Que se passe-t-il entre la CGT et l’Élysée ? edit
Depuis quelque mois, les médias s'interrogent sur les relations qu’entretient l’Élysée avec la centrale dirigée par Bernard Thibault. Assiste-t-on à une métamorphose radicale de la CGT ? Quels enjeux cachent ces échanges ? Bref, on se perd en conjectures, l’anecdote masquant souvent des problèmes de fond. Or plusieurs raisons expliquent que de nouveaux rapports existent entre l’Élysée et les grandes confédérations.
La question sociale était au cœur du programme de Nicolas Sarkozy en 2007. Il ne s’agissait pas seulement de « travailler plus pour gagner plus » mais aussi d’envisager la poursuite ou la mise en œuvre de réformes emblématiques sur les retraites, la santé, le marché du travail ou encore la négociation collective. Près d’un an après son élection, le président de la République signait dans Le Monde une tribune évoquant la nécessité d’un « syndicalisme fort » tout en affirmant l’importance des réformes à faire. Il s’agissait là d’un signe éminent et totalement inédit.
Dans ce contexte, les relations entre l’Élysée et la CGT ne peuvent relever du seul calcul. Elles relèvent d’une forme de nécessité, liée à deux réalités incontournables : la volonté de l’exécutif de mener des réformes jugées indispensables et la recomposition du paysage syndical.
En fait, pour tout pouvoir politique, l’esprit de réformes ne peut se concrétiser que si trois conditions existent : une forte conviction, des ressources et des alliances impliquant les acteurs concernés.
Que la conviction d’instituer de grandes réformes sociales donne vie aux orientations de l’Élysée, c’est l’évidence même. Dès de Gaulle, cette conviction s’inscrit dans l’histoire de la droite sous la Ve République. Après la chute du mur de Berlin, elle fut ravivée par Edouard Balladur qui publiait en 1992 Dictionnaire de la réforme qui s’appuyait sur un postulat : « la réforme ou le déclin ». L’esprit de réforme concernait ainsi la droite libérale et ouverte qu’Edouard Balladur appelait de ses vœux, et avec lui les « balladuriens »… dont Nicolas Sarkozy.
Le problème, c’est que ce sont généralement les États riches qui sont le plus et le mieux réformistes. Et pour cause : toute réforme d’ampleur exige d’importantes ressources. Or la France est confrontée à un déficit budgétaire élevé qui limite ses capacités à mener certaines réformes sociales alors que celles-ci s’avèrent urgentes au vu – précisément – de l’état des finances publiques et des difficultés du pouvoir à répondre à des besoins sociaux de plus en plus pressants. D’où la nécessité de tisser de nouvelles alliances et de rechercher le plus de consensus possible, notamment auprès des syndicats.
Mais là encore, de réels handicaps existent. En Europe du Nord, d’importantes réformes du marché du travail ou de la protection sociale ont été menées grâce à l’appui des syndicats ou à leur neutralité contrainte ou volontaire. Cela fut cas dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas, en Allemagne. En France, les syndicats constituent toujours une sorte d’exception comparés aux syndicalismes européens. La faiblesse de leurs effectifs n’entame en rien leurs capacités de mobilisation, ce qui les distingue de nombreux syndicats étrangers, même puissants et influents. Or depuis 1995 le pouvoir de mobilisation syndicale a souvent contribué à freiner d’importants projets de réformes portés par le pouvoir politique – les régimes spéciaux de retraites, par exemple – ou à les faire sombrer, comme on l’a vu avec le CPE en 2006.
Mais les nouvelles règles de la représentativité syndicale ont commencé à changer la donne. Hier existait un front réformiste composé de la CFDT, de la CFTC et de la CGC. Face à ce front, se tenait un front protestataire comportant la CGT, la FSU, SUD et en partie FO. Désormais, seuls les syndicats disposant d’une audience électorale au moins égale à un certain seuil – 10% dans les entreprises, 8% dans les branches – seront reconnus comme représentatifs et pourront, à ce titre, participer aux négociations et à la production d’accords collectifs. À terme, ces nouvelles règles de représentativité peuvent dans bien des cas conduire à la marginalisation des « petits syndicats » comme la CFTC ou la CGC. Et donc à l’affaiblissement, à divers niveaux, du front réformiste constitué autour de la CFDT.
Le reflux du réformisme syndical est-il une tendance inéluctable ? En fait, la situation est ambiguë. Depuis plusieurs années, en effet, l’évolution de la CGT la conduit à devenir toujours plus réformiste et à partager un certain nombre de valeurs avec les autres syndicats et notamment la CFDT. On peut le constater dans leurs rapports avec la radicalité politique ou sociale, avec les partis politiques, ou encore dans le statut reconnu à la négociation collective. En outre, sur le plan international la CGT est désormais totalement partie prenante des grandes organisations réformistes comme la Confédération européenne des syndicats et la Confédération syndicale internationale. Le paysage syndical a donc profondément changé en quelques années. D’un côté, un front réformiste traditionnel qui risque de perdre beaucoup en influence. De l’autre, une CGT certes affaiblie mais qui reste puissante sur le terrain de la mobilisation collective et qui peut donc freiner des projets de réformes ou… leur laisser libre cours, d’autant qu’elle devient de plus en plus modérée.
Ce contexte permet de mieux comprendre les nouveaux rapports entre l’Élysée et la CGT. En fait, la situation présente rappelle celle de François Roussely lorsqu’il accéda à la tête d’EDF, en 1998. Pour faciliter le changement du statut de l’entreprise voulu par la Commission européenne, il lui fallait placer la CGT au cœur du jeu contractuel, ce qui fut fait même si ce ne fut pas sans heurts. De la même façon, en donnant à la CGT une position éminente au sein du dialogue qu’il entretient avec les syndicats, Nicolas Sarkozy vise à rendre moins conflictuelle la mise en œuvre des réformes à venir, quitte à faire des concessions aux attentes cégétistes, par exemple sur la politique industrielle comme on l’a récemment vu avec Total.
La recherche de coalitions tend ainsi à pallier les carences d’un pouvoir qui ne remplit pas toutes les conditions nécessaires liées à l’esprit de réforme et auquel font défaut les ressources budgétaires. Certes, ces coalitions restent fragiles. La CGT est aujourd’hui « au milieu du gué », pour reprendre l’expression de Jean-Louis Moynot, l’un de ses anciens dirigeants connu pour son modernisme. Sa direction a su lui donner de nouvelles orientations mais une partie de l’appareil s’y oppose. Minoritaire, l’opposition interne n’en dispose pas moins d’un « capital militant » souvent efficace et les effets de la crise économique l’aident à trouver de nouvelles assises.
Ainsi, entre le réformisme et un « syndicalisme de lutte », la CGT balance. Jusqu’à quand ? Jusqu’où ? La réponse à ces questions conditionne la politique sociale du pouvoir et le rythme des réformes futures.
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