Les déficits des candidats edit
Il est rare de voir les principaux candidats d'accord sur un sujet. Or tous les trois semblent convaincus que la réduction de la dette publique est prioritaire. La Commission européenne, qui s'est érigée en gardien du temple des dettes publiques, doit se frotter les mains, mais est-ce vraiment une des priorités de la France ?
A l'évidence, non. Car nos candidats multiplient par ailleurs des promesses aussi diverses qu'onéreuses, qu'ils justifient par l'importance des actions à mener. Le débat sur le chiffrage a au moins le mérite de montrer que leur détermination à faire baisser la dette est toute relative. S'ils flanchent avant l'élection, qu'en sera-t-il après ? D'un autre côté, cette unanimité touchante de la gauche à la droite est intéressante en soi. Sur les trente dernières années, le budget n'a été équilibré qu'une seule fois, sans que les électeurs en aient pris ombrage. Si, aujourd'hui, l'objectif d'équilibre budgétaire remonte au sommet des priorités affichées, c'est sans doute que l'opinion publique commence à s'inquiéter de cette dérive. Elle semble réagir positivement aux nombreux rapports et livres qui ont récemment dénoncé l'absence de rigueur dans la gestion du budget de l'Etat. Petit à petit passe le message que la dette devra bien être payée un jour, soit par nous, soit pas nos enfants, et que le monde que nous léguons à nos enfants n'est pas le meilleur des mondes. Mais le message est un peu trop simpliste et les mesures proposées par les uns et les autres pourraient bien s'avérées pires que le mal auquel elles s'attaquent.
Toute dette est-elle mauvaise ? Tout déficit budgétaire est-il à proscrire ? Il n'y a pas de réponse à cette question autre que : ça dépend. Il en va de l'Etat comme de chacun d'entre nous. Emprunter parce qu'on traverse une mauvaise passe ou pour acheter une maison est parfaitement justifié. Emprunter pour vivre au-dessus de ses moyens ne l'est pas. Certains déficits publics sont nécessaires : pour faire face à une récession ou pour financer des investissements publics trop longtemps délaissés et qui peuvent rapporter gros sur de nombreuses années ; d'autres, ceux qui sont une facilité que se donne le gouvernement pour dépenser plus d'argent qu'il ne collecte, sont abusifs. La règle est simple mais sa mise en œuvre est plus délicate. Ainsi, il n'est pas toujours facile de savoir si la mauvaise passe est temporaire ou durable. De même, il est tentant de labelliser « productif » des investissements qui sont récurrents (travaux publics, recherche, éducation, etc.) et doivent financés par les revenus courants ; la frontière est floue. C'est pour cela que les gouvernements doivent s'expliquer soigneusement chaque fois qu'ils envisagent un budget en déficit.
Prétendre que cette année-ci est mauvaise et que les prochaines seront meilleures est un moyen commode de justifier un déficit ; c'est ainsi que nos gouvernements ont fait grimper la dette publique depuis trente ans. Le débat sur le chiffrage des programmes des candidats est donc très important. Bien sûr, un président a le droit de changer la composition des dépenses publiques, mais il ne peut pas pour cela faire appel à l'emprunt, sauf s'il propose d'engager des dépenses exceptionnelles d'investissement. Il doit alors nous dire quelles dépenses il va couper pour atteindre l'équilibre budgétaire, ou bien quels impôts il entend augmenter, et de combien.
Ce n'est pas le message que nous envoient les principaux candidats. La méthode qui prévaut durant ce début de campagne consiste à faire des promesses qui impliquent un déficit accru et essayer de masquer cet aspect en diabolisant la dette. Ségolène Royal refait le coup des bonnes années à venir, sans le début de la moindre preuve. Nicolas Sarkozy annonce des dépenses supplémentaires et des baisses d'impôt en jurant qu'il veut faire baisser le déficit, mais il se garde bien d'expliquer comment il pense réaliser ce miracle.
Français Bayrou, quant à lui, s'est taillé un petit succès médiatique en ressortant la vieille lune de l'équilibre budgétaire garanti par la Loi. S'engager à assurer l'équilibre budgétaire chaque année, c'est comme s'engager à ne jamais boire un verre de vin. Tout comme il y a une différence entre un bon verre de temps en temps et sombrer dans l'alcoolisme, il est souhaitable d'avoir un déficit budgétaire quand c'est justifié, dans les années de récession par exemple, à condition d'avoir un surplus pour rembourser la dette dans les bonnes années. S'imposer un équilibre chaque année n'est pas seulement impossible, mais contre-productif. Cela signifierait s'interdire d'amortir le choc des récessions et se forcer à financer des dépenses exceptionnelles parfaitement justifiées en coupant dans les dépenses courantes ou, pire, en faisant soudain grimper la pression fiscale. Il y a vingt ans, Reagan avait promis une telle loi. Arrivé à la Maison Blanche, il a compris que c'était impossible. C'est la même conclusion que tirerait François Bayrou s'il s'installait à l'Elysée.
Un des bienfaits de la prise de conscience de l'erreur qu'a constitué, dans le passé, le laxisme budgétaire est une plus grande sensibilité de l'opinion publique à la dette de l'Etat. Il n'est sans doute plus possible aujourd'hui de gagner une élection en ignorant la dette. La réponse des principaux candidats à cette nouvelle situation – diaboliser la dette mais annoncer des dépenses non financées – est ingénieuse en apparence, mais reste mensongère sur le fond. Le fait qu'ils aient adopté tous trois la même méthode, sous des modalités différentes, leur donne une certaine impunité puisque les électeurs sont réduits, sur ce point, à choisir entre des fables auxquelles ils ne croient pas. C'est malsain pour la démocratie et c'est la garantie que les déficits vont perdurer.
Heureusement, la campagne n'est pas encore terminée. L'opinion publique, et donc la presse qui interroge les candidats en son nom, peuvent encore changer les règles du jeu. Pour cela, il convient de garder les idées claires et de s'appuyer sur quelques principes :
- Premièrement, sortir du simplisme qui consiste à considérer tout déficit comme forcément mauvais. Accepter cette vision manichéenne et erronée implique qu'on ne peut plus parler de déficit, puisqu'il est exclu pour un candidat de concéder qu'il pourrait un jour le tolérer.
- Deuxièmement, insister pour une présentation complète des intentions en matière budgétaires : chiffrer, bien sûr, les nouvelles dépenses mais aussi les recettes fiscales et faire apparaître le solde budgétaire.
- Troisièmement, si le solde est déficitaire, exiger des justifications précises et une explication sur la manière dont la dette sera remboursée, quand et comment.
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