Petites incertitudes italiennes edit
Un peu plus d’un an après son arrivée à la Présidence du Conseil, les élections régionales partielles qui se sont déroulées le 31 mai dernier ont peut être marqué le premier coup d’arrêt dans l’ascension politique de Matteo Renzi qui jusqu’ici semblait presque irrésistible.
Ce rendez-vous électoral concernait sept régions et près de 19 millions d’électeurs appelés à voter selon des modes de scrutin différents d’une région à l’autre. Sous réserve d’attendre le résultat des élections municipales partielles qui se déroulaient en même temps mais, dans l’écrasante majorité des cas, en deux tours (le second ayant lieu le 13 juin), ce qui pourrait nuancer les interprétations générales du vote, ce scrutin est caractérisé par quatre principaux éléments.
L’abstention a battu un record, 47,7% contre 36,7% il y a cinq ans. Ce fort taux de participation peut s’expliquer par des circonstances : cette fois-ci, le vote se déroulait un jour durant et non point sur une journée et demie comme c’était la tradition et lors d’un long pont lié à la fête de la République du 2 juin. Mais il existe aussi de nombreuses autres facteurs plus structurels comme, par exemple, la tendance au non-vote qui se généralise en Italie, quel que soit le scrutin, attestant une profonde défiance envers la politique, et le fait qu’aux yeux des citoyens les régions semblent avoir perdu de leur pouvoir de décision, de leur efficacité et de leur capacité à faire du « buon governo ».
Deuxième enseignement, le Mouvement 5 étoiles, en dépit de toutes les prédictions, maintient des positions élevées avec au total 15,7% des suffrages. Etre le deuxième parti national dans un scrutin de ce type qui ne l’avantage pas constitue une performance et démontre qu’il est désormais bien installé dans le paysage politique transalpin. Il continue de canaliser un vote de protestation contre le « système » tout en s’émancipant sur le terrain de son fondateur, Beppe Grillo.
Par ailleurs, la Ligue Nord, emmenée par son nouveau dirigeant, Matteo Salvini, s’affirme comme le parti du le plus dynamique du centre droit, quand bien même Forza Italia de Silvio Berlusconi la devance de peu (11,3% contre 9,6% au total du vote par listes). Elle a triomphé en Vénétie, au terme d’une bataille fratricide, et confirmé son avancée dans les régions de l’Italie Centrale, en Toscane, en Ombrie et dans les Marches.
Toutefois, Silvio Berlusconi, quatrième leçon, n’a pas complètement sombré. Son candidat, et l’un de ses hommes de confiance, Giovanni Toti, a réussi à conquérir la Ligurie, une région historiquement de gauche. Enfin, le Parti démocrate (PD) peut certes, à juste raison, s’enorgueillir de contrôler cinq régions sur sept, perdant donc la Ligurie, gagnant la Campanie, conservant ses bastions, la Toscane, l’Ombrie et les Marches et se maintenant dans les Pouilles.
Mais ce calcul arithmétique ne saurait cacher des faits préoccupants : l’érosion des anciennes régions rouges est nette, surtout en Ombrie, en Ligurie la division à gauche (il y avait un candidat de la gauche de la gauche soutenu par un dissident du PD et certains minoritaires du parti) lui a coûté cher, le président de la région en Campanie a été condamné par la justice en première instance, ce qui a nourri de violentes polémiques, et celui des Pouilles n’est pas non plus irréprochable.
Le PD a donc été touché par ces élections intermédiaires, ce qui est fréquent, et il a payé des réformes qui ont divisé les électeurs de gauche (celles du marché du travail et de l’école par exemple) sans pour autant, à la différence des européennes de l’an dernier, être en mesure d’attirer de nouveau des électeurs du centre droit. Matteo Renzi lui-même reste populaire mais moins que l’an passé, ce qui n’est pas surprenant après quatorze mois de gouvernement. En dépit d’un frémissement de la croissance (+0,3% au premier trimestre) et pour la première fois d’une petite reprise des embauches au mois d’avril (160 000 emplois créés, dans le secteur des services pour l’essentiel), la crise économique et sociale est toujours là, avec un chômage élevé, le creusement des inégalités et une pauvreté diffuse. Les flux de réfugiés qui débarquent quotidiennement et dans des conditions dramatiques sur les côtes italiennes ont été exploités politiquement par la Ligue Nord.
