Olivier Faure et Emmanuel Macron edit
Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a déclaré le 8 octobre dernier au Conseil national de son parti : « Je sonne l’alerte. […] Éric Zemmour est raciste. [Certains] me diront : "Tu as raison. L’heure est grave et le péril est grand. Il faut donc se protéger derrière un rempart. Et le seul rempart connu, c’est Emmanuel Macron." Mais non ! Emmanuel Macron n’est pas un rempart, il est le pont-levis qui s’abaisse, année après année. […] Il a décidé depuis l’origine d’utiliser la peur du loup pour mieux maîtriser le troupeau. Il a sans cesse cherché à valoriser l’affrontement avec les forces les plus extrêmes pour jouer le rôle du rempart. »
Olivier Faure n’est certes pas la première personnalité de gauche à développer le thème de la responsabilité de Macron dans la montée de l’extrême-droite. Mais il y a dans son raisonnement une myopie qui finit par inquiéter, car si son souci semble être d’éviter la disparition d’un Parti socialiste réduit à un rôle de spectateur, en réalité tant son analyse que sa stratégie sont fondées sur les impasses qui ont amené le PS dans cette triste position.
Tout d’abord, sous des dehors stratégiques c’est en réalité une position où les considérations tactiques l’emportent sur le fond. Emmanuel Macron, faut-il le rappeler, est l’un des rares candidats à pouvoir être qualifiés pour le second tour de l’élection présidentielle et à pouvoir battre l’extrême-droite ; ne voir en lui qu’un responsable de la montée de l’extrême droite, et non une réponse possible au risque qu’elle arrive au pouvoir, c’est une vision partisane au pire sens du terme. Sonnant lui-même l’alerte contre le fascisme, Olivier Faure ne devrait pas regretter que le président de la République dirige lui aussi ses coups contre l’extrême-droite. Par quel cheminement tortueux en arrive-t-il à voir en Macron, car il faut appeler un chat un chat, un allié objectif de l’extrême droite ?
Un élément de réponse nous est donné par cette autre phrase : « La seule option conforme à ce que nous portons en commun, c’est de refuser la fatalité d’un second tour qui opposerait à nouveau les libéraux à l’extrême droite ». Pourquoi une fatalité ? Parce que seule la gauche est un adversaire réel et légitime de l’extrême-droite. Macron, lui, ne l’est pas. Cette disqualification de principe était déjà présente dans le discours prononcé par Olivier Faure au Congrès de Villeurbanne le 19 septembre dernier : « Voulez-vous vraiment continuer avec Darmanin, Blanquer, Le Maire ? Ils étaient déjà là sous Nicolas Sarkozy ! Avec eux, ce n’est pas le nouveau monde, c’est le retour à l’ancien régime ! Voulez-vous vraiment les remplacer par Le Pen, Zemmour, Ménard, et Dupont-Aignan ? Nous avons déjà vu où conduit le national-populisme de Trump, Bolsonaro ou Orban. »
Pour Olivier Faure, l’« ancien régime » et les populistes se rejoignent dans une même pratique du pouvoir. Emmanuel Macron n’est pas qualifié pour être l’adversaire principal de l’extrême-droite parce que son exercice du pouvoir n’est pas démocratique. « Il n’est pas sain, précise le premier secrétaire du PS, que le pouvoir actuel laisse dégénérer tous les mouvements en transformant la police républicaine en garde prétorienne chargée de tenir face au peuple français. »
Droite dure contre droite dure, si l’on suit M. Faure l’opposition qui structure aujourd’hui le champ politique cache une similitude. Pour les socialistes, Macron et Le Pen, c’est blanc bonnet ou bonnet blanc. Cette locution ancienne avait été popularisée jadis par le candidat communiste Jacques Duclos au sujet de Georges Pompidou – gaulliste – et Alain Poher – centriste – qui s’affrontaient au second tour de l’élection présidentielle de 1969.
