Mode de scrutin: le pari risqué de Macron edit
Alors que le débat sur l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, préconisée par François Bayrou et le Modem, a ressurgi, le président de la République semble avoir renoncé à modifier le mode de scrutin actuel, faisant le pari risqué que le mode de scrutin majoritaire lui serait à nouveau favorable. Poursuivre ce débat paraît cependant nécessaire.
1. Le régime majoritaire privilégie la gouvernabilité sur la représentativité. Il n’en reste pas moins que rafler les 2/3 des sièges à l’Assemblée nationale avec 25% des voix au premier tour de la présidentielle ce qui a été le cas en 2017 au profit d’Emmanuel Macron et de sa majorité est probablement excessif d’autant que cette super majorité se paie d’une sous-représentation des extrêmes de gauche de droite et des écologistes et d’une envolée de l’abstention. À l’inverse l’expérience de la IVe République et les dysfonctionnements de quelques régimes proportionalistes comme en Israël, en Italie ou en Espagne servent de repoussoir. Longtemps les limites symétriques des deux types de modes de scrutin ont conduit à privilégier le statu quo après qu’aient été régulièrement évoquées des réformes comportant une dose de proportionnelle.
2. Le régime majoritaire, pour fonctionner efficacement, suppose des partis forts, voire le quadrille bipolaire d’antan. Dans un contexte d’affaiblissement continu voire d’éclatement des forces politiques, les vertus du régime majoritaire apparaissent moins évidentes. Même si avec ce régime les électeurs sont forcés de choisir et donc d’éliminer, l’exercice du pouvoir révèle rapidement des craquements dans les majorités les plus solides. On songe au phénomène des Frondeurs sous François Hollande ou au mouvement de scissiparité actuel au sein de LREM sous Emmanuel Macron.
3. Avec l’inversion du calendrier électoral les traits du système se sont aggravés. Un président jupitérien et un Parlement faible, quand l’élection présidentielle est dominante et que les législatives s’inscrivent dans une logique de confirmation, aboutissent non seulement à un renforcement de la monarchie présidentielle mais même à une attrition de la fonction d’alerte et de contrôle du Parlement. L’affaiblissement du Parlement et de la vie parlementaire favorise le face à face entre un président relativement démuni et des mouvements populaires (Gilets jaunes) combattifs qui, à l’inverse des luttes partisanes qui opèrent horizontalement opère verticalement dans une sorte d’opposition président/peuple. La proportionnelle pourrait permettre de réinstaurer l’horizontalité en refaisant du Parlement un lieu important de la politique par le jeu des alliances partisanes, en redonnant à chaque sensibilité politique une place qui re-légitime le fonctionnement de l’Assemblée nationale.
4. La France a depuis longtemps déjà un agenda de réformes en panne en matière économique et sociale, qu’il s ‘agisse des réformes du marché du travail pour combattre le chômage structurel, de la fiscalité du capital pour favoriser l’attractivité, des retraites, de l’assurance chômage, de la dépendance… Or, sur ces sujets controversés, le mandat du président de la République et de sa majorité est faible. Il en était de même avec Hollande ou Sarkozy. Disposer de majorités de coalition positives forgées autour d’un agenda de réforme et non d’une majorité de rejet peut être un des atouts de la proportionnelle. On se plait en France à railler les mois de négociation nécessaires en Allemagne à l’élaboration d’un contrat de gouvernement, mais ce sont autant de mois gagnés dans l’exercice du pouvoir.
5. Le délitement des partis et l’avènement de partis personnels aggrave l’ingouvernabilité. L’état actuel du système partisan, et plus encore la crise historique en France des partis politiques eux-mêmes comme organisations représentatives et capables de fonctionner, peuvent rendre difficile la formation d’un gouvernement de coalition. Mais le président a des pouvoirs importants que n’ont pas nombre de régimes parlementaires : il nomme le Premier ministre, il peut dissoudre l’Assemblée et détient un pouvoir de veto (qu’il a conservé au cours des trois cohabitations que nous avons connues). Il est vrai néanmoins que l’étendue des pouvoirs du Président serait largement dépendant du type de coalition qui soutiendrait le Gouvernement. Il serait davantage tenu de négocier avec cette coalition et partant avec le chef de la majorité parlementaire. Le président-monarque céderait la place à un président qui ne serait qu’un élément, certes essentiel, d’un système politique plus complexe.
