L’Iran dans la spirale de la guerre régionale? edit
La confrontation israélo-iranienne se renforce au Moyen-Orient dans le contexte plus large d’une escalade militaire entre un « axe de la résistance », soutenu par Téhéran, et Israël, soutenu militairement par Washington. La stratégie asymétrique de la République islamique combine les actions de son réseau d’influence au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen avec son programme de missiles balistiques et de drones, un programme cyber avancé ainsi que l’utilisation de la prise d’otages pour renforcer sa position dans les négociations avec les États occidentaux. À cela s’ajoute, depuis le retrait de l’Administration Trump sur l’accord nucléaire (JCPOA) en 2018, des menaces de militarisation du programme nucléaire iranien, présentée successivement comme une conséquence possible des sanctions occidentales ou de l’escalade militaire régionale.
Débats internes sur les programmes d’armement nucléaires et conventionnels
Néanmoins, l’Iran aurait encore besoin d’un à cinq ans pour acquérir la capacité de construire des systèmes d’armes nucléaires, têtes et vecteurs. Selon un rapport datant de 2015 de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il existait bien avant la fin de l’année 2003 une structure organisationnelle en Iran pour coordonner diverses activités liées au développement d’un dispositif explosif nucléaire. Cependant, selon l’AIEA, les activités nucléaires iraniennes postérieures à 2003 visant à une militarisation du programme ne sont pas coordonnées[1].
La question des intentions nucléaires iraniennes, pacifiques ou militaires, est au centre du dossier depuis son émergence sur la scène internationale en 2002. Le règlement diplomatique provisoire de cette question à travers l’accord sur le nucléaire de 2015 n’a pas permis la fin du contentieux. Ainsi, les déclarations de responsables politiques de la République islamique se multiplient ces derniers mois pour évoquer la possibilité d’une militarisation du programme nucléaire. Par exemple, en février 2021, un officiel iranien a déclaré que les sanctions américaines persistantes pourraient « forcer l'Iran à revenir sur son engagement de ne pas chercher à acquérir une arme nucléaire ».[2] Plus récemment, le 5 octobre 2024, Hassan Khomeini, le petit-fils du fondateur de la République islamique, a déclaré qu’il « est temps que nous montions d’un cran notre dissuasion militaire. Le monde est arrivé à un point où nous avons besoin de renforcer notre dissuasion »[3]. Ces déclarations ambiguës visent à montrer qu’il existe un débat interne au sein de la République islamique sur la possible militarisation de son programme nucléaire dans l’hypothèse d’une confrontation militaire prolongée.
La dissuasion à l’iranienne
De plus, à la suite des tirs de missiles du 1er octobre 2024, la République islamique d’Iran semble poursuivre une stratégie de dissuasion tout en cherchant à renforcer son influence régionale face à Israël. Téhéran présente ses opérations militaires comme des représailles contre les éliminations, par Israël, des dirigeants du Hamas et du Hezbollah. Téhéran adopte une posture agressive mais calculée, avertissant Israël de potentielles attaques supplémentaires tout en réaffirmant, auprès de la communauté internationale, son opposition à une guerre totale dans la région. Le régime semble ainsi vouloir éviter un conflit généralisé tout en affirmant son rôle en tant que puissance militaire régionale. De cette contradiction apparente émerge une stratégie du chaos calculé qui contient, en germe, des risques d’un embrasement généralisé.
Un autre débat porte sur les futures actions de Téhéran, à la suite d’une possible intervention militaire israélienne sur son territoire, en réponse aux frappes de missiles iraniennes du 1er octobre 2024. Ces actions pourraient être indirectes. Il convient d’envisager la possibilité d’actions clandestines sur le territoire européen comme ce fut le cas pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). De même, des tentatives de déstabilisation des « zones de sécurité » qu’Israël s’efforce d’établir dans son environnement régional permettraient à Téhéran de contourner les limites apparues au grand jour de sa force de frappe balistique.
Autrement dit, il s’agirait de montrer sa force militaire par des actions indirectes et asymétriques pour décourager de futures attaques israéliennes. Ainsi, les journaux iraniens conservateurs intensifient leurs menaces contre Israël, détaillant une longue liste de cibles potentielles que Téhéran frappera si Israël riposte à la salve de missiles balistiques du 1er octobre 2024. À titre d’illustration, le journal Hamshahri, lié à la faction conservatrice en charge de la mairie de Téhéran, a détaillé le 6 octobre 2024 une liste de cibles potentielles. Parmi les trente-cinq sites stratégiques mentionnés dans l'infographie du journal figurent des infrastructures énergétiques et des installations militaires en Israël[4]. Cela participe de la guerre informationnelle ou de ce que Téhéran qualifie de « guerre psychologique ».
