ce processus en dépit des protestations des maires des grandes villes qui sont des épicentres de la maladie.
Ces interventions hasardeuses et incohérentes ont eu néanmoins un impact limité sur l’opinion. Certes, 60% de la population est favorable à un maintien d’un confinement strict contre 30% qui y sont hostiles. Par ailleurs, le public manifeste sa confiance dans l’action des gouverneurs (66%) et du Dr Fauci, le porte-parole des services de santé (60%) alors que seuls 36% font confiance au Président.
Néanmoins, si on consulte Five Thirty Eight, le site qui collecte l’ensemble des sondages politiques, on ne constate pas de désaffection significative à l’encontre de Trump. Fin mars, sa cote dans l’opinion avait légèrement progressé, à 49%, grâce à un appoint d’électeurs démocrates (17%) espérant lui voir jouer le rôle de chef de guerre pour mener la bataille contre le Virus. Depuis, il est retombé à son niveau de janvier soit 45% d’opinions favorables contre 55% d’opinions négatives. Cette baisse s’explique sans doute par l’accueil réservé à ses déclarations hasardeuses voire carrément dangereuses sur le traitement du virus avec de l’eau de javel ou des UV.
Le partage des suffrages au sein des électeurs « indépendants », qui représentent environ 30% du corps électoral, reste au même niveau qu’en début d’année : environ 60% d’entre eux sont favorables aux démocrates et 40% aux Républicains. C’est évidemment un écart que Trump ne parvient pas à combler et qui peut lui nuire dans les États-clés.
Cet état de choses reflète la persistance des forces qui structurent désormais l’électorat américain.
Celui-ci reste profondément divisé entre deux familles politiques qui voient le monde et la société de manière radicalement différente. Non seulement 85% des Républicains approuvent le président contre 17,5 pour les Démocrates mais ils continuent à diverger sur tous les sujets y compris le coronavirus. C’est ainsi que les électeurs républicains sont beaucoup plus méfiants que les Démocrates à l’encontre des médias traditionnels, plus hostiles à l’accueil des migrants, plus favorables à un assouplissement du confinement. Pour le moment en tout cas, le dialogue semble impossible et se traduit d’ailleurs par la paralysie des deux chambres qui sont tout juste parvenues à se mettre d’accord pour un plan de sauvetage de l’économie de plus de 2000 milliards de dollars.
Des rapports de force qui évoluent peu
Dans ces conditions le scrutin présidentiel de novembre reste imprévisible. Certes, les Démocrates sont parvenus, plus tôt que prévu, à sélectionner un candidat, l’ancien vice-président Joe Biden. Néanmoins, celui-ci peine à s’imposer dans l’opinion. Ses interventions diffusées à partir de son domicile puisque les meetings ne sont plus possibles sont inaudibles alors que Trump utilise à plein son avantage de président sortant et domine chaque jour l’actualité médiatique. L’hôte de la Maison Blanche bénéficie aussi d’une énorme supériorité dans les services numériques. Face à ses 76 millions d’abonnés sur Twitter, Biden n’en affiche que 4,6 millions ; sur Facebook il n’a que 1,7 millions d’amis contre 28 millions pour Trump.
Nate Cohn, l’expert électoral du New York Times, précise que sur le plan national Biden a 6 points de plus que Trump mais il rappelle qu’en 2016, un mois avant le scrutin, Hillary Clinton dépassait son adversaire de 5 points. Dans quatre États-clés que Biden doit gagner s’il veut obtenir une majorité au sein du collège électoral et qui sont la Floride, la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Michigan, les derniers sondages montrent une progression notable de Biden ce qui inquiète à juste titre les stratèges républicains. Cette progression est due à la forte hausse des suffrages des plus de 65 ans. En Floride, Biden a dix points d’avance dans cette tranche d’âge (52 contre 42), en Pennsylvanie, 51 contre 44 et dans le Michigan, 56 contre 38. Or c’est cette catégorie de la population qui vote le plus et en 2016 elle avait majoritairement soutenu Trump.
La composition des électorats a légèrement évolué depuis 2016 mais pas toujours à l’avantage des Démocrates. C’est ainsi que Trump conserve une large majorité chez les blancs non diplômés et progresse chez les afro-américains et les hispaniques qui sont près de 25% à le soutenir. En revanche Biden conforte sa position non seulement chez les plus de 65 ans mais aussi dans l’électorat féminin où il bénéficie d’une marge de 19 points. Toutefois, le candidat démocrate peut être gêné par la plainte en harcèlement que vient de formuler une de ses anciennes collaboratrices pour des faits remontant à une vingtaine d’années. Biden est aussi majoritaire comme l’était d’ailleurs Hillary Clinton chez les moins de 35 ans mais c’est un atout modeste car cette partie de la population va peu aux urnes.
L’ensemble de ces données montre que pour le moment au moins, la pandémie et la brutale récession qu’elle a engendrée n’ont pas fortement modifié l’équilibre des forces sur la scène politique. Trump continue à communiquer avec une grande efficacité avec ses électeurs qui lui restent fidèles et le suivent sur les réseaux sociaux et sur Fox News. Biden de son côté peine à enthousiasmer les démocrates. Sa priorité est de conforter sa position dans la demi-douzaine d’États-clés qui lui donneraient la majorité du collège électoral. Il reste toutefois six mois avant l’échéance du 3 novembre et de futurs bouleversements sont possibles.
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