Quelles perspectives politiques se dessinent maintenant en Italie?
Une profonde recomposition se poursuit. Le centre droit est de plus en plus sous l’emprise de la Ligue du Nord qui entend se déployer sur tout le territoire. Elle s’inspire de la stratégie du Front National de Marine Le Pen tout en adoptant des postions encore plus plus radicales que celui-ci, par exemple, quant à la dénonciation des immigrés et de l’Union européenne ou sur les questions de société. Mais cette volonté de prendre le leadership du centre droit en profitant du déclin de Forza Italia et de celui de Silvio Berlusconi se heurte à un obstacle. En dépit de ses efforts et pour le moment, la Ligue du Nord ne réussit pas à vraiment s’implanter dans le Sud du pays dont les habitants n’ont pas oublié les deux décennies de stigmatisation et d’insultes de ce même parti à leur encontre. En outre, les positions extrêmes de Matteo Salvini, comme son style provocateur et clivant, ne permettent pas de convaincre les électeurs modérés et centristes qui ne trouvent pas pour l’instant une offre politique conforme à leurs attentes. En effet, Forza Italia est divisé, et le succès de Berlusconi en Ligurie n’annonce pas un retour au premier plan du Cavaliere, quand bien même celui-ci a proposé, lui aussi, de changer le nom de son parti, en l’appelant Parti républicain, en référence au modèle américain et non point à celui de Nicolas Sarkozy.
Matteo Renzi se retrouve un peu sur la sellette. Il est contesté par la gauche de son parti, certes très minoritaire mais influente encore chez les sénateurs, où la majorité du Président du Conseil est infime : par conséquent, les réformes du Sénat (pour mettre fin au bicaméralisme intégral) et de l’école (visant entre autres à donner plus d’autonomie aux établissements, à renforcer le pouvoir des proviseurs y compris pour le recrutement des enseignants, à attirer des fonds privés pour le public) sont menacées.
Matteo Renzi n’est pas le genre de leader qui renoncera à avancer pour maintenir l’unité de sa formation et attendre tranquillement les élections législatives fixées normalement à 2018. Il a besoin de montrer au pays qu’il agit et entend encore et toujours faire bouger les lignes de la gauche, en levant une série de tabous. Sans doute, fera-t-il quelques gestes pour renouer le contact avec son opposition interne qu’il a malmenée, par exemple en essayant, enfin, de faire passer une loi sur la reconnaissance juridique des couples du même sexe. Dans le même temps, il cherchera à s’adresser aux électeurs centristes en déshérence, qui ne peuvent se résigner à se diriger vers Matteo Salvini.
Mais surtout, Matteo Renzi devra s’occuper davantage de son parti, dont il reste le secrétaire. Un parti qui a perdu des milliers d’adhérents et où se constituent des féodalités, notamment dans le Mezzogiorno, peu en phase avec la volonté proclamée urbi et orbi de développer une politique innovante et irréprochable sur le plan éthique. Matteo Renzi devra clarifier l’idée qu’il a avancée de former « un parti de la nation » sans que l’on comprenne bien s’il s’agit de former une coalition électorale autour du PD ou de refonder complètement le parti pour lui permettre d’occuper durablement un espace politique qui irait de la gauche au centre droit, au risque d’être accusé, à tort, de vouloir reconstituer une Démocratie chrétienne. A tort, parce que les temps ont changé et parce que Renzi n’est pas dans la classique culture démocrate-chrétienne de la médiation. Enfin et surtout, cette vaste recomposition politique en cours dépendra au final des résultats de l’action gouvernementale sur les sujets qui préoccupent prioritairement les Italiens, à savoir l’économie et le social. Et à cet égard, tout reste à faire et à prouver.
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