Les relations Iran-Europe au défi de l’administration Trump edit
Alors que les relations transatlantiques traversent une nouvelle crise depuis l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, la gestion du dossier iranien est présentée par l’Union européenne comme un succès de politique étrangère pour les Européens. Néanmoins, il semble que la politique de changement de régime mise en place par l’Administration Trump place l’Europe face à ses contradictions… et à ses divisions. En effet, si la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont affiché un soutien formel à l’Accord sur le nucléaire, dès les premières menaces de retrait américain, les entreprises du secteur privé européen ont massivement annoncé leur retrait du marché iranien. Cette absence de souveraineté économique de l’Europe a conduit les élites bureaucratiques bruxelloises et les gouvernements favorables au maintien de l’accord sur le nucléaire à tenir un discours diplomatique de plus en plus éloigné de la réalité économique des échanges entre l’Iran et l’Europe.
Aussi la réponse bureaucratique qui consiste à proposer des mécanismes pour maintenir les échanges économiques entre l’Iran et l’Europe afin de renforcer les factions « modérées » en République islamique se heurte à la dynamique de confrontation irano-américaine de retour depuis la fin de l’Administration Obama. Face à l’escalade américaine, l’Europe a certes défendu sur le plan rhétorique les mêmes positions sur l’Accord sur le nucléaire que la Russie et la Chine. Mais il n’en reste pas moins que les convergences transatlantiques sont plus fortes sur les autres dossiers conflictuels entre l’Occident et l’Iran. Qu’il s’agisse du programme balistique, de la politique régionale iranienne ou du non respect des droits humains en République islamique, les différends entre Bruxelles et Washington se limitent à des questions de méthode plus que d’objectifs. En effet, s’agissant de la politique régionale iranienne, Paris partage l’analyse de l’axe États-Unis-Arabie Saoudite-Israël sur la dimension perçue comme « hégémonique » de la politique iranienne mais, à la différence de ces trois pays, pense que le dialogue est la meilleure solution pour régler le problème.
Les divisions européennes sont non seulement le fruit de divergences entre États membres, les États d’Europe orientale donnant la priorité aux relations avec Washington – mais aussi de l’impuissance européenne à remplir sa part du contrat nucléaire en raison de l’autonomie du secteur privé non seulement à l’égard des Etats membres mais aussi de l’administration européenne. Le recours au blocage européen des sanctions unilatérales américaines est symbolique tout come le SPV (plateforme comptable autonome, Special Purpose Vehicule) qui ne permet pas une protection juridique des entreprises européennes qui l’utiliseraient. Ces mécanismes institutionnels ne sont donc pas opérationnels ce qui renforce la méfiance iranienne face à une volonté politique qui ne se traduit pas sur le plan économique par des bénéfices pour l’Iran. Ce déni des réalités économiques manifeste l’impuissance bureaucratique des Etats membres et de l’Union européenne ce qui est perçu en Iran comme une conséquence indésirable du retrait américain de l’accord sur le nucléaire en mai 2018.
Cette compréhension iranienne des limites de l’action européenne dans la sphère économique conduit à deux effets politiques : d’abord une partie des opposants et des critiques enjoignent les élites politico-religieuses de négocier directement avec le président Trump afin de trouver une solution aux problèmes économiques du pays. Mais le sommet de l’État théocratique s’y refuse et propose une politique de en plus tournée vers l’Est (Chine et Inde) et la Russie. Cette impasse est double : négociation publique impossible avec les Etats-Unis pour le Guide et bénéfices économiques limitées d’un rapprochement avec les économies russe, chinoise et indienne. Cette situation de blocage de la politique étrangère iranienne ne signifie néanmoins pas que l’Iran ne va pas mettre ses menaces de surenchère nucléaire et de défi sécuritaire à la puissance militaire américaine dans son environnement régional à exécution.
Ce scénario de l’escalade conduirait à l’effacement rapide de la diplomatie européenne dont la proximité stratégique avec les États-Unis demeure, et ce, en dépit des affrontements rhétoriques. La Russie apparaît, une nouvelle fois, comme la principale puissance médiatrice au Moyen-Orient et le principal frein face à un risque d’escalade militaire irano-américain. Last but not least, l’Union européenne a certes été un partenaire important des négociations sur le nucléaire mais pas le principal. C’est bien sous l’impulsion diplomatique de l’Administration Obama que les négociations ont pu aboutir d’abord, en 2013, à Genève et à Vienne, en 2015. Le retour des États-Unis à une diplomatie iranienne plus idéologique et visant au moins implicitement au changement de régime montre les limites du « en même temps » européen au Moyen-Orient. Ainsi, les alliances des Etats membres avec l’Arabie saoudite et Israël constituent un frein à l’affirmation d’une position européenne indépendante. À cela s’ajoutent les crises diplomatiques bilatérales : otage irano-britannique en Iran, crise à la suite du projet d’attentat iranien déjoué au Danemark en octobre 2018 ou, enfin, l’attentat manqué à Paris, en juin 2018, probablement organisé par des services de sécurité de la République islamique pour perturber la visite européenne du président Rouhani.
Cet ensemble de crises grève la capacité européenne à offrir une voie originale de sortie de crise diplomatique ce qui donne les coudées franches à la diplomatie russe sur ce dossier. In fine, c’est bien l’impuissance économique européenne qui est le facteur principal de son influence diplomatique déclinante sur le dossier iranien. Cependant, les problèmes économiques iraniens restent principalement liés à des facteurs endogènes comme la corruption et le refus d’intégrer le système des normes internationales qu’il d’agisse de la transparence financière (négociations du GAFI) ou de la protection intellectuelle. Cette spécificité iranienne s’accompagne d’un régime idéologique au sein duquel l’État profond se refuse à une ouverture réelle bien que celle-ci soit plus que jamais nécessaire à toute intégration de l’économie iranienne dans la mondialisation.
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