Au lieu de vaticiner, Olivier Faure devrait plutôt se poser la question suivante : pourquoi le Parti socialiste est-il incapable, lui, d’être aujourd’hui un rempart contre l’extrême-droite ? Après tout, une telle question le concerne plus directement. Risquons-nous à donner une réponse à cette question qu’il n’a pas posée.
Cette réponse est double. D’abord, le Parti socialiste n’est pas aujourd’hui un rempart contre l’extrême-droite parce qu’il n’est pas un parti social-démocrate bien qu’il se considère comme tel. Tout au long du quinquennat de François Hollande, l’aile gauche socialiste a interdit à son parti d’assumer une telle identité et de faire enfin son Bad Godesberg – le congrès du parti social-démocrate allemand qui, en 1959, a rompu clairement avec le marxisme et adopté le principe de l’économie de marché. Certes il a toujours existé au sein du SPD une aile gauche idéologiquement hostile au libéralisme économique, mais cette aile gauche n’a pas empêché son parti de gouverner, ni fait sécession, ni refusé d’admettre qu’un grand parti social-démocrate doive marcher sur deux jambes, l’une d’elles passant des compromis avec le libéralisme économique. C’est à cette condition qu’un parti social-démocrate peut être un grand parti de gouvernement et le demeurer, comme viennent de le montrer les élections législatives en Allemagne. Le candidat socialiste à la chancellerie est à ce point modéré qu’il a revendiqué, au cours de sa campagne, d’être l’héritier d’Angela Merkel. Les socialistes français ont considéré, eux, depuis le milieu des années 1980, qu’ils avaient fait leur Bad Godesberg par les politiques qu’ils avaient menées au pouvoir, un Bad Godesberg rampant en quelque sorte. En 1991 ils ont refusé de graver dans le marbre le tournant effectué en 1983. Résultat, l’identité social-démocrate n’a jamais été assumée.
Sous le quinquennat Hollande, les frondeurs socialistes ont défendu une orientation contraire à celle de la social-démocratie. Ils se sont constitués en un véritable groupe d’opposition, empêchant le gouvernement socialiste de mener la politique d’adaptation au fonctionnement mondial de l’économie de marché qu’il estimait nécessaire. Il est résulté de cet affrontement suicidaire que le PS y a perdu son image de parti de gouvernement et sa crédibilité. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, la moitié de l’électorat socialiste, celle qui penchait pour le social-libéralisme, a voté dès le premier tour pour Emmanuel Macron. Avec les 6% qu’a obtenu son candidat, le PS a été marginalisé et les sondages actuels ne laissent pas augurer un redressement rapide.
Une fois encore, le remords du pouvoir s’est réveillé chez les socialistes qui ont abandonné l’ambition du pouvoir que leur avait insufflée jadis François Mitterrand. Du coup, face à la montée de l’extrême-droite, ce parti est aux abonnés absents.
La deuxième raison s’ajoute à la première : cette absence d’identité social-démocrate a laissé subsister le surmoi marxiste qui a toujours poussé le PS à considérer que seules les alliances sur sa gauche sont réellement légitimes. L’invocation permanente de l’Union de la gauche, ce mantra socialiste, est devenue pour lui mortifère. L’impossibilité chaque jour plus évidente de sa réalisation, compte tenu des faiblesses et des divisions de ce qu’on appelle encore la gauche et qui n’attire plus qu’un petit tiers de l’électorat, enferme le PS dans une impasse qui lui interdit de jouer un rôle politique significatif. Il lui faudrait, pour adopter une autre stratégie, plus porteuse, renoncer à ce projet chimérique et cesser de diaboliser le libéralisme économique.
Au lieu d’accuser Emmanuel Macron de faire le lit de l’extrême-droite, Olivier Faure devrait se demander si, en faisant du macronisme son adversaire principal, ce n’est pas lui qui porte une responsabilité importante dans la situation actuelle en refusant de former un véritable parti de centre-gauche qui pourrait contribuer efficacement au combat commun. Le PS pourrait alors se focaliser totalement sur le véritable enjeu de la période : l’avenir de la démocratie pluraliste et de l’universalisme républicain. Il lui faudrait pour cela envisager enfin sérieusement d’être un parti social-démocrate !
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