Le dilemme électoral du Parti socialiste edit
En 1986, deux politologues américains ont publié un livre remarquable intitulé Paper Stones. A History of Electoral Socialism, dans lequel ils développaient l’idée que le socialisme européen est confronté à un dilemme électoral structurel et sans doute insoluble : la nécessité d’attirer les électeurs des nouvelles classes moyennes salariées, de plus en plus nombreux, sans perdre l’appui décisif des classes populaires. Ce dilemme, qui l’oblige à pratiquer un grand écart permanent, qu’il s’agisse de son idéologie ou de ses propositions, risque de lui faire perdre son ancrage populaire sans fixer pour autant les classes moyennes, les premières étant surtout attachées à la protection collective et au travail productif tandis que les secondes le sont surtout aux valeurs individualistes du libéralisme culturel et aux valeurs anti-productivistes de la protection de l’environnement. La fragilité électorale particulière du Parti socialiste français l’expose en permanence à souffrir, plus qu’un autre, de la difficulté à résoudre ce dilemme électoral.
Périodiquement, dans les périodes de crise interne, une partie de son électorat populaire le déserte pour la droite ou l’extrême-droite – et non pas pour la gauche de la gauche – tandis que les classes moyennes urbaines et diplômées, en particulier dans les jeunes générations, lui préfèrent le mouvement écologiste quand il est bien dirigé, ou éventuellement d’autres forces politiques situées au centre gauche. C’est ce qui s’est passé à plusieurs reprises depuis le début des années 1990. C’est, plus nettement encore, ce qui s’est passé dimanche dernier au profit des listes animées par Daniel Cohn-Bendit.
Si l’on observe les sondages, il apparaît qu’à peine la moitié des électeurs de Ségolène Royal du premier tour de l’élection présidentielle de 2007 ont voté pour les listes socialistes le 7 juin dernier tandis que près du quart d’entre eux ont préféré les listes vertes. Selon CSA, 15% des cadres ont voté pour les listes socialistes contre 25% pour les listes vertes et seulement 6% pour les listes lepénistes ou villiéristes. En revanche, 24% des ouvriers ont voté pour les socialistes et seulement 14% pour les écologistes mais 19% pour les listes villiéristes ou frontistes. Les électeurs les plus diplômés ont été 27% à voter pour les listes vertes et seulement 17% pour les listes socialistes, tandis que les moins diplômés ont été 10% seulement à voter pour les listes vertes contre 18% pour les listes socialistes.
Lorsque le Parti socialiste est fragilisé, il ne peut opérer une synthèse suffisante entre des groupes sociaux dont les demandes et les valeurs sont diverses, voire parfois antagoniques, et donc établir son hégémonie sur la gauche. Le 7 juin, les socialistes n’avaient ni leader capable de réussir cette délicate opération de chimie politique consistant à faire à gauche ce que Nicolas Sarkozy a réussi à faire à droite depuis 2007, c’est-à-dire à tenir un discours qui puisse être entendu par des couches sociales différentes et donc réussir cette synthèse politico-idéologique qui permet de marier les contraires et qui est le génie propre du politique.
En outre, et ceci est une faiblesse générale du socialisme européen aujourd’hui, sa réponse proprement socio-économique à la crise ne convainc pas les électeurs. Ceux-ci ne décident donc pas de leur vote d’abord sur ces critères, ou quand ils le font, ils font davantage confiance à la droite. Or sur les autres dimensions, le Parti socialiste n’a pas été en capacité de mobiliser l’électorat, qu’il s’agisse de la dimension écologique, de la dimension de l’identité nationale ou de la dimension sécuritaire.
Enfin, par manque de vision stratégique, il n’a pu représenter l’axe d’une nouvelle alliance, capable de donner une crédibilité gouvernementale à l’opposition ou aux diverses oppositions de gauche.
Ni convaincant sur son propre terrain, ni capable d’élargir celui-ci à d’autres thèmes, manquant d’une personnalité charismatique capable de transcender les contradictions et les difficultés, ne parvenant pas, enfin, à penser de manière efficace un nouveau système d’alliances, ce parti, par son immobilisme, a laissé un large espace politique à la mouvance écologiste, pour une fois bien dirigée. En outre la dérive populiste de François Bayrou, qui lui a fait perdre un quart de ses électeurs de 2007 au profit des listes vertes, ne lui en a fait perdre que 9% au profit des socialistes.
On le voit, l’équation électorale du Parti socialiste est compliquée. Elle l’est structurellement. C’est la raison pour laquelle, ce parti a besoin d’un grand leader et d’une véritable réflexion politique pour affronter avec de véritables chances de succès les élections. Il lui faut trouver l’un et entreprendre l’autre. Enorme défi pour une organisation de plus en plus fragmentée et déboussolée. Mais l’évitement de la spirale du déclin est à ce prix. Sinon, il cumulera les traits respectifs du déclin qui a frappé depuis la guerre les deux autres grands partis de gauche : la notabilisation locale sans perspectives politiques globales des radicaux et la langue de bois inaudible des communistes. Ce parti a assez d’atouts pour empêcher une telle spirale. A condition qu’il le veuille et qu’il s’en donne les moyens. En est-il capable ?
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