Deux narratifs pour l’Occident
En effet, la stratégie de Téhéran à l’égard des Occidentaux met en avant deux récits, opposés mais complémentaires, de la position iranienne : d’un côté, le refus d’une extension du conflit et, de l’autre, un discours alarmiste sur les conséquences d’un affrontement militaire généralisé pour la stabilité régionale. Cette contradiction apparente dans la présentation de la posture stratégique de la République islamique vise au renforcement de son influence régionale qui prospère dans le chaos mais pas dans un affrontement direct conventionnel et asymétrique avec Israël. Téhéran souhaite donc pouvoir continuer à utiliser ses partenaires comme les Houthis, le Hezbollah et le Hamas dans sa confrontation militaire. Une structuration de « l’axe de la résistance » en organisation unie par un traité est en discussion au sein du Parlement de la République islamique (majles). Selon les sources officielles iraniennes, la proposition viserait à la création d’un quartier général militaire conjoint destiné à faciliter la coordination entre les forces militaires de la République islamique et les différentes composantes de « l’axe de la résistance ». Le quartier général servirait de commandement central pour gérer les opérations militaires et la réponse aux crises, renforçant les capacités opérationnelles grâce à des exercices militaires conjoints planifiés[5].
Matamore extérieur, fragilités intérieures ?
Cette stratégie de confrontation indirecte permet à Téhéran de se positionner comme un interlocuteur diplomatique face aux Occidentaux tout en construisant une image de défenseur de « l’axe de la résistance » contre « l’agression israélienne ». Enfin, cette stratégie vise à consolider le soutien en interne non seulement des soutiens au régime mais, plus largement, de l’opinion publique en faisant porter la responsabilité de l’escalade en cours sur les seules opérations militaires israéliennes. Cela permet au système politique de surmonter son impopularité en prétendant jouer sur le sentiment nationaliste de défense de la souveraineté du pays.
Ce récit officiel semble néanmoins peut convaincant pour la majorité de la population iranienne qui conteste la capacité de la République islamique à représenter la grandeur de la nation iranienne. Cette fragilité interne du régime apparaît d’ailleurs dans sa volonté de contrôler les informations sur l’escalade militaire régionale en cours en restreignant l’accès à Internet, en renforçant la répression contre toute forme de contestation populaire et en utilisant la peine de mort comme un outil de gouvernance. En ce sens, l’escalade militaire pourrait renforcer à court terme le complexe obsidional de la République islamique (pressions externes au service de la répression interne) avec, pour risque, à plus long terme de voir la crise de légitimité se transformer en crise d’autorité pour la République islamique.
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[1] https://www.iaea.org/newscenter/news/iaea-board-adopts-landmark-resolution-on-iran-pmd-case
[2] https://www.nytimes.com/2021/02/09/world/middleeast/Iran-nuclear-threat.html
[3] https://www.entekhab.ir/fa/news/823108/%D8%B3%DB%8C%D8%AF-%D8%AD%D8%B3%D9%86-%D8%AE%D9%85%DB%8C%D9%86%DB%8C-%D8%A8%D8%A7%D8%B2%D8%AF%D8%A7%D8%B1%D9%86%D8%AF%DA%AF%DB%8C-%D9%86%D8%B8%D8%A7%D9%85%DB%8C-%D9%85%D8%A7-%D8%A8%D8%A7%DB%8C%D8%AF-%DB%8C%DA%A9-%D8%B3%D8%B7%D8%AD-%D8%A8%D8%A7%D9%84%D8%A7%D8%AA%D8%B1-%D8%A8%D8%B1%D9%88%D8%AF
[4] https://newspaper.hamshahrionline.ir/id/236771/35%E2%80%8C%D9%86%D9%82%D8%B7%D9%87-%D8%A7%D8%B3%D8%AA%D8%B1%D8%A7%D8%AA%DA%98%DB%8C%DA%A9-%D8%AA%DB%8C%D8%B1%D8%B1%D8%B3-%D8%A7%DB%8C%D8%B1%D8%A7%D9%86.html
[5] https://en.mehrnews.com/news/222632/Iranian-parl-discusses-defense-pact-with-Resistance-groups