L’UMP : un parti d’opposition parlementaire ? edit
La présidentialisation du régime irait-elle de pair avec la renaissance d'un pouvoir parlementaire? Il semble en tout cas évident aujourd'hui que les socialistes, lorsqu’ils refusèrent l’an dernier de voter une révision de la Constitution qui donnait pourtant plus de pouvoirs au Parlement tout en encadrant davantage les pouvoirs du chef de l’exécutif, commirent une erreur majeure.
Ils donnèrent pour justifier ce refus deux types d’arguments. Le premier était énoncé sous la forme d’un syllogisme : la révision donne plus de pouvoirs au Parlement donc en fait au parti qui y est majoritaire ; ce parti est celui du président de la République, donc cette révision augmente les pouvoirs du président de la République. L’ineptie d’une telle analyse est aujourd’hui patente : la véritable opposition parlementaire est aujourd’hui celle du parti du président.
Le second argument des socialistes était le souhait du président de pouvoir s’adresser aux assemblées, réunies en Congrès pour l’entendre. Pour les socialistes, cette demande rompait avec la tradition républicaine des Constitutions précédentes où le président n’avait aucune responsabilité politique. Pourtant elle est cohérente avec l’évolution de notre régime où le président est aujourd’hui de facto le chef du gouvernement.
Au-delà des péripéties politiques quotidiennes, ces évolutions institutionnelles marquent une évolution importante qui mérite d’être notée. L’une et l’autre vont dans le sens d’une présidentialisation du régime politique français dans le sens américain du terme. Elles prennent tout leur sens si l’on examine le changement de la pratique présidentielle introduit par Nicolas Sarkozy. Quoi qu’en disent ceux des spécialistes qui estiment que le président, depuis 1958, a toujours été le véritable chef de l’exécutif, ce qui est vrai, mais qui en déduisent que, dans ces conditions, rien n’a véritablement changé dans la répartition du pouvoir au sommet de l’Etat et dans la pratique présidentielle, ce qui est faux, il est de plus en plus clair que le régime politique français, dans son fonctionnement, se rapproche sensiblement du régime américain. Plusieurs éléments vont en ce sens.
D’abord, jusqu’à présent, le Premier ministre, quelle que soit sa position subordonnée au président, demeurait, dans une certaine mesure au moins, le chef de la majorité parlementaire. Sa mission politique était d’abord, comme dans tout régime parlementaire, de veiller quotidiennement à la cohésion et à l’appui de cette majorité. C’est par lui que passait une part importante de la relation entre l'exécutif et le législatif. Sa présence fréquente à l’Assemblée le mettait régulièrement en contact direct avec sa majorité. Aujourd’hui, le Premier ministre n’est plus en mesure de jouer aussi efficacement ce rôle dans la mesure où le président lui a de facto retiré, avec son accord anticipé, ce statut de chef de la majorité parlementaire. L’Elysée occupe presque tout l’espace de l’exécutif. Il en va de même de ses conseillers, comme François Fillon a fini récemment par le regretter publiquement. La tutelle exercée par le Premier ministre sur la majorité parlementaire ne peut que donc que diminuer. Du coup, le lien entre l’exécutif et le législatif change nécessairement de nature.
Dans le même temps, la révision constitutionnelle a donné plus de pouvoirs au Parlement et le chef du groupe UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé, a décidé de tirer tout le parti possible de cette réforme en réclamant une « coproduction législative ». Le conflit récent entre Jean-Pierre Raffarin et le président du Sénat a montré que des velléités de même nature se développaient dans la haute assemblée. Un véritable pouvoir parlementaire semble en train de renaître après un demi-siècle d’éclipse.
En outre, la volonté du président d’inscrire dans la Constitution la possibilité pour lui de s’adresser régulièrement au Congrès fait pendant au discours sur l’État de l’Union du président américain. En passant par-dessus le Premier ministre pour s’adresser directement au Parlement, il souligne l’inexistence du Premier ministre comme chef de la majorité.
Enfin, les réformes de Lionel Jospin en 2000 et 2001, l’adoption du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont fortement contribué à accroître la présidentialisation du régime, il est vrai favorisée par la pratique de Nicolas Sarkozy. Il y a une logique générale dans cette évolution vers un régime présidentiel et la décision du Parti socialiste d’organiser des primaires ouvertes pour la désignation de son candidat à la prochaine élection présidentielle y obéit également.
Dans cette situation, la question de la nature de notre régime demande à être posée à nouveaux frais. Edouard Balladur avait proposé l’instauration d’un véritable régime présidentiel mais la commission qu’il a présidée pour proposer une réforme des institutions ne l’a pas suivi dans cette voie. Il est clair aujourd’hui qu’elle a eu tort. La fiction du régime de cabinet à l’anglaise est aujourd’hui détruite. À un président seul détenteur du pouvoir éxecutif doit correspondre un Parlement libre de son action et donc indépendant constitutionnellement de l’exécutif. C’est ce que réclame un bon équilibre des pouvoirs, seule manière d’éviter la « présidence absolue » mais aussi la fiction d’un chef de gouvernement qui ne l’est pas.
Le malaise grandissant du Parlement et le refus, aussi désolant qu’inefficace, de l’opposition de jouer un rôle réellement positif et visible dans l’activité parlementaire, sous prétexte que la majorité n’est que le porte-voix du président, incitent à se reposer la question du décalage grandissant entre la lettre et le fonctionnement des institutions. Certains constitutionnalistes pragmatiques diront que non seulement ce décalage n’est pas gênant mais même qu’il donne une souplesse nécessaire au fonctionnement du régime. Pourtant, la fiction d’un régime parlementaire du type du gouvernement de cabinet est aujourd’hui plus négative que positive, plus néfaste qu’utile.
Et, puisqu’il est vrai que dans la lettre des textes ce régime demeure largement un régime parlementaire, alors peut-être est-il temps de changer cette lettre. Bref une Sixième République d’une autre sorte, mais qui aurait le mérite de correspondre aussi bien aux nécessités de l’heure qu’à la logique des institutions et à la séparation des pouvoirs, paraît constituer l’horizon raisonnable de notre évolution constitutionnelle. Elle permettrait à l’opposition, quelle que soit sa volonté légitime de jouer son rôle d’opposant, de coopérer suffisamment avec la majorité parlementaire pour contribuer mieux qu’aujourd’hui au travail parlementaire et donc d’augmenter l’efficacité du travail parlementaire lui-même. Ce qui, pourrait peut-être à terme donner au Parlement un prestige, une utilité, une visibilité aux yeux des Français qu’il a malheureusement perdues.
Cette réforme devrait supprimer le poste de Premier ministre, c'est-à-dire la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, et le droit de dissolution de l’Assemblée dont dispose le président. Les partisans d’un pouvoir parlementaire véritable ne pourraient que se réjouir d’une telle révision, notamment ceux qui souhaitent, avec de bons et forts arguments, l’instauration d’un régime primo-ministériel, mais qui ne peuvent pas ignorer l’impossibilité de son instauration dans un avenir prévisible.
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