6. La proportionnelle oblige le président de la République à négocier une coalition pour se doter d’un gouvernement. Les défenseurs de la conception gaullienne du fonctionnement de la Ve République objecteront que le refoulé monarchique puissant depuis la fin de l’Ancien Régime dans le peuple français rend nécessaire l’existence d’un chef de l’État clé de voûte du système. À quoi l’on pourra rétorquer que ce même peuple qui veut un chef est toujours prêt à en faire le responsable de tous ses malheurs.
7. Un mode de scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire pourrait pousser à des alliances. La période passée a montré que l’absence de partis de gouvernement crédibles contribue à la crise de la représentation. De plus les pays qui pratiquent la proportionnelle disposent d’instruments comme la motion de censure constructive qui limitent l’instabilité gouvernementale qu’on prête aux pays proportionalistes.
8. Même si les leçons de l’expérience, comme la volonté d’assurer une meilleure gouvernabilité, peuvent conduire à opter pour la proportionnelle corrigée, la situation politique de Macron dans la perspective des élections présidentielle et législatives de 2022 peuvent le conduire à privilégier le statu quo, ce serait à nos yeux une erreur.
Malgré l’étroite base électorale du macronisme qui, si elle peut ne pas se réduire encore en 2022, ne semble pas en revanche devoir s’élargir, le président sortant peut espérer, s’il est réélu, rééditer l’exploit des législatives et disposer à nouveau d’un majorité absolue à l’Assemblée. Il peut donc faire ce pari. Ceci évidemment règle beaucoup de problèmes et maintient sa domination sur le fonctionnement du système. Pour autant, il ne règle pas la question de l’étroitesse de sa base qui, on l’a vu, rend difficile son exercice du pouvoir. Il s’agit là d’un pari qui peut être gagné même si l’on peut penser qu’il le sera beaucoup plus difficilement qu’en 2017. Mais il peut perdre ce pari et se trouver alors l’impossibilité de disposer d’une majorité à l’Assemblée. Il y a donc plusieurs scénarios possibles pour le président :
- Les élections législatives se font au scrutin majoritaire : il dispose d’une majorité absolue et repart comme après 2017.
- Il ne dispose pas d’une majorité mais il existe une majorité alternative. Le système se trouve alors plongé dans une situation de crise plus grave que celles de 1986, 1993 et 1997 qui ont ouvert des périodes de cohabitation. En effet, dans ces trois moments, une nouvelle majorité parlementaire hostile à un président élu plusieurs années auparavant, pouvait prétendre que sa légitimité, toute nouvelle, était plus forte que celle du président. Cette-fois-ci, étant élus en même temps, les deux légitimités auraient une égale valeur, ce qui déclencherait une crise plus grave qu’alors.
- Il ne dispose pas d’une majorité mais il n’existe pas de majorité alternative. Autre situation de crise mais où le président dispose d’une certaine marge de manœuvre. Il peut dissoudre une fois. Mais la situation risque de demeurer bloquée et la crise de perdurer.
- Les élections législatives se font à la proportionnelle (scenario qui semble écarté). Le président, même si son parti n’a pas la majorité absolue, garde la main et peut tenter de former une majorité de coalition. Il a des chances d’empêcher la formation d’une majorité hostile. Il perd certes une part de son pouvoir et doit négocier mais il conserve beaucoup de cartes en main. En refusant cette option, Macron risque un nouveau pari, incertain, mais où il peut espérer conserver tout son pouvoir s’il gagne ; un pouvoir qui cependant, comme nous l’avons vu, demeurerait limité par l’étroitesse de sa base électorale et la possible réactivation d’un large mouvement anti-Macron qui, une fois encore, rendrait difficile son action de réforme du pays.
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